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Mont de Marsan vers 1850,
gravure extraite de la carte des Landes de Vuillemin - 1851
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Texte de M. Pascal Duprat extrait de l'Histoire des villes de France d'Aristide Guilbert - 1859 Collection personnelle
Histoire détaillée de Mont-de-Marsan Quelques restes d’un vieux temple, qui avait été consacré au culte de Mars et dont la fondation remontait, sans doute, à l’époque de la domination romaine, existaient autrefois sur les bords de la Douze et du Midou : cette circonstance et la configuration du sol, légèrement enflé dans ce bassin, ont fait donner le nom de Mont-de-Marsan, ou Montagne de Mars, à la ville qui s’élève près du confluent de ces deux rivières. L’origine de Mont-de-Marsan, que les historiens les plus savants de la France méridionale placent au XIIe siècle, se rapporte à une époque antérieure. Charlemagne en jeta les fondements Au retour de sa malheureuse expédition en Espagne, ce fils de Pépin s’arrêta dans l’ancienne Aquitaine ; voulant mettre un peu d’ordre dans ce pays tourmenté par de récentes révolutions, il y créa quelques centres administratifs désignés sous le nom de proconsulies : Mont-de-Marsan devint avec les terres voisines l’une de ces divisions, comme nous l’apprend une vieille charte écrite en langue romane. Voici les paroles de ce précieux manuscrit, monument à la fois historique et littéraire : Achesta de Marsan am terras besianas et capduhl jondet sober corren de Doxo embe Midoxo, sober rudeas do templo ob arcia de Mards. « Il forma aussi la proconsulie de Marsan, et lui bâtit une capitale le long de la Douze et du Midou sur les ruines du temple ou de la citadelle de Mars. » Cette position devait plaire au génie organisateur de Karl-le-Grand, qui cherchait à lier entre elles toutes les parties du territoire soumis à sa domination. A l’extrémité de la presqu’île, où Mont-de-Marsan s’élevait, la Douze et le Midou réunissaient leurs eaux, et la nouvelle rivière sortie de leur confluent, la Midouze, plus navigable alors qu’elle ne l’est aujourd’hui, comme semblent le prouver les expéditions des Normands, rattachait le pays où elle venait de naître à l’Adour et à l’Océan, dont il importait dans ce siècle de surprises et d’invasions maritimes de garder soigneusement tous les chemins. Mont-de-Marsan devait donc présenter tous les avantages d’un poste fortifié. C’est là le caractère que lui donne la charte dont nous avons déjà cité un fragment : mirarelhos amen fermida, mult impendimens, mult homs de goerra. Malheureusement, cet appareil de défense ne put sauver la ville du désastre qui vint la frapper pour ainsi dire dans son berceau. Lorsque les Normands envahirent l’Aquitaine, vers le milieu du IXe siècle, ils remontèrent la Midouze jusqu’à Mont-de-Marsan. La ville était sur ses gardes ; Deodatz, ou Dieu-Donné de Lobanner, s’y était enfermé avec des troupes assez nombreuses. Les Normands l’y assiégèrent en 841 : la résistance fut vive et énergique. Lobanner, dans les premiers jours de l’attaque, tenta plusieurs sorties qui eurent le plus grand succès. Il brûla la flotte des Normands, et leur tua plus de cinq mille hommes. Mais la persévérance des assiégeants finit par l’emporter. Ils pénètrent dans la ville, abattent les remparts et démolissent les maisons, dont ils dispersent les pierres dans le lit de la Midouse et dans les champs voisins. Leur fureur ne s’arrête pas là, ils promènent la charrue au milieu des débris, comme pour effacer jusqu’au dernier vestige de la cité de Charlemagne. Puis ils se dirigent vers l’Océan emmenant avec eux Deodatz qu’ils avaient fait prisonnier. Pendant leur retraite, ils essuient des pertes considérables : le fils de Lobanner rencontre et détruit une de leurs bandes dans la paroisse de Saint-Pierre. D’un autre côté, le duc de Gascogne et le comte de Bigorre, qui ont rassemblé des troupes dans les landes situées au nord de Mont-de-Marsan, y attendent les pirates. Attaqués à l’improviste au moment où ils vont regagner leurs vaisseaux, ces barbares perdent un grand nombre des leurs et sont obligés d’abandonner une partie du butin dont ils étaient chargés. Après la destruction de Mont-de-Marsan, la maison de Lobanner se réfugia dans le château de