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Londres vue de la Tamise, gravure non signée vers 1840
Voir aussi en ces pages : Londres et l'abbaye de Westminster Londres et la Tamise Londres et la banque d'Angleterre |
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Texte et gravure
extraits de l'ouvrage Jusqu’ici l’aspect des routes et des rivières est ce qui m’a paru le plus surprenant en Angleterre : c’est là qu’il faut admirer le génie d’une nation voyageuse. Il y a des villes qui chaque jour sont traversées par deux cents voitures publiques allant à Rome et en revenant; les fleuves, les golfes, les embouchures des rivières, les bras de mer sont couverts de vaisseaux de toutes grandeurs qui, poussés par un pouvoir magique, s’avancent vers leur but sans voiles ni rames, apportant aux voies de la mer les tributs de la terre entière. L’inconstance des vents ne peut plus arrêter la marche de ces étonnantes machines. Des vaisseaux, assujettis à un autre empire qu’à celui de leur ancien élément, traversent les mers comme des courriers, et les nuages de vapeur qu’ils laissent derrière eux en fendant les flots ont changé jusqu’à l’aspect de l’Océan. On m’a déjà parlé de chariots à vapeur que je verrai de la route d’écosse. Ce génie de la mécanique, qui préside ici à la société humaine, a quelque chose d’effrayant, il supplée la vie, mais il ne la donne pas. Les diligences anglaises, qu’on appelle stages, sont un des principaux ornements des routes de ce pays; copiées en petit elles formeraient de charmants joujoux d’enfant. On les voit fuir comme sur des allées de jardin emportées avec la vitesse du vent par quatre chevaux superbes et élégamment enharnachés. Elles sont chargées de femmes dont la toilette, sans être de bon goût, est presque toujours soignée, et d’hommes dont les manières froides, mais polies, sont, en général, moins vulgaires que celles de nos bourgeois français ; cette société, qu’on pourrait croire choisie, tant le ton qui y règne est décent, se groupe d'une manière bizarre autour de la voiture qui la transporte et à laquelle elle donne la forme d’une pyramide renversée, car la quantité de personnes dont l’impériale est surchargée fait paraître les chars beaucoup plus larges d’en haut que d’en bas. Londres me parait plus désagréable qu’aucune des autres grandes villes de l’Europe ; l’uniformité des villes et des maisons n’y produit qu’un effet triste. Sans variété point d’harmonie, puisque l’harmonie ne résulte que de l’accord de parties diverses réunies pour former un ensemble. On chercherait vainement ici les grands effets d’architecture : tout se ressemble à Londres, et pourtant on ne peut pas dire que cette ville soit bâtie régulièrement ; car la régularité supposerait de l’art, et il n’y en a pas dans la régulière uniformité de ces petites cases brunes qui bordent toutes les rues de cette ville immense. On a beau les appeler des maisons, la manière bizarre dont les toits sont placés sur les murailles sans frises, sans corniches, les fait ressembler à des édifices non achevés, et qu’on couvre de pailles ou de planches pour les garantir des pluies d’hiver. Ce singulier manque de goût donne à tout Londres l’apparence d’une ville en projet plutôt que l’aspect d’une capitale riche et depuis longtemps populeuse. Tout ici afflige les yeux, et les désagréments du climat ne disposent ni l’esprit ni le corps à jouir des avantages que l’Angleterre n’a acquis qu’à force de civilisation. Assiégé par des colonnes d’air épais, écrasé par un ciel de plomb doublé de fumée, je me crois tout le jour dans un cachot humide et sombre, traversé par des vents d’automne. Rien ne peut distraire l’imagination de la tristesse qu’inspire ce climat et la curiosité la plus intrépide ne résisterait pas au malaise continuel produit par l’impitoyable monotonie qui préside à l’arrangement de la vie dans le temple de l’ennui.
Nous nous faisons en France une bien fausse idée de la manière dont les étrangers sont traités à Londres. Excepté les aspirants au rôle de dandy, tout le monde ici me paraît avoir un fond de bonté opiniâtre qui met à couvert la mauvaise humeur presque habituelle des femmes et l’orgueil des hommes. Je conviens qu’on y manque un peu de bonhommie, mais on n’y manque point d’obligeance. J’ai éprouvé cette disposition bienveillante en sortant de la maison de lady ***. Je retournais chez moi seul et à pied, et j’errais dans le beau quartier de Londres où les rues sont si larges, si monotones et si désertes dès que la nuit est un peu avancée. Perdu au milieu de cet immense labyrinthe, je m’arrêtai tristement à l’entrée de ces espèces de galeries bordées de trottoirs et où deux files de maisons se prolongeaient jusqu’à une distance décourageante pour le pauvre piéton; je ne savais plus de quel côté me diriger lorsque j’avise un homme bien vêtu qui suivait le trottoir opposé à celui où je marchais. Je vais à lui et le prie de m’indiquer le chemin de ma rue. Il me dit qu’il ne pourrait pas me le bien indiquer, mais qu’il va me conduire, et, chemin faisant il me demande s’il ne vient pas de me rencontrer chez lady *** ? je réponds que je sors de chez elle, et l’envie de rire me prend en pensant que c’est sans doute mon étrange figure qui m’a fait reconnaître. Alors mon guide redouble d’instance pour m’accompagner jusqu’à ma porte qui était au moins à une demi-lieue de l’endroit où nous nous étions rencontrés et à ce que j’appris fort éloignée encore du quartier de mon obligeant conducteur. Nous nous sommes quittés sans nous être demandé nos noms. Je connais peu de Français qui aurait pris cette peine pour un pauvre étranger perdu la nuit dans les rues de Paris. Il y a quelques jours que je suis allé à Gravesend, à dix lieues de Londres, pour en revenir par la Tamise sur un bateau à vapeur. Cette excursion est, sans contredit, la plus curieuse de toutes celles qu’on puisse faire en ce pays. On voit là une rivière bordée, pendant quatre lieues, d’édifices qui donnent une haute idée de la puissance britannique. Londres a fondé sur les rives de la Tamise comme une colonie destinée à approvisionner le monde. Cet amas de constructions, singulières par leur diversité, par leur immensité, ne peut s’appeler ni ville, ni village; c’est une ligne d’innombrables établissements commerciaux, de magasins, d’ateliers, de mécaniques ingénieuses et d’une force extraordinaire; ce sont des dépôts bâtis si près de l’eau qu’ils se remplissent et se vident sans transport par le secours de grues tournantes ; enfin c’est un port de deux lieues de long et tellement encombré de vaisseaux que la Tamise, en cet endroit, ressemble à une terre inondée. Pour la première fois, l’ouvrage des hommes a produit sur moi une impression analogue à l’effet des grandes scènes de la nature. Je n’oublierai jamais ces îles de navires s’élevant majestueusement au milieu des eaux, tandis que les bords de la rivière disparaissent eux-mêmes derrière d’autres groupes de vaisseaux dont les mâts prolongent à perte de vue leurs pointes à demi cachées dans le brouillard, et font du fleuve entier comme une vallée profonde tout obstruée de forêts et submergée par un lac ! ( Extrait d'un voyage à Londres en 1827.)
Dans la première gravure, la Tamise est beaucoup moins encombrée que ne le dit le texte,
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