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Et pour complèter ces regards sur Singapour, Singapour, appelé dans ces textes du 19ème
in 'Dictionnaire géographique' de Ennery et Hirth, édition 1840 - Collection personnelle SINGHAPOUR, ile située sous 1° 17' latitude Nord, près de la pointe méridionale de la presqu’île de Malacca, dont elle est séparée par le canal du même nom. Elle a 12 milles carrés géographique de superficie ; son sol est ondulé et plus fertile que l’on ne le croyait d’abord ; déjà l’on voit une grande partie de lîle produire du poivre, des épices, du riz, du sucre et d’autres denrées de l’Inde. Mais ce qui la rend si importante, c’est son excellent port et sa situation qui domine la navigation du détroit de Malacca. Ces avantages, auxquels se joignait celui d’un climat très salubre, engagèrent les Anglais à en acquérir une partie, en 1818, et le reste deux ans après. Sir Thomas Raffles fonda la ville de Singhapour, en 1819, et dans le court espace de cinq ans, à la place d’une population de 150 misérables pêcheurs, l’on vit une cité florissante qui comptait déjà 15,000 habitants. Aujourd’hui, lîle de Singhapour a plus de 40,000 habitants, et les Anglais y ont déjà fondé une seconde ville, New-Harbour, qui compte 1600 habitants, la plupart Malais. SINGHAPOUR, ville de l’Inde transgangétique, fondée en 1819, dans l'îlot de même nom, est un des plus beaux exemples de la prospérité rapide que le commerce peut répandre. Là où s’élevait, il y a 20 ans, un village de pêcheurs, est aujourd’hui une cité florissante. Singhapour est bâti au fond d’un golfe et possède un excellent port. Il est divisé en trois quartiers, la ville européenne, la ville chinoise et la ville noire, habitée par les malais et les Bouggis. L’Europe, la Chine, l’Arabie, l’Inde, l’Arménie, presque toutes les nations de l’Europe y ont leurs représentants et leurs maisons de commerce. La population, en y comprenant la garnison et les matelots, est de 30 000 âmes ; le collège malais, établi par Raffles, et le collège chinois, autrefois à Malacca, y fleurissent ; son port a été déclaré franc et ouvert à tous. Le commerce avec l’Inde, la Chine et la Malaisie est énorme et tend tous les jours à s’accroître ; déjà en 1834 le mouvement commercial était de plus de 110 millions de francs. Si la prospérité actuelle se maintient, Singhapour sera dans peu d’années le grand marché des productions de l’Orient.
in 'Le tour du Monde' - Edouard Charton - 1870 - Collection personnelle Singapore. — Description de la ville et de l’île, que j’ai visitées plusieurs fois de 1854 à 1862 Peu d’endroits sont plus intéressants pour un voyageur venant d’Europe que la ville et l'île de Singapore, où s’offre à l’observation une grande variété de races orientales, de religions et de mœurs différentes. Le gouvernement, la garnison et les notables marchands sont Anglais, mais le fond de la population, en y comprenant quelques-uns des négociants les plus riches, les agriculteurs de l’intérieur, les artisans les ouvriers, est chinois. Les Malais indigènes sont pour la plupart pêcheurs, bateliers, et composent le corps entier de la police. Les Portugais de Malacca sont représentés par un nombre assez considérable de commis et de petits marchands. Les Klings de l’Inde occidentale, qui forment un groupe nombreux de mahométans, de même que beaucoup d’Arabes, s’adonnent aux petites industries et tiennent boutique. Tous les Bengalis sont gens de service et porteurs, d’eau. Klings est le nom générique que l’on donne dans l’archipel aux Hindous qui y passent ou s'y établissent.