Roquefort : les terres comprises entre la Douze et le Midou et nommées Cap de Nards dans les vieux documents relatifs à cette époque, furent accordées à des cavers ou chevaliers qui les possédèrent jusqu’au XIIe siècle. En 1141, les descendants de Deodatz songèrent à relever les ruines de Mont-de-Marsan. Ce n’était pas seulement pour eux un acte de piété domestique ; plus d’un intérêt les y conviait. Les habitants de l’Armagnac, par de fréquentes incursions, dévastaient le pays. En outre les rives du Midou, envahies par une épaisse forêt, étaient devenues le théâtre de toutes sortes de brigandages ; on avait donné le nom de Naü-Pas, mauvais pas, ou pas fatal, à ce foyer de crimes. Ce fut pour mettre fin à tant de maux que Pierre de Lobanner résolut de rebâtir la ville fondée autrefois par Charlemagne. Le territoire où elle avait existé appartenait alors à Béranger de Cantaloup : celui-ci en fit la cession au fondateur de la nouvelle cité. Un acte précieux, écrit en langue romane, comme celui que nous avons indiqué plus haut, nous a conservé la mémoire de cet événement. L’histoire de Mont-de-Marsan se lie d’une manière trop étroite à cet ancien document pour que nous n’en donnions point ici la traduction.
Après avoir tracé ces limites, qui nous indiquent à la fois l’enceinte des deux villes, de celle du VIIIe siècle et de celle du XIIe, la vieille charte reproduit la donation qui fut faite de ce territoire par Cantaloup à Lobanner.
Quelques droits étaient assurés à Bérenger de Cantaloup par l’acte même de donation. Il conserva le droit de tour au milieu de la cité et une partie du territoire sous la condition d’hommage. Le vicomte de Lobanner prit solennellement possession du vieux cap de Mars : il y eut une cérémonie dont la forme rappelle assez les inaugurations des âges anciens.
Pour peupler la ville qu’il venait de fonder, le vicomte de Lobanner s’adressa aux habitants de Saint-Pierre et de Saint-Genès, qui descendaient de l’ancienne population de Mont-de-Marsan, totz desciendors dos viltanos antecens, in tempo do daliamen de la ciutat de Marsan. Mais il rencontra des obstacles qui suspendirent un instant l’exécution de ses projets. Le village de Saint-Genès appartenait à l’abbaye de Saint-Sever qui étendait au loin sa juridiction. L’abbé Ramon Sanche s’était plaint ; le vicomte, pour le gagner, lui garantit, à lui et à ses successeurs, une foule d’immunités : la plus importante était celle qui assurait à l’abbé la possession de l’église de la cité nouvelle. Ces conditions furent acceptées ; mais une autre difficulté surgit. Cette église, dont on abandonnait la propriété à l’abbaye de Saint-Sever, fut réclamée par l’évêque d’Aire qui s’appelait Bonhomme. Le prélat fit valoir en sa faveur la disposition du droit canonique, qui assurait aux évêques la jouissance de toutes les nouvelles églises fondées dans leur ressort. Après d’inutiles négociations, on eut recours à l’intervention d’un concile, qui se réunit à Nogaro : les deux prétendants y transigèrent. L’abbé de Saint-Sever, pour conserver les avantages qui lui avaient été concédés, acheta le désistement de l’évêque d’Aire au prix de cent trente sols morlas. Vers la fin du siècle dernier une redevance annuelle témoignait encore de cette vieille suzeraineté qu’exerça, dès l’origine, l’abbaye de Saint-Sever sur la population de Mont-de-Marsan. On peut dire que Mont-de-Marsan, à cette époque, ne ressemblait guère à une ville. Un fort avait été bâti pour protéger le redoutable passage de Maü-Pas ; sous sa protection s’élevait l’église, qui venait d’être l’objet d’un débat si vif ; autour de ces deux bâtiments se groupaient quelques habitations. Le nouveau fondateur de Mont-de-Marsan le dota de l’abbaye de Saint-Jean de la Castelle, ou plutôt il rétablit ce monastère déjà connu deux siècles auparavant. L’abbaye fut rebâtie par Pierre de Lobanner à une petite distance de ses premières fondations ; outre son ancien domaine qu’elle conserva, de nouvelles terres lui furent accordées par la munificence du vicomte. Bientôt après, en 1163, Pierre de Lobanner mourait : ce seigneur n’était pas seulement vicomte du pays où il venait de fonder une ville ; il était, en outre, comte de Bigorre, comes Bigorro et Marciani, dit un vieux cartulaire. Les développements de