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La rade et le fleuve étaient couverts d’une multitude innombrable de bateaux et de bâtiments chinois de toute dimension ; les uns reposaient sur leurs ancres ; les autres, se croisant dans toutes les directions, semblaient voler sur les eaux. La forme de ces embarcations varie à l’infini, selon l’usage auquel elles sont destinées ; mais toutes sont construites d’une manière si bizarre, que je crois devoir entrer à ce sujet dans quelques détails, en les abrégeant cependant le plus qu’il me sera possible, pour ne pas fatiguer l’attention du lecteur.
Il paraît que la Chine ne peut nourrir tous ses habitants. Malgré la rigueur des lois qui l'interdisent sans pouvoir l’arrêter, une émigration régulière et périodique déverse chaque année l’exubérance de cette population vers Batavia et Java, Manille, les Philippines, la Cochinchine, l’Archipel indien et la presqu’île malaise ; d’un autre côté, une multitude innombrable de pêcheurs ont établi leur domicile flottant sur des barques et le long des côtes, à l’embouchure et sur les bords des fleuves ; enfin d’autres embarcations encore plus nombreuses se tiennent constamment en pleine mer, pour s’y mettre à l’abri des exactions des mandarins, et pour chercher sur les flots les moyens de subsistance que la terre leur refuse. Le phénomène de l’existence de cette population maritime aux portes de la Chine est de nature à faire naître d’étranges conjectures sur l’organisation gouvernementale et sur l’état social du Céleste Empire.
Les équipages de ces bateaux, malgré le nombre d’individus, qui y sont entassés, paraissent fort vigoureux et jouir d’une santé robuste, avantages que l’on peut attribuer à leur genre de vie, sobre et rude à la fois. Leurs bâtiments s’accouplent ordinairement, et traînent entre eux leurs filets ; le produit de la pêche est séché, ou salé, ou vendu pour la côte. Ils conservent aussi du poisson vivant dans des citernes qui se remplissent d’elles-mêmes d’eau de mer. Ces hommes s’offrent quelquefois comme pilotes pour conduire les navires européens à Macao, et demandent pour ce service cent, deux cents et jusqu’à trois cents piastres ; mais comme on est certain d’en trouver tout près de terre, on peut fort bien se passer de ceux qui sont au large. Il est arrivé que des navires, demeurés en calme, ont été surpris, assaillis, pillés et leurs équipages égorgés par ces pêcheurs ; mais ces évènements sont très rares aujourd’hui ; ils étaient plus fréquents du temps des pirates, qui ont pendant de longues années ravagé les côtes de la Chine, et tenu tête à la flotte impériale, qui n’a pu mettre fin à cette guerre qu’avec l’aide du gouvernement portugais de Macao.
En outre de ces bateaux, il y a des embarcations plus légères qui, quelquefois, portent à bord des pilotes indispensables aux navires étrangers qui s’aventurent sur ces côtes. Ces embarcations sont appelées sapateones et lorchas par les Portugais, fishing-boat, pilot-boat et fast-boat, bateaux-pêcheurs, bateaux-pilotes et bateaux légers, par les Anglais, selon le genre de service auquel elles sont destinées ; ces dernières, élancées, élégantes dans leur coupe, construites en bois de camphre et de pin, vernies et non peintes, c’est-à-dire n’ayant qu’un galipot qui conserve la couleur du bois, sont remarquables par leur admirable propreté ; leur arrière est gros et relevé, tandis que l’avant est effilé et a l’air de plonger dans les flots, ce qui leur donne la forme gracieuse du cygne. Leur longueur est ordinairement de cinquante pieds, sur une largeur bien proportionnée ; et elles portent de quinze à vingt tonneaux. Elles ont deux mâts, quelquefois trois ; leurs voiles en nattes sont disposées en trapèzes irréguliers ; celle de misaine est toujours plus petite que la grande, et celle d’artimon l’est encore davantage. Les Chinois manŒuvrent avec une merveilleuse dextérité ces embarcations, qui marchent avec autant de rapidité que les plus fins voiliers ; ils abordent et s’accrochent aux chaînes des haubans au moyen d’un croc en fer adapté à l’extrémité d’un bambou, et l’embarcation une fois tenue, iis s’élancent à bord avec une agilité sans pareille. Il faut éviter de paraître trop empressé et trop enchanté de recevoir la visite ou l’offre de service de ces pilotes, car on s’exposerait à les payer fort cher. On doit les écouter avec calme, et rabattre au moins les trois quarts du prix qu’ils demandent. Dans la mousson du Nord-Est, si le temps est beau, on ne doit payer le pilotage de l’île Lemma à Macao que 25 à 50 piastres au plus, et même en 1830 il m’est arrivé de ne donner que 10 piastres. Ces hommes sont de vrais mendiants ; ils veulent de tout ce qui frappe leurs regards : du riz, du bŒuf salé, du biscuit. Ils ne dédaignent rien, et s’arrangent de manière à ce que leur équipage soit toujours nourri aux frais du navire qu’ils pilotent. Chaque bateau pêcheur porte un petit boat semblable à une toue, dont l’avant et l’arrière sont un peu relevés, et que l’on conduit à la godille, à l’aide d’un aviron qui tourne à l’arrière sur un piton en forme de gros clou. Cette manière de conduire est employée pour toutes les embarcations qui naviguent sur le Tigre et sur les autres rivières.