Les Parsis, peu nombreux, forment une classe de marchands très respectée. On rencontre aussi de nombreux Javanais, la plupart matelots ou domestiques, et des trafiquants de Célèbes, de Bali et de plusieurs autres îles de l’archipel. Le port est rempli de vaisseaux et de bâtiments de commerce de diverses nations européennes, de centaines de barques (proas) malaisiennes et de jonques chinoises, de navires de toutes dimensions, depuis ceux qui jaugent plusieurs centaines de tonnes jusqu’aux petits bateaux pêcheurs et aux sampans omnibus. Ajoutez que la ville a de beaux monuments publics, des églises, des mosquées, des temples hindous, des joss-houses chinois (probablement des maisons de jeu), des maisons européennes confortables, des magasins massifs, de vieux bazars originaux klings et chinois, et de longs faubourgs faits de cottages chinois et malais. En somme, parmi tous ces divers éléments de la population, ce sont les Chinois qui dominent et qui attirent le plus l’attention de l’étranger : leur nombre et leur activité donnent à Singapore beaucoup de l’apparence d’une ville chinoise. Le marchand chinois est, en général, un gros homme à face ronde, à l’air important, préoccupé de ses affaires. Ses vêtements (large chemise blanche, pantalon bleu ou noir) sont de la même forme que ceux des plus pauvres coolies, mais d’étoffe plus belle, et toujours propres et nets. Sa longue queue, entourée de soie rouge, pend jusqu’à ses talons. Il a en ville un beau magasin ou une boutique, et à la campagne une bonne maison. Il a aussi un cheval et un cabriolet, et chaque matin on le voit se promener pour jouir de la fraîcheur. Il est riche : il possède des dépôts de vente en détail et des navires de commerce ; il prête à haut intérêt et sur bonnes garanties ; en un mot, il fait de gros marchés, et d’année en année s’engraisse et s’enrichit. Dans le bazar chinois, on voit des centaines de petites boutiques où se vendent toutes sortes d’objets de quincaillerie et d’autres marchandises utiles, dont la plupart sont d’un bon marché merveilleux. On peut y acheter des vrilles à deux sous, quatre pelotes de fil de coton blanc pour un sou, des canifs, des tire-bouchons, de la poudre à canon, du papier à lettres et beaucoup d’autres articles à un prix aussi modique et même moindre qu’en Angleterre. Le boutiquier a très bon caractère ; il vous montre tout ce qu’il a dans son magasin, sans témoigner aucun mécontentement si vous ne lui achetez rien. Il surfait un peu, mais pas autant que les Klings, qui demandent toujours le double du prix qu’ils désirent. Si vous lui achetez quelque chose, il vous parlera ensuite chaque fois que vous passerez devant sa boutique, vous priant d’entrer, de vous asseoir et de prendre une tasse de thé ; et vous vous demandez comment il peut gagner sa vie, au milieu de tant d’autres qui vendent tous ces mêmes articles de si peu de valeur. Les tailleurs sont assis à une table, et non sur une table, et, comme les cordonniers, ils travaillent bien et à bon marché. Les barbiers ont beaucoup à faire ; ils rasent la tête et nettoient les oreilles ; pour cette dernière opération, ils ont tout un outillage de petites pinces, de cure-oreilles et de brosses. Les faubourgs sont remplis de menuisiers et de forgerons. Les premiers paraissent surtout occupés à fabriquer des cercueils et des coffres à vêtements, décorés et peints à effet. Les forgerons sont la plupart armuriers, et font à la main des fusils avec des barres de fer massif. On peut les voir tous les jours appliqués à ce travail difficile ; ils le mènent à bien jusqu’à la fin et les armes, dont ils font aussi les platines, ont très bonne façon. Partout dans les rues on rencontre des marchands d’eau, de légumes, de fruits, de soupe et d’agar-agar (gelée de plantes marines) : ces gens crient d’une manière aussi inintelligible que les marchands de Londres ; d’autres portent un appareil pour faire la cuisine au bout d’une perche ayant à l’autre bout une table qui forme contre-poids ; ils servent un repas de coquillages, de riz et de légumes pour deux ou trois sous. De tous côtés, enfin des coolies et des bateliers attendent qu’on les emploie. À l’intérieur de l’île les Chinois abattent des arbres dans la jungle, et les scient pour en faire des planches. Ils cultivent des légumes qu'ils portent au marché, et aussi le poivre et le gambir, articles de commerce importants. .../...
