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Les villes à travers les documents anciens

Page de garde de L'Univers de Jules Janin

La Banque d'Angleterre à Londres vers 1840

 

La banque de Londres - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
L'imposant immeuble de la banque de Londres, gravure non signée vers 1840


Voir aussi en ces pages :
Londres et l'abbaye de Westminster
Londres et la Tamise
Londres et la banque d'Angleterre




 

Texte et gravure
extraits de l'ouvrage "L'Univers
collection des vues les plus pittoresques du globe" de Jules Janin - édition ~1840

La Banque de Londres est une de ces puissances formidables de l’Europe moderne, auxquelles l’antiquité n’a rien de comparable. De ce point unique dans le monde, part et revient et repart sans cesse pour revenir et partir encore assez d’argent pour acheter tous les royaumes de l’univers, et pourtant la Banque d’Angleterre n’a pas de privilège comme la Banque de France, elle agit en concurrence avec quatre mille cinq cents établissements du même genre qui existent aujourd’hui; mais, par l’immensité de ses affaires, par l’extension prodigieuse de ses relations, elle est aux autres banques du monde ce qu’est un vaisseau de haut-bord à de simples chaloupes. La Banque de Londres n’est pas un établissement de l’Etat, elle est indépendante du gouvernement, elle s’administre elle-même, elle vit de sa propre vie, elle est libre et indépendante de tout autre pouvoir que le sien propre. Les premières affaires traitées à la Banque de Londres l’ont été en 1694, avec un capital social de 1,200,000 livres sterling, en vertu de lettres patentes du gouvernement. La Banque émit dès-lors des bons au porteur, et des bank-notes qui pouvaient, à chaque instant, être échangées à sa caisse contre de l’argent comptant, et qui, à ce titre, obtinrent cours par tout le pays. Bientôt elle escompta des effets de commerce et prêta de l’argent sur nantissement. — Par suite de l’agrandissement successif de ses affaires, la Banque augmenta son fonds par la création de nouvelles actions. Ce fonds, en 1816, se montait à 14,555,000 livres sterling. Depuis cette époque, ce capital ne s’est pas augmenté : mais la Banque possède en outre un fonds de réserve provenant de ses économies, et qui s’élève à plusieurs millions sterling.

L'ordre des affaires de la Banque et son administration reposent sur les principes les plus solides et sur les règles les plus rigoureuses que puisse se tracer la prévoyance commerciale. Grâce à cette prudence inaltérable pendant cent cinquante ans, et au travers de tant de bouleversements commerciaux, de revirements dans la circulation du numéraire, et de secousses qu'aucune autre institution n’aurait pu supporter, non-seulement la Banque de Londres s’est maintenue, mais encore elle s’est de plus en plus consolidée, et maintenant, arrivée à ce point incroyable de fortune, de prospérité, de crédit, d’intelligence, elle ne connaît plus de rivales. Les époques où cette institution courut les plus grand dangers, furent les années 1745, 1780, 1793, 1797, 1815, 1825.

La première de ces crises, celle de 1745, fut une conséquence de l’arrivée du Prétendant, l’un des Stuarts. Il avait promis tout simplement à ses soldats le pillage de la Banque. Aussitôt les porteurs de bank-notes affluèrent en masse à la caisse, pour échanger leur papier contre des espèces. D’abord la Banque paya tous ceux qui se présentèrent, mais enfin, lorsque ses coffres se trouvèrent presque vides de grosse monnaie, la Banque chercha à se tirer d’affaire en payant tous ses billets en petite monnaie ; le temps nécessaire à compter toutes ces sommes considérables finit par lasser les porteurs de papiers ; la Banque, serrée de moins près par les remboursements, put attendre que le Prétendant fût battu de toutes parts, et aussitôt le crédit de la Banque se releva.

