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Retour à la présentation de l'ouvrage, de 1859, d'Aristide Guilbert sur les Villes de France
Remarque : Ce texte comportait, dans sa version papier d'origine, de nombreux renvois, sous forme de notes. Dans la mesure où celles-ci n'auraient pas été très facile à lire en tant que renvoi en fin de page, ces notes ont été insérées dans ces mini images . Les blasons ne sont là que pour rythmer le texte, bien que certains (Nantes, Angers...) renvoient à des reportages et pages spécifiques de ce site. Ils proviennent aussi de cet ouvrage.
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DESCRIPTION GéOGRAPHIQUE. — HISTOIRE GéNéRALE. Si l’on pouvait planer, à vol d’oiseau, au-dessus de la France, on verrait à l’ouest une vaste péninsule se détacher de son territoire, et dessiner sur le fond bleu de l’Océan un triangle dont les flots ont profondément rongé les côtés et déchiré la pointe. Cette presqu’île, longue de soixante-dix lieues, ou de trois cent cinquante kilomètres, de la Guerche au Conquet, est comme isolée du reste du monde. Bornée par la mer au nord, à l’ouest et au sud, elle a pour limites territoriales, au septentrion, la Normandie, au midi, le Poitou, au levant, le Maine et l’Anjou; encore cette dernière province en est-elle séparée par le cours de la Loire, sur une longueur d’environ sept lieues. La Bretagne était autrefois un des gouvernements généraux les plus importants de la France. Elle formait une intendance d’une grande richesse et elle avait une chambre des comptes et un parlement auquel ressortissaient quatre sièges présidiaux. Les limites des neuf évêchés de cette province correspondaient assez exactement à ses anciennes divisions féodales : c’étaient, dans la Haute-Bretagne, les diocèses de Rennes, de Saint-Malo, de Saint-Brieuc et de Nantes; dans la Basse-Bretagne, ceux de Vannes, de Kemper, de Saint-Pol-de-Léon et de Tréguier. Le territoire de la péninsule, partagé aujourd’hui en cinq départements, présente une superficie de 1,949 lieues carrées, et on évalue le nombre de ses habitants à 2,620,000, c’est-à-dire au cinquième à peu près de la population générale. La structure extérieure de la Bretagne consiste en deux vastes plateaux, l’un du midi, l’autre du nord, qui se dirigent de l’est à l’ouest, et que sépare longitudinalement une vallée, de la rade de Brest au bassin de la Vilaine. Deux crêtes montueuses, formées par les montagnes d’Arrhès et les montagnes Noires, suivent la direction des plateaux, et leur servent, pour ainsi dire, de murs d’appui : les paysans bretons, dans leur langage figuré, les appellent Kein-Breis, ou l’échine de Bretagne ; c’est le point de départ d’une multitude de ramifications qui sillonnent la péninsule, et la partagent en plus de vingt bassins différents. La partie la plus élevée des montagnes d’Arrhès, la chapelle Saint-Michel, près de la Feuillée, ne dépasse pas quatre cents mètres. Quant aux montagnes Noires, leur point culminant, qui pénètre dans la presqu’île de Crozon, sous le nom de Menez-Hom, a une hauteur de trois cent trente-un mètres. Le granit, le gneiss, le micaschiste, le leptinite, la protogine, concourent avec les schistes maclifères, le phyllade commun, amphiboleux et talqueux, à la formation des masses minérales du sol, qui appartiennent au terrain primitif et au terrain de transition. Mais les roches granitiques, emblème véritable de l’opiniâtreté et de l’immobilité bretonne, dominent surtout dans la structure de la péninsule : partout elles se montrent à nu, avec leurs teintes bronzées ou rougeâtres, comme pour accuser la forte charpente de la terre. Travaillées par l’industrie humaine, elles prennent aussi toutes les formes, et se prêtent à tous les usages. Les monuments du druidisme, les calvaires, les cathédrales gothiques, les chapelles des saints, les donjons féodaux, les fortifications des villes, les quais des ports, les vieux manoirs, tout est taillé dans le granit. L’emploi de cette pierre donne aux constructions un caractère de grandeur et de durée, qui est en parfaite harmonie avec l’aspect général de la Bretagne et le caractère de ses habitants. Les côtes de la presqu’île sont à la fois les plus dangereuses et les plus hospitalières de l’Océan. Si la nature y a multiplié les plus beaux ports, les baies et les rades les plus vastes, elle y a aussi prodigué les écueils. Dans les départements du Morbihan et de la Loire-Inférieure, les côtes sont presque toujours basses et sans escarpement; mais dans les autres parties du littoral, le Finistère surtout, elles s’élèvent abruptement au-dessus des flots. Là, la nature a voulu proportionner la