Mont-de-Marsan furent lents et pénibles. Il paraît cependant que la population ne tarda pas à s’accroître et à donner des inquiétudes à ses nouveaux maîtres, les comtes de Béarn, héritiers des comtes de Bigorre. Gaston Phœbus, pour la maintenir sous son obéissance, fit bâtir un château-fort dans la ville ; et se laissant aller à cette ironie béarnaise dont il aimait tant les saillies, il lui donna le nom de nou li bos, tu ne l'y veux pas. La défense de la citadelle fut confiée à une compagnie sous les ordres du chevalier Espain du Lyon. Quelque temps après, un acte solennel eut lieu à Mont-de-Marsan. Constance, fille de Gaston, septième du nom, était depuis deux ans promise par un traité à Henri d’Allemagne. Les articles de ce traité n’étaient pas encore exécutés : Henri chargea Jean de Saint-Brisson et Michel de Malconduit d’en requérir l’accomplissement. Ils se rendirent auprès de Gaston. Une assemblée fut tenue à ce sujet à Mont-de-Marsan, et toutes les donations qui avaient été promises à Constance lui furent solennellement confirmées. L’archevêque d’Auch, les évêques d’Aire, de Tarbes, de Lectoure et d’Oloron assistèrent à cette réunion imposante avec les comtes de Bigorre, d’Armagnac et une foule d’autres seigneurs (1268). Deux ans plus tard, ce même Gaston, secondé par son épouse, nommée Amate, fonda à Mont-de-Marsan le couvent de Beyries ou de Sainte-Claire, qu’ils dotèrent magnifiquement. La charte de fondation constitua en faveur de cette maison religieuse une rente de deux cents sols morlas ; elle devait jouir, en outre, des droits de péage levés sur la ville. Des privilèges de même genre lui étaient assurés à Roquefort et à Villeneuve ; le pays, par la multiplicité des redevances auquel il était assujetti envers le couvent, se trouva en quelque sorte placé sous sa dépendance. L’histoire de Mont-de-Marsan n’offre plus, pendant quelque temps, qu’un intérêt très secondaire. C’était une ville trop peu importante, malgré les développements qu’elle avait reçus, pour exercer une influence considérable sur les destinées du midi de la France. Le XVIe siècle vint lui donner un peu plus de vie et d’éclat, sans lui assurer cependant un plus grand rôle. Sa chronique s’enrichit alors de plusieurs événements, dont quelques-uns laissèrent des traces assez durables. Une vie illustre consacrée par le malheur s’éteignit à Mont-de-Marsan : Catherine de Foix, femme de Jean d’Albret, y rendit le dernier soupir, après avoir été chassée de la Navarre, malgré la protection de François 1er. La présence de ce prince donna bientôt une nouvelle splendeur à la ville, à laquelle dut l’attacher désormais un double souvenir. Ce fut à Mont-de-Marsan qu’il rencontra mademoiselle d’Heilly, si fameuse depuis sous le nom de duchesse d’Étampes, et qui obtint sur le cœur de ce prince un si grand empire. Ce fut là aussi qu’un lien plus sérieux l’unit à Éléonore d’Autriche, sœur aînée de Charles V et veuve d’Emmanuel, roi de Portugal. On sait que ce mariage avait été l’une des conditions de la délivrance du roi. Il fut célébré en 1527 dans l’église du couvent de Sainte-Claire, dont Marie d’Albret, la tante du prince, était alors abbesse. Plusieurs personnages du plus haut rang assistèrent à ces royales fiançailles, entre autres la reine-mère et Marguerite de France, alors duchesse d’Alençon et de Berry. Les fils de François Ier, qui étaient restés comme otages en Espagne, lui furent rendus au milieu de ces fêtes, et le rejoignirent à Mont-de-Marsan avec sa nouvelle épouse. A peine le roi s’était-il éloigné de la ville, que Jeanne d’Albret s’y montra à son tour. L’énergique épouse d’Antoine de Bourbon avait promis à son père que si elle devenait grosse, elle irait faire ses couches dans le Béarn. Quand elle se sentit mère, elle habitait Compiègne où elle avait suivi son époux qui défendait alors la Picardie contre les Espagnols ; elle attendit le dernier moment pour se rendre à Pau comme elle l’avait promis. Son père l’avait précédée à Mont de-Marsan où elle arriva le 1er septembre 1553. Les habitants lui firent un gracieux accueil, et on lit dans les registres de l’hôtel de ville que la future mère du roi béarnais reçut en présent une barrique de vin. La reine Jeanne, sensible à ces démonstrations, en conserva le souvenir : quatre ans