Texte et gravures extraites du Voyage pittoresque autour du Monde – Dumont d’Urville – 1839 Sincapour a deux rades, l’ancienne et la nouvelle, l’une assez bonne, quoiqu’ouverte, l’autre merveilleusement sûre ; nous choisîmes la dernière, située à l’0uest de la ville. > Sincapour était pour moi un lieu de prédilection, une espèce de pays-modèle, où s’étaient réalisées en dix ans d’existence les merveilles devinées par Adam Smith et ses continuateurs. Je voulus voir ce pays favorisé et le bien voir. Ma première visite fut pour la ville européenne où je trouvai un logement : elle est située sur la rive gauche de la rivière. J’y aperçus l’hôtel du résident, bâti en briques que la chaux a blanchies, habitation vaste ; mais peu élégante, malgré sa belle galerie à colonnades. Non loin de là, je passai tour à tour en revue le palais de justice, les prisons, l’hôtel des douanes, le jardin de botanique, l’hospice et une foule de vastes entrepôts. Chaque quartier attira tour à tour mon examen : à l'Est de la rivière, le camp Boughi, et le camp arabe avec ses mosquées ; à l'Ouest le camp chinois avec ses rues dites de Macao et de Canton, avec ses temples et son curieux cimetière ; le camp Choulia peuplé d’Hindous ; enfin le camp malais jeté plus loin du centre marchand et groupé avec ses maisons plus modestes sur les bords d’une petite rivière navigable. Les naturels, qui peuplent ce quartier, sont plus doux, plus civilisés qu’aucun des peuples de la même race : comme les habitants de Sumatra, ils portent la veste à manches et le pagne autour du corps : ils ont aussi le kriss à la ceinture, et le mouchoir roulé autour de la tête. Quant aux femmes, le costume habituel est encore la jupe à carreaux, la casaque et le pagne en sautoir. Leur chaussure consiste en une semelle en bois que deux supports tiennent élevée au-dessus du sol ; cette semelle tient au pied par une simple cheville à boules, qui s’engage entre l’orteil et le second doigt. Un usage constant de pareilles sandales peut seul empêcher de les laisser par le chemin.
Les environs de Sincapour offrent des sites ravissants : autour de la ville ce sont des allées et des promenades où chaque soir, au coucher du soleil, les créoles viennent se croiser dans leurs jolis équipages traînés par de petits chevaux javanais, aux formes gracieuses, aux allures fringantes. Plus loin, et au-dessus des terrains inondés que couvrent les cases malaises, commence un côteau, dont la rampe est douce et ombragée. À son sommet se groupent les plus jolies habitations que l’on puisse voir, villas charmantes, où les négociants européens vont se distraire des fatigues commerciales et respirer un air plus frais et plus salubre que celui du littoral. La vue est admirable du haut de ces monticules. Au travers de massifs de verdure, Sincapour blanchit à leurs pieds avec sa ligne de rues symétriques et sa rivière animée de barques et de navires ; plus loin se dessine l’entrée du port avec quelques canons en batterie ; plus loin encore la rade avec son hémicycle peuplé de mâts ; enfin sur le dernier plan quelques petites îles malaises éparses, qui vont s’absorber dans les grands et hauts reliefs de Sumatra. Les maisons de plaisance, qui garnissent ces sommets, sont presque toutes à un seul étage, élevées sur des pieux, elles se trouvent à l’abri des reptiles et des insectes si communs dans ces climats à la fois chauds et pluvieux. Leur ameublement intérieur est commode, riche, élégant. Des jardins et des bouquets d’arbres entourent le corps de logis ; de jeunes plants de cannelliers et de girofliers tapissent le versant intérieur des collines. En examinant le terrain où poussent ces nouvelles cultures, il est aisé de voir que le travail de l’homme l’a récemment conquis. Des squelettes d’arbres calcinés, d’énormes racines qui bossellent le sol, attestent que la hache et le feu ont déblayé la végétation primitive. A quelques toises de l’enceinte défrichée, cette végétation reparaît, avec ses troncs majestueux, ses cimes élancées et chevelues. Dans ces forêts vierges encore, la main de l’homme ne se révèle nulle part ; on y trouve partout du