force de résistance aux atteintes continuelles des vagues. L’aspect tourmenté du rivage, ses effrayantes déchirures, ses nombreuses pointes de terre minées de toutes parts, et sa ceinture d’âpres rochers, présentent le spectacle le plus imposant, le plus sauvage et le plus mélancolique qu’on puisse imaginer. La baie des Trépassés, et les récifs de la pointe du Baz et de Penmarch, théâtre de tant de naufrages, sont situés sur cette côte de fer. Du reste, l’action continue de la mer a parsemé les contours du littoral d’une multitude d’îlots. Le Morbihan, dans sa profonde échancrure, renferme tout un archipel : l’Ile-aux-Moines et l’Ile d’Arz en font partie. Les îles les plus considérables sont celles d’Ouessant, de Groix, et de Belle-Isle. Toutes les trois rappellent des campagnes ou des actions fameuses dans l’histoire de nos guerres maritimes. Un des traits les plus remarquables de la physionomie de la Bretagne, c'est que la plupart de ses villes ont été fondées sur sa lisière maritime. Cela tient à la nature et à la direction des rivières : à l’exception de la Loire, aucune d’elles n’est navigable de son fonds propre. Les plus importantes sont : la Vilaine, qui reçoit l’Ille, le Meu, l’Oust, le Don et le Cher; la Rance; le Bravet, avec ses principaux affluents, le Scorff, la Sarre et le Salaün ; le Léguer ou le Lek; le Jaudy ; l’Ellé, l’isole et le Kemperlé, une seule et même voie fluviale, sous trois noms différents ; l’EIorn ; l’Aulne ou le Châteaulin, grossies par l’Hyère, le Gouanez et le Dourduff ; le Trieux avec ses affluents, le Leff et le Dourlan ; enfin le Coesnon ou Couasnon. Tous ces cours d’eau, qui se jettent dans l’Océan, ne deviennent accessibles aux navires que par le retour de la marée. Les Bretons, pour s’assurer de faciles communications avec la mer, se sont donc établis aux points où les rivières s’élargissent et forment des espèces de baies : Ces contrastes donnent à la physionomie de la Bretagne un caractère tranché qui frappe tous les observateurs. Un moine comparait la presqu’île à la couronne de sa tonsure. M. de Toustain Richebourg, ancien officier de cavalerie, lui trouvait une autre ressemblance : elle est, disait-il, comme un fer à cheval, bien garni à l’entour et presque vide au milieu. C’est, remarquait encore l’historien De Laporte, un cadre brillant dont le fond est triste. Le climat de cette province est généralement très-sain ; les hivers, plus humides que rigoureux, s’y ressentent de l’influence de la mer; les étés y sont tièdes et doux. Tout y dispose l’esprit au repos et à ces vagues rêveries si chères aux Bretons. Il y circule dans l’air comme un souffle de poésie : aussi verrons-nous que nulle part le sentiment poétique n’est plus répandu ni plus délicat. Qui ne reconnaît à ce récit la forêt de Brécilien ou de Brocéliande, dont les auteurs des romans de la Table Ronde nous ont fait une peinture si saisissante? Des fragments considérables de cette immense agglomération d’arbres se sont conservés jusqu’à la fin du XVe siècle : il y a trois cents ans, quarante mille arpents de bois entouraient encore la ville de Loudéac. Cette forêt, comme celles de Quintin, de Lanouée, de la Hardouinaie et de Paimpont, a fait évidemment partie de l’ancienne Brocéliande. Morvan était le digne descendant de cette race de Kimris ou de Celtes, qui, des plateaux de l’Himalaya et du Tibet, se frayèrent, les armes à la main, une route nouvelle à travers l’Asie et l’Europe; et qui, après avoir laissé partout sur leur passage des colonies puissantes et des monuments de leur religion, se répandirent dans les Gaules et jusque dans les îles britanniques. De nombreuses tribus de Kimris s’établirent alors au bord de l’Océan, sur le littoral de la Gaule, et lui donnèrent le nom d’Armorique (de l’article ar et du substantif mor), c’est-à-dire de pays de la mer; dénomination générale dont l’application se restreindra de plus en plus et finira par être limitée à la seule province de Bretagne. Il n’a peut-être manqué aux Venètes que le temps et un sort plus favorable pour égaler les Phéniciens et les Carthaginois. Un sentiment admirable de leur position, de leur aptitude et de leurs intérêts en fit un peuple de navigateurs : supérieurs en cela aux Bretons, qui n’ont jamais songé à se créer une force maritime, ils comprirent que la puissance armoricaine devait principalement reposer sur la mer. Strabon et Jules César nous donnent la description de leurs navires, également propres à la grande navigation et au petit cabotage. Sur ces embarcations, qui tiraient peu d’eau, ils pénétraient, à travers les écueils et les bancs de sable, dans les rivières et dans les ports les moins