après, elle exempta par une patente ses sujets de Marsan des droits de péage et des gabelles, et confirma leurs coutumes et franchises locales ; ils continuèrent donc à n’être assujettis à aucun emprunt et à ne payer d’autre impôt que ceux qui avaient été consentis par les états. La patente royale, écrite en Béarnais, fut publiée par David, chambellan du roi et de la reine de Navarre. Cependant les troubles religieux allaient éclater comme une tempête sur le midi. Le calvinisme avait fait de nombreux prosélytes à Mont-de-Marsan, et comme partout ailleurs des violences en avaient marqué les progrès. Un corps de soldats, du parti huguenot, profita des divisions qui déchiraient la ville pour attaquer la riche abbaye de Sainte-Claire : les murs furent brusquement escaladés, et les religieuses, surprises dans leur retraite, n’eurent que le temps de fuir, chargées des archives, des reliques, et des vases sacrés du couvent : elles se réfugièrent dans une maison qui appartenait à Martin de Mesmes, grand écuyer de la reine de Navarre. Le monastère fut impitoyablement pillé et démoli. On livra aux flammes un autre couvent, celui des Frères de l’Observance. L’édit de 1563 suspendit un instant ces désordres ; mais la lutte ne tarda pas à recommencer. Les catholiques, conduits par le seigneur de Ravignan, résolurent d’exercer des représailles contre les protestants. Plusieurs calvinistes furent arrêtés, et l’on pria Burie, lieutenant du roi en Guienne, d’envoyer un prévôt pour faire prompte justice des prisonniers. Ce magistrat, pour toute réponse, donna l’ordre d’élargir les calvinistes. Taxant de faiblesse l’humanité dont on avait usé envers eux, les protestants se mirent de nouveau à piller les églises. Le sénéchal Flamarens fut chargé de punir ces violences. II accourut à Mont-de-Marsan avec des troupes, se saisit du château, et mit la main sur quelques soldats de la religion réformée qui furent condamnés à mort. L’avénement d'Henri IV mit un terme à ces fureurs religieuses. Henri IV ne fut point seulement un pacificateur pour Mont-de-Marsan comme pour le reste de la France ; il régla par deux ordonnances l’administration des affaires de la cité. Voici le texte du premier de ces documents, qui avait pour but, en déterminant les bases de l’organisation municipale, de concilier les prétentions des catholiques et des protestants,
Ce règlement porte la date de 1578 ; le second, qui fut donné en 1584, avait également pour but de déterminer le régime municipal. Il résumait en partie les dispositions précédentes, et il y en ajoutait de nouvelles, qui donnaient à cette charte communale une physionomie encore plus moderne :
Cette organisation intérieure, si sage et si conciliatrice qu'elle fût, ne put, sous le règne de Louis XIII, garantir Mont-de-Marsan de nouveaux malheurs. La ville et le château furent occupés successivement par les protestants et par les catholiques, lorsque les querelles de religion vinrent encore les séparer en deux camps. A la suite de ces luttes, les troupes furent éloignées de l'enceinte de la place, et les jurats reçurent, en 1622, l’ordre de garder le château jusqu'à ce qu'ils en eussent accompli la démolition. Les habitants furent invités à y travailler par corvée, et ils s’y prêtèrent tous avec empressement. Les terrains occupés par la citadelle furent convertis en une belle promenade, et la ville, dégagée au nord de cet appareil militaire, prit un aspect plus riant. Les troubles de la Fronde rejetèrent Mont-de-Marsan dans les agitations des siècles passés. C’était encore une forte position, malgré la récente destruction du château ; la ville était toujours protégée par une grande ligne de murailles défendues par des fossés. Le prince de Condé y logea un corps de troupes assez considérable. Deux ans après, en 1652, le comte de Raillac se rendit à Mont-de-Marsan pour y établir l’ordre et les lois. Il convoqua une assemblée, dont les résolutions ont été conservées dans les archives de la ville. Le maire, les jurats, les syndics et les habitants les plus notables, par une déclaration signée de leur main, renouvelèrent l’engagement qu’ils avaient déjà pris tant de fois, et tant de fois oublié, « de garder la ville pour le service du roi, de ne recevoir aucune garnison étrangère, de réprimer toute