silence et de l’ombre ; et comme les bêtes féroces, qui fuient toujours le voisinage des habitations, se sont retirées peu à peu vers les gorges centrales de l’île, c’est à peine si quelques chats sauvages, quelques onces et d’autres animaux carnassiers, viennent troubler de temps à autre le calme et la sécurité de ce rayon. Fondée d’hier, Sincapour n’a pas encore de ressources territoriales proportionnées à son développement industriel. Ses colons, absorbés dans leur rôle de spéculateurs et d’entrepositaires, n’ont encore eu ni le temps, ni le désir de tirer parti d’un sol riche et arrosé, d’un climat doux et sain. Aussi les provisions y sont rares, toujours coûteuses, et souvent de qualité inférieure. Les Chinois seuls s’y occupent de jardinage ; ils exploitent avec les plus grands profits quelques morceaux de terrain situés aux environs de la ville. Dans peu d’années sans doute, ces premiers essais auront fait place à des travaux exécutés sur une plus grande échelle : Sincapour n’aura plus besoin de demander aux îles et aux continents voisins les vivres nécessaires pour le ravitaillement de ses navires ; son terroir y suffira. Cette population mixte qui y afflue aura grandi de telle sorte, qu’il sera possible d’en affecter une partie au progrès agricole ; des bénéfices exagérés attireront les bras vers cette exploitation, et bientôt la concurrence se chargera d’améliorer les produits et de faire rentrer les prix dans des termes raisonnables.
La fondation de Sincapour est un fait contemporain qui peut être raconté en quelques phrases. Après le traité qui rendit à la Hollande presque toutes ses possessions de l’archipel malais, le dernier gouverneur anglais de Batavia, sir Stamford Raffles, trouva qu’il était utile et politique d’assurer à la Grande-Bretagne un poste avancé dans les mers de Chine. Il visita donc tour à tour les points les plus favorables, songea à Riou, aux îles Carimon, à la presqu’île de Johore, et finit par fixer ses vues sur Sincapour. Autorisé par le gouverneur-général du Bengale, le marquis de Hastings, il en prit possession avec le colonel Farquhar le 6 février 1819. Par une coïncidence bizarre, la cession de Sincapour avait aussi été faite un siècle auparavant par le roi de Johore au capitaine anglais Hamilton, dont le récit avait prodigieusement exagéré la fécondité de l’île. Les colonisateurs modernes ignoraient toutefois ce droit préexistant, quand ils se firent céder par les possesseurs indigènes la portion du littoral où ils fondèrent leur factorerie. On ne chercha pas alors à dresser des stipulations formelles et définitives : ce ne fut qu’à la suite des progrès de l’établissement et vers 1824, qu’un accord fut signé entre les fils dépossédés du sultan Mahomet mort en 1810 roi de Johore, et le résident anglais de Sincapour. La propriété et la souveraineté de l’île furent cédées au gouvernement britannique, moyennant la somme de 60,000 piastres et une annuité de 24,000 piastres à chacun d’eux. L’île de Sincapour que ce traité a placée sous le patronage anglais a, dans sa forme elliptique, 37 milles dans sa plus grande longueur, et 15 milles dans sa largeur. Elle n’est séparée de la presqu’île de Malacca que par un canal étroit ; son front méridional regarde une chaîne d’îles désertes pour la plupart ou peuplées de races sauvages. L’aspect général de Sincapour présente une surface inégale et onduleuse ; le terrain qui avoisine le comptoir est sablonneux quoique fertile. Ses forêts abondent en bois de construction ; elles recèlent presque tous les quadrupèdes, hôtes de la péninsule ; des singes de plusieurs espèces, le chat sauvage, la loutre, l’écureuil, le porc-épic, le bradype, le daim, et le moschus pygmeus, espèce de lièvre sans oreilles, commun dans les contrées tropicales. Les bêtes féroces, comme le tigre, le léopard, etc., paraissent inconnues à Sincapour. Quant aux oiseaux, ils s’y rencontrent nombreux et variés ; les plus communs sont les grimpeurs et les palmipèdes. Les reptiles infestent l’île ; M. Crawfurd y reconnut, pendant son séjour, plus de quarante espèces de serpents, dont deux seulement étaient venimeuses.