accessibles. C’étaient les plus hardis et les plus habiles marins de la Gaule occidentale : ils exerçaient sur l’Océan le même empire que les Massaliotes sur la Méditerranée. Tout le commerce des îles Britanniques se faisait par l’intermédiaire de leurs marchands. Ils avaient fondé de nombreux établissements sur les côtes de la Bretagne insulaire : une de leurs colonies avait donné le nom de Vénédotie ou de pays de Guenet à la côte septentrionale de la Cambrie . Cependant l’arrivée d’un seul homme dans les Gaules allait amener la ruine de la liberté, du génie, des croyances, des mœurs et de la civilisation kimriques. Jules-César avec ses légions romaines défit, en quelques campagnes, toutes les armées que lui opposèrent les Gaulois pour la défense de la commune patrie. Lorsque les nations celtiques mirent sur pied deux cent soixante-six mille hommes pour lui livrer une dernière bataille, le contingent des Armoricains fut fixé à trente-six mille combattants, ou au septième de la levée générale. Cette fois encore la fortune favorisa les armes de César, qui fit passer sous le joug toutes les nations de la Gaule (57 ans avant J.-C.). Telle était la consternation des peuples, qu’il suffit à P. Crassus de se montrer avec une légion pour déterminer les Armoricains à se soumettre. Sans doute les Vénètes n’étaient point préparés pour la lutte, puisqu’ils n’opposèrent aux Romains aucune résistance. L’envahissement projeté de la Bretagne insulaire, par Jules-César, les décida bientôt à tout risquer pour prévenir une expédition qui pouvait être si funeste à leurs intérêts. Le chef Caswallaun vint à leur secours avec un corps de Bretons, et partagea leur défaite, comme nous l’apprend le livre des Triades. Fidèles à leur génie maritime, les Vénètes attendirent sur leurs vaisseaux l’attaque des Romains. L’Armorique fut une des provinces qui formèrent la troisième Lyonnaise. Nous passerons sous silence l’histoire de cette péninsule sous la domination romaine. Les conquérants s’appliquèrent à réduire les populations de la Cornouaille, au milieu desquelles l’esprit de liberté s’était réfugié ; ce fut pour les subjuguer ou pour les contenir qu’ils établirent des postes militaires à Léon, à Kemper et à Carhaix, jusque dans les montagnes d’Arrhès. La soumission de ces Bretons intrépides, qui trouvèrent des chefs dignes de les commander, ne fut jamais complète. Les sentiments de nationalité et d’indépendance se perpétuèrent dans quelques districts, et préparèrent l'affranchissement de la patrie. Le druidisme, proscrit par la politique romaine, s’était retiré avec ses prêtres et ses prêtresses dans les profondes retraites de la forêt de Brocéliande. Longtemps il s’y maintint et y exalta jusqu’au fanatisme le désir de vengeance et la haine du nom romain. La superstition populaire a gardé le souvenir de ce séjour des druides et des druidesses sous les vieux chênes : de là ces sorciers, ces poulpiquets et ces fées, qui peuplent encore les bois et les pierres druidiques de la Bretagne. Mais un ennemi bien plus redoutable allait attaquer le druidisme dans ses derniers retranchements. Vers la fin du IIIe siècle, saint Clair apporta le christianisme dans l’Armorique. Les progrès de la foi nouvelle, arrêtés ou combattus par le polythéisme romain et par les croyances druidiques, furent d’abord assez lents ; enfin, l’expulsion des magistrats romains la débarrassa de ses ennemis les plus dangereux. Les prêtres de l’ancienne religion de la Gaule cédèrent alors, moins par conviction que pour conserver leurs biens : les collèges druidiques se changèrent en couvents, et les archidruides devinrent évêques. Il se fit une singulière alliance de tous les dogmes et de toutes les superstitions. Jusqu’aux VIIe et VIIIe siècles les vrais chrétiens luttent contre la puissance de ce vieil esprit du druidisme. Nous voyons le concile de Vannes reprocher aux clercs, en 465, de cultiver la science divinatoire. Deux cents ans plus tard le concile de Nantes ordonne de détruire les pierres et de déraciner les arbres autour desquels le peuple se rassemble, dans les lieux sauvages et retirés, avec une vénération qui tient de l’idolâtrie. On était à la veille d’une grande révolution. Livrés sans défense à l’invasion des barbares et ne trouvant plus dans les Romains que des oppresseurs, les peuples des deux Bretagnes se révoltèrent contre l’autorité impériale (409 ou 410). « Ilschassèrent les magistrats romains, » dit Zozime, « et s’érigèrent en république. » La seule explication raisonnable à ce passage, c'est que les Bretons rétablirent les anciennes institutions de leurs pères. Les traditions, les formes de l’organisation politique et