ligue opposée à la couronne, et d’expulser de leurs murs les fauteurs de désordres. » Le gouvernement si ferme et si absolu de Louis XIV, qui commençait alors à plier la France à ses volontés, assura, mieux encore que ces promesses, la tranquillité Mont-de-Marsan. Depuis le commencement du XVIIe siècle, les annales de cette ville ne nous présentent plus que deux faits qui méritent d’être signalés dans nos pages. Louis XIV passa à Mont-de-Marsan avec toute sa cour en revenant de Saint-Jean-de-Luz, où il avait épousé l’infante Marie-Thérèse. Sous le règne de son petit-fils, on élargit l'ancienne enceinte, dans laquelle les habitants se sentaient depuis longtemps à l'étroit. La municipalité avait demandé au gouvernement la permission d’abattre une partie des murs. Le maréchal de Monrevel fut chargé de lui répondre ; on a conservé sa lettre, qui porte la date de l’année 1736. « Votre ville, messieurs, écrit-il aux jurais, est trop ouverte de tous côtés pour que le service du roi puisse être compromis par l’ouverture que vous demandez, depuis la terre du château jusqu’au jardin du sieur de Prugue ; puisque cela pourra contribuer, à ce que pensent trois médecins et vos habitants, à diminuer les maladies que le défaut de promenades vous procure, vous pouvez donc vous donner ce soulagement. » Immédiatement après la réception de cette lettre, les travaux furent commencés ; l’enceinte fut ouverte à l’endroit indiqué, et l’on y traça une promenade à laquelle on donna le nom du maréchal de Monrevel. Tel fut le dernier acte administratif quelque peu important de la municipalité de Mont-de-Marsan dans le XVIIIe siècle. La coutume de Marsan, publiée en 1604, nous fournit de curieux renseignements sur l’organisation intérieure de la ville et du petit pays dont elle était la capitale. Comme nous l’avons déjà vu, les fonctions municipales de la cité appartenaient au maire et aux jurats. La réunion de ces magistrats formait le conseil de ville, qui devint perpétuel sous Louis XIII. Vers la même époque, d’autres modifications furent introduites dans le régime municipal ; la charge de maire devint élective et annuelle ; le syndic de la ville ne pouvait être forain ; les officiers municipaux sortant ne devaient être réélus qu’après un intervalle de quatre ans. Une disposition assez remarquable, c’est qu’il y avait deux conseillers, dont les fonctions, limitées à deux ans, avaient pour but d’observer la conduite des affaires et l’emploi des deniers publics ; espèce de magistrature populaire qui semble empruntée aux sociétés antiques. Louis XIV modifia encore plus tard cette organisation : il substitua aux pouvoirs temporaires et électifs des charges vénales et héréditaires. La juridiction de ces maires et de ces jurats, sortis tour à tour de l’élection ou de la richesse, était, du reste, assez étendue. Ils rendaient la justice à l’exclusion du sénéchal et de tous les autres juges royaux, sauf l’appel au parlement. Un édit du XVIe siècle portait que « la connaissance des crimes avait appartenu de tous temps aux maires et jurats de Mont-de-Marsan. » « Ils avaient justice haute, moyenne et basse, » ajoutait la coutume. Une autre disposition de cette charte locale leur donnait, en outre, le droit « de faire statuts concernant la police, d’assembler les habitants pour toutes les affaires du bien et chose publique sans attendre ni avoir mandement du roi ni du vicomte, de cotiser ou imposer denier jusqu’à la somme que bon leur semblera et sera nécessaire à percevoir à indemnité de la chose publique. » Pour ce qui regarde les institutions provinciales, il importe de remarquer que la vicomté de Mont-de-Marsan fut érigée en pays d’états au commencement du XVIIe siècle, et que ces assemblées siégeaient dans l’enceinte de la ville. Il y avait d’autres réunions, formées par les trente-deux paroisses les plus voisines ; chacune d’elles y envoyait ses représentants, qui votaient l’assiette et la répartition de l’impôt, dont le recouvrement était ensuite confié à l’intendant de la province. En cessant d’être le siège d’une vicomté peu étendue, Mont-de-Marsan devint le chef-lieu d’un département beaucoup plus vaste : une grande partie de la Gascogne a été rattachée, dans cette nouvelle division, à la vieille capitale du pays de Marsan. Considérablement