La Lettonie se nommait auparavant Livonie, et la Daugava, Dvina
in 'Précis de géographie universelle' par Malte-Brun, édition 1840
Le gouvernement de Livonie comprend la plus grande partie de l’ancien duché de ce nom. Sur sa population actuelle, de plus de 740,000 habitants, on estime les Lettons, de la race wendo-lithuanienne, à 350,000, et les Esthés, de la race finnoise, à 390,000 ; ceux-ci occupent le nord. Le sol est plus varié sous les rapports économiques que dans l’Estonie ; il y a plus de marais, mais aussi plus de plaines. La récolte s’y élève à 1,270,000 tchetvertes de grains, et la consommation à 1,233,000. L’exportation, vu l'étendue du pays, est moindre que dans l’Estonie ; la population est plus compacte. Les distilleries d’eau-de-vie, plus nombreuses et plus lucratives, absorbent beaucoup de grains. On exporte encore du chanvre et du lin. Le houblon ne suffit pas. Les essartements, ou défrichements faits en arrachant les bois, opérations ruineuses pour le pays, sont de deux sortes : ou l’on coupe les bois sur l’endroit même, on les brûle, et ensuite on laboure la terre ; ou, après avoir labouré un terrain, on y amène du bois, qu’on y met par rangées, qu'on couvre de tourbe, et qu’on brûle. Dans l’un et l’autre cas, ces terres, imbibées de cendres, rapportent la première année du froment ou de l’excellente orge ; la seconde année, du seigle passablement bon, et la troisième, de bonne avoine. Quelques unes servent encore la quatrième, ou même la cinquième année ; cependant leur produit est toujours de moindre qualité ; elles sont ensuite absolument inutiles durant un espace de quinze à vingt ans. Une autre circonstance fatale à l’agriculture, c’est que les prairies sont presque toutes couvertes d'eau pendant l’hiver, ce qui rend mauvaise la qualité du foin.
Parmi les villes, nous remarquerons d’abord Riga, en letton Righo et en estonien Riolin, capitale de la Livonie, ville bien fortifiée, et située sur la rive septentrionale de la Dvina, à trois lieues et demie de son embouchure. Sa population, qui s’élevait en 1799 à 27,798 individus, d’après Karamsine, paraîtrait avoir diminué si, avec M. Storch, on ne lui donnait pour 1815 que 24,515 habitants ; mais dans ce nombre ne sont pas compris les faubourgs avec 10 ou 12,000 habitants ; ainsi, le total pouvait à cette époque aller à 36,000 au moins. En 1821, sa population s’élevait à 41,500 habitants, et en 1833 à 50,000. Riga possède un hôtel-de-ville d’une belle architecture, construit en 1750 ; un palais impérial ; des églises imposantes ; un port grand et sûr, quoique peu profond ; deux arsenaux entretenus, l’un par la ville et l’autre par l’état ; plusieurs sociétés savantes, un lycée, un observatoire, une bibliothèque riche en manuscrits rares, et le musée de Himmsel qui mérite d’être vu ; mais les rues sont étroites. Il y a sur la Dvina un beau pont de bateaux, auquel les Russes donnent le nom de pont vivant. Le port de Riga est le second de la Russie. Il y aborde annuellement 900 à 1,100 vaisseaux, et quelquefois davantage. Les arsenaux sont vastes et pourvus de tout ce qui est nécessaire à la marine. L’exportation consiste principalement en seigle, en un peu d’orge et de froment, en chanvre, lin, potasse, cire et miel, mats, planches et autres sortes de bois. Le commerce se fait presque en totalité sur des vaisseaux étrangers. Il y a même beaucoup de maisons étrangères établies dans la ville. L’importation est aujourd’hui peu considérable ; mais elle le deviendrait bientôt, si l’on exécutait le projet de réunir par un canal la Dvina et le Volga, ce qui mettrait Riga en communication directe avec la Russie centrale. Cette ville a peu d’industrie manufacturière : mœurs, lois, coutumes, tout y rappelle une ville allemande et une république hanséatique. La bourgeoisie a part au produit des douanes ; elle entretient une centaine de soldats, un corps d’artillerie et quelques ingénieurs ; elle a son arsenal particulier, et jouit de plusieurs autres distinctions honorifiques. La situation de la ville l’expose à des inondations ; l’eau de la rivière est trouble et malsaine ; les environs ne sont que des sables et des marais. Cette place, regardée comme un des boulevards de l’empire russe, arrêta enfin en 1812 le génie affaibli de Napoléon et la fortune lassée des Français : les fortifications ne sont cependant pas d’une grande défense.