hiérarchique des temps passés s’étaient conservées à l’extrémité occidentale de l'Armorique : ce furent probablement les peuplades de la Cornouaille qui donnèrent le signal de la révolte. Or, chez les Armoricains, comme dans le reste de la Gaule, la famille était la base, et la féodalité le principe de la société et du gouvernement. Au-dessous du Penteyrn ou Brenhin, c’est-à-dire du roi des peuples confédérés, il y avait des chefs appelés Mactierns, Tierns ou Tyrans; ces dernières dignités subsistèrent même jusque dans le XIe siècle. Le Brenhin, choisi par voie d’élection dans les temps difficiles, soit pour mettre un terme aux déchirements intérieurs, soit pour repousser l’invasion étrangère, prenait la direction générale des affaires. La nation se subdivisait presque à l'infini en tribus ou dans, qui formaient autant d’associations partielles : par communauté d’origine ou par une convention tacite, tous les hommes placés sous le patronage d’un chef étaient réputés membres de sa famille. Celui-ci, comme représentant de l’état, possédait le fonds ou le dessous du sol, ceux-là en avaient la surface : on ne pouvait retirer au membre du clan sa part de propriété sans lui en donner le prix, d’après la valeur qu’elle avait acquise entre ses mains. Mais il devait au maître du fonds une redevance annuelle en nature ou en argent. D’un côté, le chef s’engageait à protéger et à défendre ses hommes en toutes circonstances; d’un autre côté, ils s’identifiaient complètement avec ses intérêts et se dévouaient à sa personne. Tous ne jouissaient pas également des mêmes avantages. Les uns étaient libres, tandis que, pour beaucoup, l’obligation ou le devoir dégénérait en servitude; de là, les ambactes, les soldures et les obœrati, dont parlent les anciens historiens. Il y avait en outre, pour la discussion ou pour le jugement des affaires, une assemblée et un tribunal dans lesquels les principaux membres du clan étaient appelés à siéger. Ainsi, dans ce système, le privilège aristocratique ou féodal s’alliait au droit naturel, et la dépendance à la liberté. Remarquons encore que la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul était l’exception, et le partage de l’autorité la règle commune. Cette observation n’est pas sans importance, puisqu’elle est un argument décisif contre l’établissement et la transmission d’une souveraineté unique en Bretagne, dans les premiers siècles de son affranchissement. Les Romains, après avoir fait quelques tentatives infructueuses pour réduire les Bretons, leur accordèrent, par un traité, le titre d’alliés de l’empire. Les termes de cet important traité ne nous sont point connus ; ce fut sans doute une transaction qui réserva les droits des deux parties contractantes. Si les Bretons n’avaient plus rien à craindre du côté des Romains, ils étaient menacés par d’autres ennemis. Les Alains s’étaient établis dans le Maine, sur la frontière de la Bretagne, les Franks avaient déjà franchi le Rhin ; il existait à Rennes une colonie létique de ce dernier peuple, fondée par les empereurs. Les Normands n’avaient pas encore formé des établissements sur les rives de la Loire et de la Seine ; mais les Saxons avaient porté leurs ravages jusqu’au cœur de la Bretagne insulaire. La grande île, après une lutte désespérée, resta au pouvoir des hommes du Nord. Elle perdit ce nom de Bretagne, que ses enfants avaient donné à la péninsule ; sa vieille nationalité détruite, fit place à une autre nationalité, étrangère aux peuples de l’Armorique. Bref, dans le temps même où ils étaient pressés par de puissants ennemis du côté de la terre, les Armoricains voyaient détruire leur alliée naturelle, et s’élever vis-à-vis de leurs côtes une puissance hostile. L’isolement de cette nation, au milieu du monde, se trouvait accompli; elle l’accepta avec la résignation qui est dans son caractère, et son courage n’en fut point abattu. Quels ont été les premiers chefs des peuplades de l’Armorique, après l’expulsion des magistrats romains? Le conan de la côte septentrionale, Meriadec, ne paraît ni avoir pris l’initiative de ce mouvement, ni en avoir eu la direction principale. Les historiens bretons, malgré leur évidente partialité, n’osent pas lui attribuer ce rôle. Cependant, s’il faut les en croire, les Armoricains décernèrent au lieutenant de Maxime l’autorité suprême ; tous les mactierns ou tierns indigènes s’effacèrent devant lui. Il fut leur penteyrn ou roi suprême, et avec lui commença la monarchie bretonne. L’abbé Gallet, dans son impatience d’établir l’unité territoriale de cet état naissant, fait régner Meriadec, non-seulement sur toute l’Armorique, mais sur le Poitou et le