modifiée elle-même, elle a revêtu une physionomie de plus en plus moderne. Par sa position géographique et la nature de son sol, Mont-de-Marsan exprime parfaitement le double caractère du territoire compris dans les limites administratives. Si vous regardez au nord à l’est et à l’ouest des sables et des bruyères l'entourent, le désert l’envahit : du côté du midi, au contraire, vous apercevez un pays fertile et cultivé dont la ville paraît être un brillant appendice. Mont-de-Marsan est une langue de terre fleurie, que le bassin de l'Adour projette dans les landes : gracieuse presqu'île de végétation dans une mer de sables, fraîche image des oasis africaines, et qui vous sourit à l’entrée de ce petit Sahara, que la nature a laissé subsister par une espèce de caprice sur les limites du midi. Ce dualisme, si frappant dans la ville, se reproduit sur toute l’étendue du département. La partie qui borde les Basses-Pyrénées est pleine de sève et de vie ; elle produit de bons vins, des fruits excellents, toutes sortes de blés. La partie opposée, qui s’appuie sur la Gironde, est généralement stérile. Le sol, entièrement poudreux, semble se refuser à toute espèce de culture : des forêts de pins le couvrent de distance en distance. Vous arrivez ainsi à l’Océan, dont les bruits se mêlent aux murmures de ces forêts, deux voix presque aussi imposantes l’une que l’autre. Le nom de landes convient parfaitement à toute cette zone ; il cesse d’être exact lorsqu’on l’étend au reste du territoire. Même opposition dans les hommes. Ici, la population joyeuse et alerte de l’ancienne Chalosse parait emprunter à ses vins si riches d’alcool la vivacité mobile qui l’emporte ; c’est le Gascon, ce vif Gascon traditionnel, que toute la France connaît et qui associe assez souvent dans cette contrée la pénétration et la finesse du Béarnais aux heureuses saillies de son tempérament et de son caractère. Là, rien de semblable, un tout autre peuple apparait : on dirait presque une race de vaincus que les mouvements des invasions et des conquêtes ont rejetée dans les lieux déserts et arides au milieu desquels ils ont établi leur demeure. C’est le Landais, proprement dit, le Marensin ou le Couziot, dont la figure assez sauvage s’harmonise tristement avec l’âpre physionomie de son foyer domestique ; homme inculte, que la civilisation n’a pas conquis encore et qu’elle paraît avoir oublié sur les bords de l’Océan. En voyant cette race pâle et maigre, ce teint maladif, ce tempérament appauvri, on regrette doublement qu’on n’ait point accepté au XVIe siècle la proposition des derniers représentants du peuple arabe en Espagne. Pour échapper aux haines religieuses qui les inquiétaient au-delà des monts, les Maures, si habiles dans la culture des terres et dans l’art de l’irrigation, avaient demandé qu’il leur fût permis de franchir les Pyrénées et de s’établir dans la Lande. Ces fils de l’Orient, en se mêlant insensiblement aux Landais et en s’associant à leurs travaux, auraient enrichi un sang épuisé et donné la vie au désert. Des scrupules théologiques firent repousser cette intéressante colonie. On voulait avant tout sauver les âmes. A-t-on réussi ? Il est bien permis d’en douter, quand on voit l’ignorance et la grossièreté primitives dans lesquelles vivent en général les habitants de cette zone de sables. Mont-de-Marsan, par sa situation et son rôle administratif, sert de lien à la double population de la Chalosse et de la Lande, que vous retrouvez dans ses rues et ses places les jours de fêtes et de marchés. Il ne saurait y avoir dans un pareil centre, une vie bien forte et bien active. La ville, à l’époque du dernier recensement, renfermait 4,169 habitants ; on en comptait 94,145 dans l’arrondissement, et dans tout le département 288,077. Mont-de-Marsan, toutefois, présente une certaine activité commerciale. Un historien du pays, Marca, remarquait, il y a plus de deux siècles, que ce point servait depuis longtemps d’entrepôt aux produits de l’Armagnac ; il en est de même aujourd'hui. Les vins et les eaux-de-vie de cette contrée y affluent toujours, et une route nouvelle, ouverte dans l’intérêt de ces relations, a contribué depuis quelque temps à leur donner un plus grand développement. La Chalosse y envoie aussi une partie de ses vins et