La crise de 1780, occasionnée par les troubles populaires, fut beaucoup plus grave pour la Banque. Le peuple tenait le pouvoir dans ses mains avides. La Banque était gardée par six cents hommes à peine, pour imposer aux insurgés et résister à leur agression. Si les chefs de l’insurrection, qui avaient déjà décidé le pillage, n’en avaient pas, par manque de courage, ajourné l’exécution au lendemain, c’en était fait de la Banque, et rien n’aurait pu la sauver. Mais cet ajournement de vingt-quatre heures lui donna le temps de préparer ses moyens de défense; la garde royale, pendant la nuit suivante, pénétra dans la Cité et délivra l’établissement.

On sait que, dans les années 1792 et 1793, l’Angleterre, alors sous le joug d’un ministère tory, fit d’immenses efforts pour écraser la France républicaine. Toute l’Europe, soudoyée par l’argent des Anglais, était alors en guerre contre la France. L’or et l’argent sortirent en masse de l’Angleterre pour fournir aux subsides. Pour accélérer la circulation de l’argent, on vit se former à cette époque un grand nombre de banques particulières qui, fondées sur de faibles capitaux, inondèrent le pays de leur papier-monnaie. La guerre prit une direction funeste à l’Angleterre, et nécessita de nouveaux subsides à fournir aux puissances belligérantes. Le besoin d’argent augmentant de plus en plus, chacun se porta vers les caisses des nouvelles banques pour échanger un papier qui perdait son crédit de jour en jour. Plusieurs de ces établissements se trouvèrent alors dans une grande gène, quelques-uns même tombèrent aussitôt. Cette circonstance ne fit qu’augmenter la méfiance universelle, et bientôt les demandes de change, arrivant de toutes parts à la fois, devinrent si pressantes, que, dans l’espace de quatre semaines, le tiers des banques se vit forcé de suspendre les paiements. La Banque d’Angleterre, pour prévenir de plus grands malheurs, prêta son appui à la solide et stable institution des sœurs, et cet appui généreux porta ses fruits et sauva la Banque d’un grand péril, lorsque, par la suite, et au plus fort de la crise, probablement lors des préparatifs du gouvernement français, les billets de la Banque vinrent à lui être présentés dans une masse énorme. Cet événement produisit un effet d’autant plus grand, que le crédit de la Banque avait repris toute sa force, et qu’il était considéré dans le pays comme inébranlable.

Le système des subsides, auquel le gouvernement britannique faisait alors tant de sacrifices, et qui se continua sans bornes ni mesure, de 1793 à 1797, précipita l’état dans un gouffre de dettes, et fit naître, dans la circulation du numéraire, la plus effroyable perturbation. La Banque d’Angleterre, engagée à chaque instant dans les immenses embarras dont elle sentait la première le contre-coup, fit alors une nouvelle émission de billets dont la quantité dépassait ses ressources. Dès 1795, cette disproportion entre la masse de papier en circulation et les fonds pécuniaires de la Banque se révéla par la baisse du cours des fonds anglais. A cette époque, la Banque fournissait chaque jour des sommes considérables qui étaient envoyées à l’étranger. La situation empirait de plus en plus. La tournure malheureuse que prit la guerre continentale contre la France, vint aggraver le mal et affaiblir dans l’opinion publique le crédit de l’Angleterre: et lorsque la France fit ses préparatifs de descente en Angleterre, les craintes d’une banqueroute d’état devinrent générales. Si la banqueroute eût frappé l’Angleterre, nul ne saurait dire où se serait arrêté le désastre.
Pendant les deux premiers mois de l’année 1797, la terreur fut universelle et sans exemple. De tous côtés se renouvelèrent les demandes d’échange du papier contre de l’argent; le 25 février, la Banque avait à peine encore 1,250,000 livres sterling pour satisfaire aux demandes, et d’après le calcul fait par les directeurs, le solde ne pouvait plus se continuer que pendant six jours.
Dans cette terrible conjoncture, le gouvernement saisit le dernier moyen de sauver la Banque; une ordonnance du roi, qui parut le 25 février, enjoignit à la Banque de suspendre tout paiement de ses billets jusqu'à la paix générale. Dans tout autre pays une telle mesure aurait entraîné les plus graves, les plus fâcheuses conséquences ; le papier-monnaie serait tombé à rien, et aurait ainsi fait crouler l’établissement qu’il était destiné à soutenir; mais le patriotisme anglais mit un terme à la crise. Les banquiers et marchands de Londres, comme ceux des autres villes principales de la Grande-Bretagne, déclarèrent spontanément et en commun qu’ils continueraient à considérer les bank-notes comme valables et les prendraient pour argent comptant, tant que les actes de restriction conserveraient leur force et effet. L’étonnement fut général, quand on vit le papier de la Banque se soutenir au pair.