Grâce à sa température égale et variant à peine du 20° au 27° centigrade, Sincapour partage, avec Poulo-Penang, la réputation d’un site salubre et favorable aux malades. Les Anglais que les fièvres et la dysenterie chassent du Bengale ou de la côte de Coromandel viennent chercher dans l’île de sir Stamford la guérison et la santé. Les produits du sol aident autant que le climat à des cures inespérées. L’orange, la mangue, le fruit du mangoustan, y sont d’une saveur et d’un parfum exquis. Tous les légumes, toutes les racines farineuses des zones équatoriales y ont réussi ; mais nos variétés d’Europe, l’artichaut, le chou-fleur, la pomme de terre, ont jusqu’ici trompé tous les essais. On conçoit que Sincapour, née à peine, ne peut avoir encore d’industrie manufacturière, qui est toujours le résultat d’une civilisation lente et laborieuse. Quelques chantiers de construction, et des fabriques de sagou perlé, voilà à quoi se réduisait en 1830 la liste des établissements industriels. Mais son commerce d’échanges, ses transactions d’entrepôt, ont déjà dépassé la plus haute somme des espérances préconçues. Grâce à de larges franchises, obtenues cette fois de la Compagnie privilégiée des Indes, les navires européens, les pros malais, les barques de Siam, les jonques de la Chine, de la Cochinchine et du Japon, les bateaux des Boughis et de l’archipel des Philippines, semblent se donner rendez-vous aujourd’hui sur cette rade de Sincapour, espèce de terrain neutre pour tous les peuples commerçants et pour tous les commerces. On y compte chaque année cent expéditions directes des ports anglais ; des armements venus des États-Unis, d’autres de France, de Suède, de Hollande, des villes Anséatiques, de Gênes, de Trieste, de Dantzig, navires de pavillons et de tonnages divers, qui vont chercher la colonie nouvelle par-delà le cap de Bonne-Espérance. Dans l’Océan des Indes, cette nomenclature s'agrandit ; l’île de France, Ceylan, Madras, Calcutta, Bombay, Batavia, Padang, Poulo-Penang, tous postes européens, versent et demandent des produits de mille sortes. Canton en Chine, Qui-Nhon, Faifo et Hué en Cochinchine ; Saigon, Kang Kao dans le Cambodge ; Bangkok, dans le golfe de Siam ; Manille, les Célèbes, Bornéo, Java, ont organisé aussi leurs échanges et développé graduellement leurs rapports. Peu productive par elle-même, Sincapour appelle dans ses entrepôts les produits du monde entier : là l’Europe et le Bengale acceptent, en retour de leurs fers, de leurs zincs, de leurs étoffes de coton et de laine, le nankin, la soie, la laque, le papier de Chine, la nacre, le camphre, le cassia, le sang-dragon, le poivre de l’archipel malais, le sucre de Siam, le cuivre du Japon, le café, les dents d’éléphant, la rhubarbe, les clous de girofle, les noix muscades, les écailles de tortue, le musc, l’orpiment des diverses échelles asiatiques, océaniennes ou américaines. Ce mouvement commercial, imperceptible au début, a grandi d’une façon si merveilleuse et si rapide, qu’on l’évalue aujourd’hui à plus de 150 milions de francs par année. La progression a été la même pour la population ; en 1819, 150 malais, moitié pêcheurs, moitié pirates, occupaient seuls la petite anse de Sincapour, et cinq ans après, en janvier 1824, un recensement fait par les soins de M. Crawfurd portait les habitants à 10,683 âmes ; en 1825, à 11,851 ; en 1826, à 12,905 ; en 1827, à 13,732. On y comptait 16,850 individus en 1830, et 19,200 en 1832 ; le tout composé, en suivant l’importance du chiffre, de Chinois, de Malais, de Boughis, d’Hindous, d’Européens, de Javanais et de Siamois.