Berry. Enfin, constituant du même coup l’hérédité du pouvoir dans la nouvelle dynastie, il donne à Meriadec son petit-fils Salomon pour successeur (421 ). Lorsque les Armoricains eurent secoué le joug de la domination romaine, le territoire de la péninsule fut divisé en plusieurs petits états auxquels la possession, la force et l’élection donnèrent des chefs; les pays d’Aleth, de Tréguier, de Goëllo, de Léon, de Cornouaille, de Vannes, formèrent ainsi une espèce d’heptarchie. Tous les chefs de ces principautés indépendantes prirent indistinctement les noms de comtes, de ducs ou de rois des Bretons. Tel fut le conan Meriadec, dont on a voulu faire le souverain unique du pays. Les limites de cette Introduction ne nous permettent point de donner la liste des princes qui régnèrent successivement sur les diverses parties de la Bretagne; encore moins pouvons-nous donner l’histoire de leurs entreprises, de leurs guerres, de leurs divisions ou de leurs crimes. Pour la plupart, ils soutinrent avec courage et avec gloire la cause de l’indépendance bretonne contre les Romains, les Alains, les Frisons, les Wisigoths et les Franks : tantôt ils portèrent la guerre dans le Maine, le Poitou, le Berry, la Touraine; tantôt ils furent repoussés et poursuivis par leurs ennemis jusqu’au centre de la péninsule. Nantes conserva pendant longtemps ses comtes ou gouverneurs romains. Rennes, avec sa colonie de Francs-Lètes, fut comme un poste avancé de la puissance franque. Parmi les chefs bretons, ceux de la Cornouaille représentèrent surtout l’esprit national ; c’est de là que sortirent Budic, Guérech et Nominoé, qui régnèrent sur toute la Bretagne. Pendant leurs guerres contre les Barbares, les Armoricains reçurent de puissants secours des bretons insulaires, en retour des troupes qu’ils avaient eux-mêmes envoyées aux habitants de l'île pour les défendre contre les Saxons. Grâce à cette assistance de leurs amis d'outremer, Budic et Hoël purent délivrer la péninsule de la présence des Frisons (490 et 509). Le chroniqueur Le Baud prétend qu’Arthur, le fameux chef des chevaliers de la Table-Ronde, passa en Armorique dans cette circonstance avec son cousin Hoël. Il ne s’arrête même pas en si beau chemin. Tandis qu’il a le roi Arthur sous la main, il le conduit en conquérant d’une extrémité de la Gaule à l’autre, et lui fait tenir à Paris une « cour plénière où furent tous les roys des isles qu’il avoit submises, les ducs de Bretagne, les barons de Flandre et de Bourgogne et les princes d’Aquitaine.» Mais laissons là le roman et revenons à l’histoire. Arthur fut un des derniers et des plus intrépides défenseurs de la Bretagne insulaire ; il ne put la préserver de l’oppression étrangère, comme on l’a déjà vu. Ce fut vers la fin du Ve et le commencement du VIe siècle qu’une multitude d’habitants de l’île voisine débarquèrent en fugitifs sur la côte septentrionale de la péninsule. Ils furent accueillis comme des frères par les Armoricains, et ils répandirent parmi eux cette haine des Saxons ou des Anglais, que le temps n’a pas encore entièrement effacée . Dans l’émigration générale, les hommes de tous rangs, de toutes conditions, de toutes croyances, rois, chefs, vassaux, prêtres, bardes, druides peut-être, se trouvèrent confondus. Les souvenirs, les récits fabuleux, les traditions de l’antique Bretagne, furent donc transportés sur le continent. L’imagination des peuples se reporta naturellement à Merlin, dont la science merveilleuse avait annoncé la grande catastrophe, et au roi Arthur, qui avait combattu si héroïquement pour défendre son pays. L’archidruide fut regardé comme un enchanteur, et son livre de prophétie devint l’oracle des peuples ; le temps fortifia si bien cette opinion, que pendant le moyen âge on n’engagea pas une affaire importante, une négociation, une bataille, un combat singulier, sans consulter le prophète Merlin. Quant à Arthur, il fut pour ainsi dire divinisé par la superstition populaire. Il en coûtait trop aux Bretons d’admettre la mort d’un chef qui avait emporté avec lui dans la tombe les dernières espérances des hommes de sa race. « Il est encore vivant, » disaient-ils ; « les fées protectrices l’ont conservé pour le jour de la vengeance. » D’ailleurs le grand Merlin, en leur prédisant qu’ils repasseraient la mer, ne leur avait-il point désigné Arthur comme le héros auquel il était réservé de les ramener victorieusement dans leur ancienne patrie? Mais la civilisation avancée dont les romans de la Table-Ronde étaient l’image plus ou moins fidèle devait s’effacer comme un songe et ne laisser derrière elle qu’un lumineux sillon. Ces mœurs de la vieille forêt et des antiques châteaux, ces