Ce ne fut qu’en 1808 que se réalisèrent les conséquences fâcheuses de cet état forcé de la circulation de l’argent en Angleterre. Le papier perdit depuis six jusqu’à douze pour cent. Les troubles survenus dans les rapports commerciaux firent éclater une catastrophe, seize cents grandes maisons de commerce et deux cent quarante banques furent renversées de 1814 à 1815. Enfin, en 1819, la Banque d’Angleterre déclara qu’elle était en mesure de payer tous ses billets comme elle l’avait fait avant 1797. Dès-lors cessèrent toutes les fluctuations dans la valeur de son papier. — De 1824 à 1825, de vastes spéculations amenèrent une nouvelle crise : quatre-vingts banques croulèrent, et plus de deux cents ne durent qu’aux secours de la Banque d’Angleterre d’échapper à la banqueroute. Cette crise produisit cet effet salutaire, que la Banque d’Angleterre fonda des succursales dans toutes les grandes villes du royaume, si bien que le public ne se vit plus forcé de confier ses fonds à des établissements sans base solide. C’est surtout dans ces derniers temps qu’on a pu juger de l’excellence de l’ubiquité de la Banque de Londres, quand il a fallu envoyer à l’Amérique du nord tout cet argent qui seul pouvait la sauver.

La Banque, depuis de nombreuses années, s’est chargée de faire les affaires du Trésor public, et cela d’une manière à la fois simple et économique. Elle paie les pensions dues par l’état, ainsi que les intérêts de la dette nationale; elle encaisse l’excédent des revenus de l’état. Cette branche des opérations de la Banque est de toutes la plus considérable ; ses échanges et relations avec le gouvernement s’élèvent, chaque année, à plus de 30 millions de livres sterling, et bien qu’elle ne perçoive pour cette opération que de très modiques intérêts, elle en retire des bénéfices énormes. — Un autre avantage que procurent encore à la Banque ses rapports avec l’état, c’est le dépôt qu’elle reçoit des titres de créance du trésor public.

La seconde branche d’affaires dans l’ordre de leur importance, c’est l’escompte. — La Banque a, dans ses opérations d’escompte, des principes très rigoureux. Les lettres de change des particuliers avaient toujours été soumises, jusqu’en 1824, à une retenue de cinq pour cent; de cette époque jusqu’en 1828, cette retenue flottait entre quatre et cinq pour cent, jusqu’à ce qu’enfin elle finit par se fixer à quatre pour cent. Mais en 1836, par suite du manque général de numéraire, l’escompte est remonté à cinq pour cent. — La Banque reçoit aussi des dépôts d’espèces sur lesquels le propriétaire peut tirer à tout moment; dans ce cas, elle ne paie point d’intérêts. — Le bénéfice annuel que la Banque retire de la circulation de son papier, a été évalué à un demi-million de livres sterling; les moindres bank-notes, qui sont partout reçus comme argent comptant, sont de cinq livres sterling; les plus considérables sont de mille livres sterling. — Le fonds de la Banque est une propriété mobile, qui, s’inscrivant successivement dans ses livres, passe de main en main. Le cours est établi sur des coupons de cent livres sterling. La Banque, depuis 1823, a continuellement payé aux propriétaires du fonds un dividende de huit pour cent. Le prix de ses actions se balance entre deux cents et deux cent trente. Ce chiffre seul suffit pour démontrer l'état prospère de l’institution.
L’administration de la Banque est confiée à un conseil de direction choisi librement parmi les actionnaires, et qui agit sous l’autorité d’un gouverneur auquel est adjoint un vice-gouverneur. Le personnel de la Banque se compose de cinq à six cents employés qu’elle paie très richement, mais qui sont soumis à un cautionnement considérable. Au besoin, les employés de la Banque deviendraient autant de soldats tout prêts à la défendre les armes à la main.