Parmi ces peuples d’origine différente, il en est deux qui dominent à Sincapour par le nombre : ce sont les Chinois et les Malais formant ensemble les cinq sixièmes de la population totale. Les Chinois de Sincapour se subdivisent en cinq classes toutes marchandes, mais distinctes par leurs mœurs, leurs habitudes et leurs langages. Les plus estimés de tous sont les natifs de Fo-Kien ; ensuite viennent les originaires de Canton, puis ceux de Macao et des îles adjacentes ; après eux, les pêcheurs de la province littorale d’Aya ; enfin les créoles, chinois ou la race mêlée. Tous ces émigrants sont actifs, patients, laborieux, intelligents et rusés en affaires. Aucun métier ne leur répugne, pourvu qu’il leur profite ; ils sont négociants en gros, revendeurs, brocanteurs, boutiquiers, agents de change, commissionnaires, agriculteurs, marins, etc. Religieux observateurs des coutumes natales, les Chinois ont toujours le soin d’arranger leur vie à l’étranger de manière à ce qu’elle leur rappelle la patrie. Ils ont à Sincapour des cimetières aussi verts, aussi fleuris qu’à Canton : dans chacune de leurs habitations, décorées à l’extérieur de peintures symétriques, est un autel devant lequel on brûle constamment des parfums et des papiers dorés. Confucius y est figuré ayant près de lui le génie familier qui lui parle à l’oreille. Cet amour du pays est si vif, si tenace chez les Chinois, qu’aucun d’eux ne renonce à le revoir. Quand ils ont amassé quelques épargnes, ils quittent la colonie étrangère et regagnent furtivement leur province natale. Là, si la loi était exécutée à la lettre, les peines les plus graves les attendraient ; mais le tarif d’une immunité est connu et stipulé à l’avance. Moyennant l’abandon fait au mandarin de la moitié de la fortune acquise, l’émigrant peut jouir en paix de l’autre moitié ; il est absous de la contravention par le silence du magistrat. Les Malais de Sincapour ne viennent qu’après les Chinois pour l’activité et l’intelligence. On les divise en deux classes : les Malais de terre ou Orang-Darat, et les Malais de la mer ou Orang-Laut. Les premiers sont bûcherons, laboureurs, détaillants ; les autres bateliers, mariniers ou pécheurs. On appelle encore Orang-Sallat les Malais qui font le service du petit détroit de Sincapour : ils sont presque tous originaires de la province de Johore. Ces trois sortes de naturels diffèrent peu, dans les caractères généraux, des races malaises déjà décrites. Au-dessus d’eux il faut placer les Boughis ou Malais orientaux, originaires des Célèbes, peuple industrieux et bon navigateur.