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D’après un oukase rendu par l’empereur Alexandre en 1804, les paysans livoniens ont été affranchis de l’esclavage dans lequel sont la plupart des autres paysans russes. Ce décret porte qu’aucun paysan ne peut être vendu sans qu’on vende en même temps le village et la terre auxquels il est attaché. Les autres dispositions sont tout à fait favorables à l’affranchissement de cette classe d’habitants. Cependant, ce n’est que depuis 1826 que ce noble but a été atteint par la couronne. Aujourd’hui le paysan livonien jouit de la faculté de s’établir où bon lui semble ; les habitants de la campagne ont fait des baux avec leurs anciens maîtres ; d’autres ont quitté le métier de cultivateur pour se livrer à diverses branches d’industrie.
in 'Le grand dictionnaire historique' de Louis Moreri, édition 1725
RIGA, que les Allemands appellent Rigen, & les habitants Riig, ville capitale de la Livonie, est située dans une grande plaine sur le fleuve Duna (Daugava), qui se décharge un peu au-dessous dans le golfe de Riga, partie de la mer Baltique. Elle fut bâtie par Albert III. évêque de Livonie en 1196. ou, selon d'autres, par Berthold aussi évêque de Livonie, en 1186. qui y établit le siège épiscopal. Depuis cette église fut érigée en archevêché l'an 1215. par le pape Innocent III. & fut métropolitaine de toute la Livonie, de la Prusse, & de la Curlande. Les chevaliers de l’ordre des Porte-glaives, puis le grand maître de l'ordre Teutonique en Prusse y partagèrent la justice & la souveraineté avec l’archevêque jusqu'au changement de la religion. Ce fut vers le même temps, que la guerre des Moscovites obligea les habitants de Riga d’avoir recours au roi de Pologne, auquel ils se donnèrent volontairement l’an 1561. Charles IX. roi de Suède, assiégea la ville de Riga en 1605. & fut contraint de lever le siège, comme aussi en 1609. mais son fils Gustave Adolphe fut plus heureux, & prit cette ville en 1621. Depuis ce temps-là, les Suédois l'ont possédée, & après eux les Moscovites, qui en jouissent actuellement depuis le 13. Juillet 1710. les Suédois ayant été obligés de la leur céder. Cette ville est fort peuplée, & très considérable à cause de son commerce, tant avec les Anglais, les Hollandais, & les villes hanséatiques d’Allemagne, lorsque l’été rend la mer Baltique navigable, qu'avec les Moscovites, lorsque la glace peut porter les traîneaux. Les vivres y sont à fort bon marché, aussi bien que le gibier & la venaison, parce que tous les paysans ont la liberté de chasser. On y suit la religion Protestante, dont les ministres font leurs prêches en allemand ; on en fait aussi en langue esclavonne & curlandaise dans deux temples particuliers pour le menu peuple. Le magistrat fait expédier tous les actes publics en allemand. En 1429. il y eut un concile à Riga.
* Olearius, voyage de Moscovie.
Article extrait de 'La lecture des Livres françois', par Antoine-René VOYER, édition de 1785
Le premier des grands Gouvernements de la Russie, dont je vais parler, est celui de la Livonie, conquête de Pierre le Grand, extrêmement avantageuse pour l’Empire de Russie, dont elle est la barrière la plus redoutable. Cette province, grande & importante par sa situation, devrait être une des plus riches & des plus peuplées de la Russie. Elle le ferait en effet, si les guerres, qui l’ont désolée pendant plusieurs siècles, ne l'avaient réduite à un point d'appauvrissement & de dépopulation, dont elle n’a pu encore se relever, quoiqu’il y ait plus de soixante ans qu’elle jouisse de la paix, sous la domination des Empereurs de Russie.
L’histoire de la Livonie est vraiment curieuse &. intéressante. Les anciens Chroniqueurs font remonter cette histoire jusqu'avant la naissance de Jésus Christ ; elle se confond avec celle fabuleuse & romanesque du Danemark & de la Suède ; mais pour ne rien dire que de raisonnable, il faut convenir que ce n’est qu’au douzième siècle que quelques Marchands Allemands donnèrent au reste de l’Europe quelques connaissances de ce grand pays, qui renferme la Livonie & l’Estonie. Il était alors habité par trois nations ; savoir, les Lives ou Livoniens, les Lettons ou Lettoniens, & les Estions ou Estoniens. Ces derniers étaient à l’extrémité septentrionale du pays, ils y sont reliés & ont donné leur nom à l’Estonie, qui forme un Gouvernement à part, dont je parlerai dans un moment. Mais quant à la partie méridionale, les deux peuples qui l’habitaient ont joint ensemble leurs possessions. Le nom des Lives a prévalu ; la province toute entière s’est appelée Livonie, quoique les races des Lives & des Lettons ne se soient pas confondues, & qu’on les distingue encore, d’autant plus qu’elles ont chacune leur Langue, ou du moins un dialecte différent.