Le vaste et magnifique palais de la Banque est situé au milieu de la Cité ; il forme, avec les bâtiments de la grande Bourse et de la Bourse des fonds, dont il n’est séparé que par deux rues étroites, et avec le bâtiment du café de Lloyd, le foyer, le véritable point central du commerce du monde. — La banque recouvre toute l’étendue de l'Hera, c’est-à-dire un espace de treize arpents, espace plus vaste que l’habitation d’aucun des rois de l’Europe. — Elle est entièrement isolée des autres maisons et forme un carré irrégulier avec quatre entrées et huit cours intérieures. — Le nombre des halles, des salons (dont plusieurs ont leur plafond en coupole), de comptoirs, de voûtes de caisses, d’ateliers pour la fabrication des bank-notes, les appartements des chefs, des pompiers et des assurances contre l’incendie, les greniers contenant l’or et l’argent, forment un ensemble de sept cents pièces ou appartements. Les façades sont toutes du plus grand style ; plusieurs parties de l’édifice sont des imitations fidèles des temples et des arcs de triomphe grecs et romains.

Dans les jours où se traitent les grandes affaires, le nombre des personnes qui se rendent à la Banque dépasse vingt mille. Cette affluence produit une impression inexprimable sur l’étranger qui n’est pas habitué à un pareil spectacle, lorsque, conduit par son cicérone, il parcourt les vastes corridors, les nombreuses salles, poursuivi toujours par ce bruit étrange qu’occasionne le confus murmure de toutes ces voix qui traitent des affaires, et ces annonces qui, hautement proclamées, des chiffres du cours, et ce frôlement du papier qui s’échange, et ce son argentin des espèces métalliques et celui des barres d’or et d’argent. Mais aussi se traite-il, en ce lieu et dans un seul jour, plus de négociations, plus d’affaires en tout genre que dans tel petit royaume pendant toute une année.
Ce qui attire surtout l’attention de l’étranger, c’est le Bullion-Office, ce sont les greniers voûtés où se conservent les lingots d’or et d’argent. Figurez-vous une immense mine d’or et d’argent, un amas de pièces toutes prêtes à être jetées dans le monde, incroyable amoncellement de millions. A certaines époques la valeur de ces dépôts va jusqu’au-delà de six cents millions de francs. — La somme la plus forte de bank-notes en circulation est de cinquante-quatre millions de livres sterling.

La fabrication des bank-notes s’opère d’une manière fort ingénieuse. Elle a lieu dans l’intérieur de la Banque au moyen d’une machine dont les directeurs possèdent en commun le secret; c’est un chef-d’œuvre de la mécanique moderne. Avant l’usage de ce nouveau procédé, qui date de 1821, la contrefaçon des billets de la Banque avait pris une extension incroyable ; de nombreuses sociétés s’étaient formées dans ce but, en Angleterre et en d’autres pays. Ces sociétés, fortement organisés, s’étaient partagé leurs attributions ; les unes s’occupaient de la fabrication, les autres de la mise en circulation. — Dans la seule année 1819, soixante-sept mille faux billets furent présentés à la Banque pour être échangés. — La peine de mort ne put ralentir l’ardeur des contrefacteurs. — Dans le court espace de huit années, sept cents contrefacteurs furent condamnés à mort, et sur ce nombre, deux cent quarante furent exécutés. — Depuis l’emploi de la nouvelle machine à fabriquer les bank-notes, cette terrible industrie de la contrefaçon a tout à fait cessé, et tout le monde y a gagné.

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