charmants loisirs, ce peuple de galants paladins, de poètes et de joueurs de harpe, cette recherche aventureuse de la gloire et des plaisirs, ce monde enchanté de sorciers et de fées, tout cela va disparaître au milieu des guerres et des ravages occasionnés par les invasions franques et normandes. Des générations, des lois et des choses, pour ainsi dire, renversées et transformées dans le sang, il sortira comme une Bretagne nouvelle : le moyen âge, avec sa civilisation gallo-bretonne, succédera aux époques purement kimriques et armoricaines ; ce sera déjà, par le gouvernement, la société, les idées et la langue, un commencement de fusion dans la grande nationalité française. Ici se présente la question si longtemps et si vivement débattue de la mouvance de Bretagne. Ce pays formait-il un état indépendant gouverné par ses institutions nationales, ses principes particuliers, et ne relevant, après Dieu, que de son épée? ou bien était-il un grand fief du royaume de France devant hommage à ses souverains, reconnaissant leur autorité et se conformant à la règle générale de l’état relativement à quelques droits réservés? Enfin la vassalité du duc de Bretagne entraînait-elle le serment simple ou le serment lige; en d’autres termes, regardait-elle seulement le fief ou supposait-elle la double dépendance de la terre et de la personne? Cette question d’histoire devint une question d’état, et on écrivit des volumes pour et contre. La royauté et ses ministres, le parlement et les états de la province, les historiens bretons et les légistes français, prirent une part active au débat : plus d’une fois le gouvernement royal, pour faire triompher son droit, proscrivit les livres et persécuta les écrivains qui lui étaient contraires. De part et d’autre, on compliqua d’ailleurs étrangement les points en litige, en prétendant se reporter à l’origine des choses et en réduisant tout à une question d’antériorité. Les premiers établissements des peuples de la Bretagne insulaire dans la presqu’île ont été formés de 364 à 383, affirmaient les historiens du pays, tandis que la domination de Chlodwig sur la Gaule ne remonte pas au delà de l’année 495 ; donc, il est évident que les Bretons ont sur le sol un titre de possession de beaucoup antérieur au droit du chef mérovingien. Mais les légistes français, pour détruire la force de cet argument, faisaient arriver les colonies de l’île de Bretagne à une époque postérieure à la fondation de la monarchie, et soutenaient qu’elles s’étaient établies sur les terres de la péninsule, avec l’autorisation et en reconnaissant la souveraineté des rois franks. N’était-ce pas envisager la question sous un point de vue étroit, et la subordonner à des considérations purement critiques? C’est dans une sphère plus élevée qu'il fallait chercher la solution de ce fameux débat. Comme les particuliers, tous les états ont une raison d’être, à laquelle ils ne peuvent se soustraire sans s’exposer à périr. Cette raison est dans l’assiette, la configuration, les limites naturelles d’un pays ; elle en fait un tout, elle lui donne une certaine étendue, et lui assigne des bornes qui lui permettent d’exister, de se maintenir et de se défendre. Elle constitue, par conséquent, une loi antérieure à tous les établissements humains, et à laquelle les peuples sont obligés de se soumettre et de se conformer du moment où ils s’attachent au sol. Tel est, selon nous, le principe qui poussa les chefs de la monarchie franque ou française à poursuivre, comme les empereurs romains, la réunion de la Bretagne au reste de la Gaule. Dès l’année 560, Clothaire occupait Nantes, Rennes, Aleth. Son autorité s’étendait même jusque sur une partie de la Cornouaille : nous voyons Withur ou Guitur, comte de Léon, reconnaître la suzeraineté du roi frank. Un peu plus tard le comte de Vannes, Guérec’h, paie le tribut à Chilpéric. Toute la Bretagne orientale passe bientôt sous la domination des princes mérovingiens. Mais la Bretagne occidentale redevint, comme au temps des empereurs, le refuge et le rempart de l’indépendance bretonne. Charlemagne entreprit de la réduire vers la fin du VIIIe siècle : le grand maître de sa maison, Andulphe, et le comte Guido, préposé à la garde des marches d’Anjou, accomplirent cette conquête (786-799). Cependant nous doutons que toute la Cornouaille se soit soumise; probablement les plus braves Bretons se retirèrent dans ses montagnes inaccessibles pour y attendre de meilleurs jours. Louis-le-Débonnaire maintint la péninsule sous son autorité; Charles-le-Chauve la perdit par la révolte d'un chef entreprenant. Le gouverneur de Vannes, Nominoé, était devenu le lieutenant des rois franks en