de ses blés. Quant à la Lande, proprement dite, elle y expédie du bois de construction et de chauffage, et surtout ses résines, qui sont la principale source de ses revenus. Autrefois, dit un auteur du XVIIe siècle, les pays voisins portaient de préférence à Mont-de-Marsan leurs produits et leurs denrées, parce qu’on les y achetait argent comptant. Cet usage ne s’est pas peut-être complètement maintenu ; mais le mouvement commercial est toujours le même. La Midouze, dont quelques travaux récents ont amélioré le lit, reçoit les nombreuses exportations de Mont-de-Marsan et les dirige sur Dax, qui les transmet à Bayonne, centre plus vivant et plus animé, qui les envoie, à son tour, dans les divers ports de l’Europe, et même au-delà des mers. Le canal des petites Landes eût contribué à développer la prospérité de Mont-de-Marsan, mais c’est aujourd’hui un projet abandonné, une espérance perdue. Il est question d’un chemin de fer entre Bayonne et Bordeaux, dont Mont-de-Marsan serait l’anneau central ; ligne bien préférable au tracé à travers les grandes Landes, qui aurait sans doute le mérite d’être plus court, mais qui porterait le préjudice le plus grave au chef-lieu du département. Mont-de-Marsan a déjà perdu une partie de son commerce de transit, depuis la construction d’une route nouvelle, dont l’avantage le plus sensible est de conduire commodément à une maison de campagne qu’a fait bâtir l’ancien directeur de l’Algérie, et que les paysans du voisinage appellent malicieusement lou castet de las Afrique. La France compte peu de villes qui soient aussi accessibles que Mont-de-Marsan aux relations extérieures : sa rivière lui ouvre un chemin vers Dax, Bayonne et l’Océan. D’un autre côté, un vaste système de routes se déploie de toutes parts autour de son enceinte, et met ses habitants en rapport avec les autres centres du département, Roquefort, Tartas, Aire et Saint-Sever. Quelques-unes de ces routes forment de grandes avenues, qu’ombragent des plantations magnifiques, et qui semblent promettre à l’œil du voyageur une ville de premier ordre ; mais ce luxe de décoration est un peu trompeur ; le dedans ne répond pas à la magnificence du dehors. L’aspect de Mont-de-Marsan est néanmoins assez agréable. On y rencontre quelques édifices qui méritent d’attirer les regards, tels que l’hôtel de la préfecture, le palais de justice, la maison de détention et les casernes. Les églises, si nombreuses ailleurs, manquent ici absolument. Il nous répugne de donner ce nom à un édifice récemment construit, et dont l’architecture n’a aucun caractère religieux. Le plus grand charme de la ville est dans ses promenades, et principalement dans celle de la Pépinière ; c’est un jardin, orné de nombreuses allées qui circulent dans tous les sens et composent le plus gracieux labyrinthe ; la Douze l’enveloppe et lui sert de ceinture. Mont-de-Marsan a été le berceau de quelques hommes dont l’histoire n’a point oublié les noms. La famille de Gourgues, qui a joué un rôle dans sa vieille organisation municipale, y a donné le jour à Dominique de Gourgues, marin intrépide qui partit de Bordeaux, au commencement du mois d’août 1567, avec trois petits bâtiments, équipés à ses frais, pour aller à la Floride venger la mort de ses compatriotes, lâchement assassinés par les Espagnols. Une autre famille, celle de Mesmes, appartient aussi à Mont-de-Marsan ; elle a produit le célèbre diplomate d'Avaux, qui représenta avec tant de succès, dans les conférences de Munster et d’Osnabrück, la politique du cardinal de Richelieu, et contribua si puissamment à poser les bases du traité de Westphalie. Le premier président du parlement de Paris, si célèbre sous la régence, était sorti du même sang. Quelques noms étrangers ont, de notre temps, acquis droit de cité parmi ces illustrations locales. L’un des ministres de Charles X, M. d’Haussez, fut préfet des Landes dans les premières années de la restauration, et il a laissé à Mont-de-Marsan d’honorables souvenirs, que les dissentiments politiques n’ont point effacés. Le général Lamarque était député de l’arrondissement lorsque la révolution de juillet éclata, et l’histoire contemporaine rattachera toujours son nom aux annales de l’ancienne cité des Lobanner. |
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