La Livonie entière est allez plate, n’ayant aucune haute montagne, mais feulement quelques coteaux. L’air y est pur & sain, l’hiver long & rude, & l’on est obligé d’y faire du feu pendant
neuf mois de l’année ; mais aussi les trois mois d’été y sont fort chauds, & la végétation si rapide, que ce temps suffit pour obtenir une abondante récolte de grains. Les Agriculteurs manquent plutôt aux campagnes, que celles-ci ne manquent de produire. Il y a quelques cantons marécageux ; mais il y croît de l’herbe qui suffit à la nourriture des bestiaux & des chevaux. Les terres arides que l’on est forcé de laisser incultes, produisent des broussailles & des bouleaux, auxquels, au bout d’un certain nombre d’années, on met le feu. La cendre qui se répand fur la terre, la rend d’un grand produit pendant quelque temps, pour peu qu’on l'ensemence. Quand l’effet de l’incendie a cessé dans un canton, le paysan Livonien va brûler, semer & recueillir dans un autre. Cet arrangement est sûrement d’une mauvaise économie ; mais la dépopulation du pays le permet. On exporte toujours de la Livonie, de l’orge & du seigle plus que l’on n’y en consomme. Il en est de même du chanvre & du lin ; mais on est obligé de faire venir du dehors du houblon pour faire la bière. La côte est très poissonneuse, & le poisson que l’on sale & que l’on fume, sert beaucoup à la subsistance des habitants du pays. Il y avait autrefois beaucoup de bois ; mais on n’a point veillé fur l’administration des forêts de la province,t & la quantité énorme que l'on en emploie pour bâtir les maisons qui font toutes de bois & de grosses poutres placées les unes fur les autres, est cause que l’on commence à en manquer. Quant au bois de chauffage, on peut s’en passer, le pays fournissant de bonne tourbe. Le gibier y est médiocrement bon, mais commun & à bon marché. Les vaches, les brebis & les chevaux y font de petite taille, mais bons : on fait cas des doubles bidets de Livonie, qui sont excellents pour monter les dragons & pour les courriers ; aussi ceux qui passent d’Allemagne à Pétersbourg, sont-ils très contents des chevaux de poste de Livonie. Pendant l’été, on les attelle à des chariots assez légers & à quatre roues ; l’hiver, c’est à des traîneaux, qui font beaucoup de chemin en peu de temps avec facilité & rapidité.
Les guerres ont si cruellement dépeuplé ce pays, qu’il ne contient plus aujourd’hui que sept villes, tant grandes que petites, presque plus de villages, mais feulement quelques châteaux, métairies & maisons isolées & éparpillées. Il y a dix ans que, malgré tous les soins du Gouvernement, il n’y avoir pas quatre cent cinquante mille âmes dans cette province. La plus grande partie des habitants sont Allemands, surtout ceux que l’on trouve sur le grand chemin de Riga à Pétersbourg. Dans les villes de quelque commerce, telles que Riga & Pernau, il y a des étrangers de toute espèce, Suédois, Danois, Anglais, Hollandais & François. Dans l'intérieur des terres, le peu d’habitants qui s’y trouvent sont ou paysans Russes, ou des descendants des Lives & des Lettons. Les premiers comme il paraît par leur langage, tiennent des Finlandais, & les derniers, des Polonais ou des Lithuaniens. Tous les paysans des trois nations dont je viens de parler, sont serfs ; & quoiqu'en 1765 les Etats du pays aient engagé la Noblesse à diminuer la dureté de cette servitude, il en reste encore assez pour rendre ces malheureux très paresseux. Ils ne cherchent qu’à assurer leur simple subsistance, sentant que s’ils ont quelque chose de plus, leur Seigneur s’en emparera. Toutes les terres de Livonie sont entre les mains d’environ deux cents familles de Gentilshommes,
qui ont droit d’entrer aux Etats de la province. Il y en a plus de la moitié qui ne s’y font établis que depuis qu’elle est sous la domination Russe. Le reste a été admis aux Etats, tant sous la possession de la Suède, que sous celle de la Pologne ; enfin il y en a encore environ cinquante qui sont originaires d’Allemagne, & qui ont eu dans leurs familles des Chevaliers Teutoniques ou Porte-épées, qui les ont attirés dans ce pays. Les jeunes Gentilshommes Livoniens prennent presque tous le parti des armes ; & après avoir servi allez longtemps, s’ils ne parviennent pas aux grades éminents, ils se retirent chez eux, ou ils obtiennent des emplois honorables : car la Cour de Russie s’étant piquée d’honneur de rendre à la Noblesse Livonienne tous ses anciens privilèges, a promis de ne donner les places d’administration de la province qu’à des indigènes.