Bretagne; il profita habilement des avantages de sa position pour s’emparer du pouvoir souverain, et pour rétablir la monarchie bretonne. La faiblesse et l’incapacité de l’empereur assurèrent le succès de cette entreprise, autant que l’esprit de patriotisme et d’indépendance des populations de la Cornouaille; les Franks en avaient d’ailleurs facilité l’accomplissement en ramenant à l’unité territoriale toutes les parties de la péninsule (845). La descendance masculine de Nominoé s’éteignit avec Salomon lit, en 874. La couronne ducale passa alors, par les femmes, sur la tête d’Alain Barbe-Torte, qui fut le fondateur d’une dynastie nouvelle. En 1164, le mariage de Constance, fille du duc Conan IV, avec Geffroi, troisième fils de Henri II, donna le duché aux Plantagenets. Le meurtre du jeune duc Arthur, par son oncle Jean sans Terre, mit presque aussitôt fin à cette troisième dynastie (1202). Alix, fille de Constance et de Gui de Thouars, et héritière du duché, le porta ensuite dans une branche cadette de la maison de France, en épousant Pierre de Dreux, petit-fils du roi Louis le Gros (1212). Le duc François II fut le dernier des descendants mâles de ce prince (1488). II laissa le trône à la duchesse Anne sa fille, qui, par son mariage avec Charles VIII, amena enfin la réunion du duché à la France. Depuis le IXe siècle, la transmission de la couronne ducale d’une dynastie à une autre s’était donc toujours accomplie par les femmes. A partir du règne d’Alain Barbe-Torte, le gouvernement des ducs de Bretagne devient tout à fait monarchique. Ces princes s’appliquent à réduire la puissance des grands vassaux et des hauts barons, qui avaient succédé aux tierns et aux mactierns de l’Armorique. Soit par la force des armes, soit par des alliances, ou par une politique habile, ils parvinrent à réunir au domaine ducal les comtés de Rennes, de Nantes, de Cornouaille, de Léon, de Vannes; la prise ou l’acquisition d’un grand nombre de villes, de châteaux, de seigneuries, de terres, accrurent encore leur puissance. Le duc Conan III et Pierre de Dreux travaillèrent surtout sans relâche à réduire le pouvoir des barons et de la noblesse ; ce dernier déploya dans l’accomplissement de cette tâche difficile, une intelligence, une profondeur et une énergie qui en firent un des plus grands hommes de son siècle et le souverain le plus éminent de la Bretagne. Mais quelques efforts qu’on eût faits pour la désarmer et pour l’abattre, jamais la haute aristocratie ne fut complètement soumise. On peut même dire qu’elle maintint les souverains de la Bretagne dans sa dépendance jusqu’au dernier moment : François II et la duchesse Anne ne furent que des instruments plus ou moins dociles entre ses mains. A la tête de cette fière noblesse, illustrée par les Raoul de Fougères, les Charles de Dinan, les Tinteniac, les Jean de Beaumanoir, les Laval, les Olivier de Clisson, les Du Guesclin, les Tanneguy Duchâtel, les Chateaubriand, étaient les deux puissantes familles de Penthièvre et de Rohan. Ce que ces maisons possédaient en villes, bourgs, villages, châteaux, forteresses, seigneuries, terres, forêts, usines, est à peine croyable; aussi étaient-elles en grande partie maîtresses de la richesse mobilière du pays et exerçaient-elles une irrésistible influence sur les populations. Quoique les Rohan n’appartinssent point d’aussi près que les Penthièvre, à la famille ducale, ils se vantaient de leur antique origine ; on connaît leur devise, si orgueilleusement expressive dans sa concision : Rohan je suis, duc ne daigne, roi ne puis. Les hauts barons siégeaient dans les parlements des ducs et dans les assemblées des états. Le pouvoir des souverains de la Bretagne était limité par les coutumes, la liberté et les privilèges du pays : les états votaient les impôts, et sans leur participation aucun changement ne pouvait être fait aux lois ni au droit coutumier. Nous les verrons bientôt, en plusieurs circonstances, partager avec les ducs l’exercice du pouvoir souverain. La constitution régulière des états ne date guère que de la réunion de l’assemblée générale qui eut lieu à Vannes en 1203, après le meurtre du prince Arthur par Jean sans Terre; dans le siècle suivant, en 1309, à la convocation de Ploërmel, on vit pour la première fois les députés du tiers assister et prendre part en corps aux délibérations comme les ordres de la noblesse et du clergé. Tous les gentilshommes bretons, sans distinction de position ni de fortune, avaient le droit de siéger aux états. On voyait s’y présenter de cinq à quinze cents nobles ; parmi eux, beaucoup étaient si pauvres qu’ils vivaient des dons de l’assemblée. Le nombre, le rang et la