Texte d'Anthyme Saint-Paul, extrait du "Journal de la jeunesse" de 1893
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Le Rouennais est Normand, il sait accommoder son activité à sa situation et à la situation de ce qui l’entoure. Ce qu’il a perdu ou semble avoir perdu du côté des entreprises navales (par rapport ua Havre), il l’a vite regagné en établissant chez lui de nouvelles industries et en variant, selon les besoins, la nature de ses produits. Naguère, Rouen donnait son nom à une des principales branches de l’industrie manufacturière, la « rouennerie ». Dans la rouennerie est comprise spécialement une grande variété de tissus dans la contexture desquels des fils teints avant le tissage entrent pour une certaine quantité, quelquefois même pour la totalité. A cette variété se rattachaient un certain nombre d’autres étoffes de coton, si bien que ce que nous nommons aujourd’hui magasins de nouveautés s’appelait il n’y a pas longtemps magasins de rouenneries.
Les industries textiles étant plus que toutes autres soumises aux caprices de la mode, les Rouennais se sont mis en mesure de se plier autant que possible à ces caprices; et, pour être le moins possible tributaires des autres grands centres industriels, ils se sont mis à fabriquer eux-mêmes les machines qui leur sont nécessaires, et ils sont arrivés à la perfection du genre. Des usines de nature toute différente ont trouvé place chez eux; la fabrication des produits chimiques, par exemple, est représentée à Rouen par des établissements de premier ordre.
La Seine en amont de Rouen, avec son activité industrieuse.
Si l’on veut être rigoureusement juste, il est bon de ne pas borner le chiffre de la population rouennaise aux cent douze mille personnes qui vivent dans le territoire communal. Ce territoire est presque strictement limité au territoire même de la ville, si l’on excepte le quartier de Saint-Sever, qui s’étend sur la rive gauche de la Seine. Mais, touchant à Saint- Sever, Sotteville, en amont, le Petit-Quevillv en aval; mais, du côté de la rive droite, Darnétal et Deville, sont de vrais faubourgs de Rouen, vivent de la vie de Rouen, de l’industrie de Rouen ou font vivre Rouen de leur industrie. Eux compris, c’est près de deux cent mille âmes qu’il faudrait compter dans la grande agglomération normande. C’est même dans ces faubourgs, qui ne forment des unités qu’au point de vue administratif, que se trouvent les plus belles usines, l’espace manquant dans l’intérieur de la ville pour le développement de pareils établissements. Plusieurs de ces usines, indépendamment de leur étendue et du nombre d’ouvriers qu’elles occupent, sont en elles-mêmes des ouvrages curieux ou de haute valeur. L’une d’elles, l’usine Malétra, au Petit-Quevilly, affectée aux produits chimiques, s’étend sur une superficie de vingt-sept hectares et vaut, avec son outillage, près de trente millions. Elle dut son existence, au commencement de ce siècle, à un simple ouvrier enrichi par son travail. M. Eugène Noël, qui nous fournit ces détails dans le Tour du Monde, ajoute une description non moins frappante de l’intérieur, dont il compare les fours tournants à l'Enfer décrit par Dante. « Ces fours tournants laissent couler de deux en deux heures la soude incandescente. Des wagonnets enchaînés les uns aux autres charrient le feu en longues files. Le spectacle, surtout le soir, est inimaginable. Dante eût frémi et renoncé peut-être à cet épouvantable rêve d’hommes plongés par Dieu dans de tels gouffres ! »
Est-il besoin d’ajouter que Rouen est une des villes de France les mieux desservies par des voies ferrées ? Outre la grande ligne de la Seine, qui la relie à Paris et au Havre, il est directement rattaché par des lignes spéciales à Amiens, à Dieppe, à Saint- Valéry-en-Caux, à Gisors, à Orléans, à Elbeuf et à la ligne de Paris à Cherbourg. Le mouvement des voyageurs et des marchandises se partage entre quatre gares dont la principale, accessible par deux tunnels, est située dans les quartiers élevés du nord de la ville.
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