Bien que l’on compte à peine une quinzaine de maisons d’Européens à Sincapour, c’est en elles qu’il faut voir le nerf de la colonie naissante. Sans ces maisons point de capitaux, point d’ordre, point de confiance, point d’affaires. La présence du résident de la plus forte nation qui soit dans l’Inde donne plus d’efficacité à ces mesures de franchise commerciale, sources de toute prospérité. Sur ce petit point du globe, où la sagacité anglaise a voulu évidemment réaliser une expérience, il a fallu pourvoir à ce que les intérêts n’eussent point de craintes, en même temps qu’ils ne rencontraient point d’entraves. Aussi à côté du port franc, du libre entrepôt, de droits de tonnage égaux pour tous et insignifiants, on a institué une justice et une police rigoureuses, qui seules pouvaient assurer le règne d’une équité et d’un droit relatifs. Pendant les premières années ; le résident fit seul l’office de juge, et ses décrets étaient néanmoins exécutés avec respect. Depuis lors Sincapour ayant été annexée aux résidences de Malacca et de Poulo-Penang, des cours de justice y ont été installées, à l’instar de celles qui régissent les possessions anglo-indiennes. La seule remarque caractéristique à laquelle cette innovation ait donné lieu, c’est que les procès étaient plus nombreux parmi les colons dont la civilisation était plus avancée : on a constaté, par exemple, que la proportion des instances entre Chinois ou entre Européens était dix fois plus forte qu’entre les Malais et les Boughis. La ville de Sincapour se divise naturellement en trois parties : le quartier des Chinois, celui des Européens et celui des Malais. Les deux derniers sont dans la plaine qui fait face à la rade ; le troisième est un peu au-dessus vers la droite de la rivière. La partie marchande de la ville forme une petite presqu’île qui finit en langue dans le golfe, concentrés sur ce point, les marchés, les entrepôts, les magasins lui donnent l’air d’une foire perpétuelle. Le reste de la ville se compose de rues tirées à angles droits et bordées de jolies habitations. Quoique la puissance anglaise soit respectée à Sincapour autant que dans les localités les mieux gardées de l’Inde, la force armée aux ordres du résident s’élève à peine à cent cinquante Cipayes, dont l’entretien coûte quelques milliers de piastres par an. Pour parer aux dépenses d’administration, il a fallu former à la colonie un budget dont les recettes s’élevaient en 1826, d’après M. Crawfurd, à 80,000 piastres. Quelques droits de détail sur la vente de l’opium, une taxe sur la fabrication à domicile des liqueurs fermentées ; une autre taxe sur les jeux ; enfin quelques droits de licence, de transmissions de rentes et de frais de postes, toutes charges légères et presque inaperçues, suffisaient pour couvrir les dépenses coloniales. À l’aide de pareils moyens Sincapour, en deux années d’existence, a renouvelé, dans notre monde commercial, ces miracles de prospérité ascendante, que l’histoire attribue à Tyr, le plus opulent entrepôt de l’antiquité. Les créateurs de la factorerie moderne ont eu la volonté et le pouvoir de la gouverner selon la science, et non pas selon la politique. En même temps qu’ils se contentaient d’une administration à rouages simples, d’une assiette de taxes faciles et douces, ils se défendaient de toutes les erreurs des systèmes précédents, de l’égoïsme de pavillon, de cette manie de protectorat, qui se résume toujours en privilèges pour les uns, en exclusions pour les autres ; des tendances fiscales qui procèdent par restrictions ou prohibitions ; ils entraient dans une voie large et fructueuse que peuvent avouer la morale et l’économie sociales ; ils créaient le cosmopolitisme du commerce et de la navigation, appelant à eux tous les peuples du globe par l’égalité des droits et des charges, complétant par la mise en œuvre d’un tarif uniforme et tempéré, les principes de tolérance religieuse pratiqués depuis un siècle. Considérée sous ce point de vue, Sincapour serait une critique amère de notre système européen. Il est même à craindre que le gouvernement de la Grande-Bretagne et les monopoleurs de la Compagnie ne se ravisent tôt ou tard et ne contrarient des résultats hostiles à leurs tendances administratives. A priori on pouvait traiter de rêves et d’utopies les axiomes de la science économique ; mais que répondre à une expérience ? qu’opposer à des chiffres ? à une progression évidente comme le flux de la mer ? Comment combattre un argument statistique qui prend de la force à vue d’œil, qui prouve dix fois plus aujourd’hui qu’en 1827, et qui en 1840 prouvera cent fois plus encore ? Il faut se résigner ou jouer de ruse. Sans doute les monopoleurs ne périront pas sans chercher à se défendre ; ils trouveront quelques embûches, quelque guet-apens contre la colonie chino-malaise ; mais de toutes les manières, et quand même sa prospérité s’énerverait sous leurs mains, le précédent nous reste acquis à toujours ; la pratique en fait de liberté commerciale a justifié la théorie.
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