position, donnaient donc à l’aristocratie bretonne de grands avantages sur les députés du tiers. Comme on délibérait et votait par ordre, il lui était d’ailleurs facile, en s’entendant avec le clergé, de s’assurer la majorité dans presque toutes les questions. Quant à la bourgeoisie, elle était plus puissante et se sentait mieux à l’aise dans ses assemblées municipales que dans les réunions des états. Aux communes affranchies par le duc Conan III, pour contenir ou neutraliser la noblesse, ses successeurs en avaient ajouté beaucoup d’autres. Nous aurons l'occasion de faire connaître quel développement et quelle énergie le sentiment démocratique avait pris à Saint-Malo et à Morlaix, véritables républiques marchandes et guerrières. Cependant les municipalités des villes de la Bretagne, qui n’étaient en général que la paroisse constituée en corps délibérant, étaient loin de jouir d’aussi grandes libertés que les communes du nord de la France. L’origine du droit coutumier de la province remontait au règne de Hoël le Grand; il était basé sur les ordonnances de Jean II et sur les établissements de saint Louis. Les coutumes, longtemps éparses, avaient été réunies et rédigées par les soins de Jean III. Les pays de Rohan, de Goëllo, de Porhoët, avaient leurs usances particulières. N’oublions pas de dire que le domaine congéable était en usage dans presque toute la Bretagne; de même que dans les anciens clans, il livrait la surface du sol à l’exploitant et en réservait le fonds au propriétaire. Aujourd’hui cette province est française de cœur, comme elle l’est de fait ; mais elle n’en est pas moins jalouse de son glorieux passé ; elle tient à conserver ses monuments, ses vieux souvenirs, sa religion, ses mœurs, sa langue et son costume. L’influence du temps et le voisinage de la France ont affaibli la tradition bretonne dans les départements d’Ille-et-Vilaine et de la Loire-Inférieure ; elle s’est mieux conservée parmi les habitants des Côtes-du-Nord, du Morbihan et du Finistère; c’est là aussi que l’usage de la langue nationale est le plus répandu. Près de douze cent mille personnes, dans toute la province, parlent cette langue, si intéressante par son origine celtique. Ses principaux dialectes sont ceux des pays de Léon, de Tréguier et de Vannes. Depuis la brillante époque des romans de la Table-Ronde, la littérature bretonne a produit un grand nombre d’ouvrages importants ; mais elle est principalement riche en poésies populaires. Tout le monde a voulu lire le recueil de chants qui a été publié par M.Théodore de la Villemarqué, sous le titre de Barzas-Breis. Quoique à la première vue les poésies populaires de la Bretagne paraissent avoir quelque chose de décousu et d’incohérent, on ne peut s’empêcher d’y prendre un grand intérêt. Cette incohérence apparente ne fait même qu’ajouter un charme nouveau au récit, en lui donnant nous ne savons quelle forme abstraite, vague et mélancolique. L’unité n’est ni dans l’exposition des faits, ni dans l’enchaînement des idées, ni dans la coupe des stances; elle est tout entière dans la puissance, la vérité et la profondeur du sentiment . Références. Strabon, liv. iv.—Notice de L’Empire.—Dion Cassius, liv. XXIX.— Cæsar, De Bello gallico, lib. I. — Plinii, Histor. nat. — Grégoire de Tours. — Gildas, De excidio Britanniœ. — Probert, Triades de l'Ile de Bretagne — Dom le Pelletier, Dictionnaire breton-français. — L’abbé Gallet, Mémoires sur l’origine des Bretons armoricains. — Ritson, Annals of the Caledonicans. — Galfredi Monumethensis, Historia Britannica. — Toussaint de Saint-Luc, Histoire de Conan Mériadec. — Dom Bouquet, Recueil des historiens de France. — Nicholas Vignier, Traité de l’ancien état de la petite Bretagne. — Le Huérou, Recherches sur les origines des Bretons. — Ogée, Dictionnaire historique, publié par M. A. Marteville. — Alain Bouchard et Le Baud, Chroniques de Bretagne. — Daru, Dissertation sur la conquête de la Bretagne par Clovis. — Dom Morice, et dom Lobineau, Histoire de Bretagne. — Michelet, Histoire de France. — A. de Courson. Essai sur la Bretagne armoricaine, et Origines et institutions des Bretons armoricains. — Varin, Observations critiques sur l’établissement des Bretons insulaires dans la Bretagne armoricaine.— Pierre Hevin, Coutumes générales des pays et duché de Bretagne. — De Pontbriand, Histoire des Etats de Bretagne. — Puillon Boblaye, Géologie de la Bretagne. — Duchâtellier, Statistique du département du Finistère. — Emile Souvestre, les Derniers Bretons. — De La Villemarqué, Barzas-Breis, t. I, Introduct. — Essai sur les origines des Bretons, manusc. de M- A. Milliard,
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