Les jonques de commerce, nommées aussi champans, sont des bâtiments aux formes massives ; les plus grandes servent aux voyages de long cours. Elles diffèrent de forme et de grandeur ; et avec un peu d’attention on distingue facilement, après quelque temps de séjour, la province où elles ont été construites. Les jonques d’Emov et généralement celles des provinces du Nord sont ordinairement très grandes, et leurs équipages se font remarquer par un teint plus blanc et une taille plus élevée. Il est de ces jonques qui portent jusqu’à douze cents tonneaux, et de cent à cent vingt-cinq hommes d’équipage, sans compter de deux à quatre cents passagers, parmi lesquels il en est un grand nombre qui, pendant la traversée, travaillent comme matelots à la manŒuvre pour gagner leur passage. Il faut en effet beaucoup de bras pour mettre en mouvement des embarcations aussi lourdes. Les Chinois n’ont point recours aux inventions de l’Europe, destinées à multiplier les forces ; ils les ignorent et affectent de les dédaigner. La coupe de ces énormes bâtiments est très cintrée ; le centre n’a pas plus de quatre ou cinq pieds au-dessus de l’eau, tandis que l’arrière est élevé de vingt à trente pieds et l’avant de quinze à vingt. Les cabines des matelots et des passagers subalternes sont installées les unes au-dessus des autres sur la plate-forme de l’avant ; celles du capitaine, des propriétaires du navire et des passagers de distinction sont placées à l’arrière, où elles s’élèvent par étages groupés l’un sur l’autre. Le gouvernail, d’un bois très-dur, est d’une dimension extraordinaire ; six à huit hommes sont nécessaires pour le mettre en mouvement. Il tourne dans un enfoncement pratiqué à l’arrière du bâtiment, et que, vu sa dimension, l’on ne peut pas appeler rainure ; il descend jusque sous la carène, en se prolongeant sur l'arrière en forme de trapèze. La pelle est percée d’un nombre infini de petits losanges, afin qu’une machine de cette longueur éprouve dans ses mouvements une résistance moins forte de la part de la masse d’eau qu’elle déplace. Les ancres sont d’un bois dur et pesant, leurs pattes sont garnies de fer, et le centre de grosses pierres pour les faire couler plus promptement. Les câbles sont généralement composés de rotins, quelquefois de bambous ou de bastins de l’Inde, ou enfin de bois noir des Moluques. Ces jonques ont trois mâts : l'un à l’avant sur la plate-forme de la proue ; l’autre, presque au centre, deux fois plus gros que le premier ; enfin, un troisième sur l’arrière, d’un tiers moins grand que celui de l’avant. La Chine ne produisant pas d’arbres propres à la mâture et même à la construction de la coque des grandes jonques, ceux de ces bâtiments qui partent pour Manille, Batavia, Singapour ou autres ports de la Malaisie, ont des mâts construits de plusieurs morceaux ; dès que le navire est rendu à destination, on les remplace par des mâts d’une seule pièce qui coûtent de 800 à 1,200 piastres (4 à 6,000 fr.). Le Bengale envoie aussi très souvent à Canton des cargaisons de bois de teck, pour les constructions navales.
Les mâts des jonques ne portent qu’une voile de nattes, tendue au moyen de bambous placés de distance en distance, parallèlement à la vergue supérieure. Ces voiles sont d’un poids énorme ; et lorsqu’il s’agit de les hisser, cette opération dure souvent une demi-journée. Quelquefois dans les beaux temps on place une espèce de hunier de toile de coton au-dessus de celle du centre. Lorsqu’une jonque est en mer et que le vent augmente, on ouvre un sabord pratiqué dans la voile, qui, en donnant une issue au vent, diminue son action ; si le vent devient encore plus fort, on amène une portion de la voile. L’intérieur est distribué en compartiments bien calfatés et indépendants les uns des autres, de sorte que si la jonque vient à toucher sur un récif et fait de l’eau, cette eau ne pénètre que dans un seul compartiment, d’où l’on peut facilement la vider.
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