Les Etats s’assemblent tous les trois ans, & ne sont composés que de la Noblesse & de deux Dépurés de la ville de Riga. L’assemblée commence par l’élection d’un Maréchal, qui en est le Président, dirige les affaires pendant la tenue, administre la caisse commune, tient le Conseil Provincial, & correspond, pendant les trois années d’une tenue à l’autre, avec le Ministère Impérial sur tout ce qui peut intéresser la province.
Il n’y a point ou peu de manufactures en Livonie, faute d'ouvriers ; moyennant quoi les productions du pays en sortent brutes, y rentrent travaillées & s’y vendent bien cher dans cet état, quoiqu’elles aient été données à bon marché dans l’autre ; cependant il s’y fait quelque commerce par la Baltique. L’exportation & l’importation se font par des vaisseaux qui arrivent à Riga & à Pernau, ou en partent.
Toute la Livonie est Luthérienne, & divisée en cent vingt paroisses, dont les Curés font nommés par les Seigneurs, qui les présentent au. Surintendant ou Chef du Consistoire des Ministres, qui réside à Riga. Ce Consistoire juge les affaires ecclésiastiques ; mais on en appelle à Pétersbourg. En matière de Justice ordinaire, il y a de même de petits Tribunaux, dont on appelle à un plus grand, nommé le Conseil Aulique ;.mais celui-ci ressortit encore, en certains cas, au Tribunal du Gouverneur-Général, qui a la
Justice suprême & la grande Police dans la province. Enfin les affaires majeures se portent au Sénat dirigeant, ou même au Conseil Privé de l’impératrice à Pétersbourg ou à Moscou.
En 1158, des Marchands de Bremen s’étant engagés dans la mer Baltique, furent jetés par la tempête à l'embouchure de la Dvina. Ils trouvèrent ce pays agréable & fertile, comme il l’est en effet naturellement, & prirent la résolution d’y former des établissements & d’y faire un commerce. Ils y passèrent l’hiver ; & y étant revenus quelques années après avec un plus grand nombre de vaisseaux & de Passagers, entre lesquels était un fameux Millionnaire, nommé Saint Maynard, qui fit de grandes conversions, bâtit une église dans un lieu nommé Vecsul, & après avoir fait un voyage en Allemagne pour rendre compte à l’Archevêque de Hambourg de ses succès, fut sacré :Evêque de ce pays ; y étant retourné, il établit la première cathédrale à Kircholm, près de Riga, où cet évêché a été depuis transféré.
Les peuples de la Livonie restèrent pendant plusieurs années libres de se.
convertir à la Religion Chrétienne, s’ils le jugeaient à propos ; mais le Roi de Danemark, Canut VI, s’étant emparé de l’Estonie à la fin du douzième siècle, & l’ayant rendue Chrétienne par force, bientôt la Livonie eut un fort pareil.
En 1201, Albert, un des successeurs de l’Evêque Maynard, imagina qu’il devait être le Souverain temporel de son troupeau. Pour cet effet, il demanda l'investiture de la Livonie à l’Empereur Henri VI, qui la lui accorda. Il fonda la ville de Riga, & y fit établir par le Pape Innocent II, un Ordre militaire, dont il fut déclaré le Supérieur Ecclésiastique, & auquel il abandonna le tiers du pays dont il avait reçu l’investiture, à condition que les Chevaliers l’aideraient à soumettre le reste, non feulement à la Foi, mais même à sa domination. Le Pape donna à ces Chevaliers la même Règle qu’aux Templiers & aux Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem, qui avaient été institués dans le siècle précédent. La marque distinctive qui leur fut assignée, fut un manteau blanc, chargé d’une croix & d’une épée rouges ; ce qui fit qu’on les nomma Chevaliers Porte glaives ou Porte- épées, en latin Ensiferri.
Le premier Grand-Maître de ces Chevaliers Allemands fut Vinno de Rohrbach. Peu après qu’il fut arrivé en Livonie, accompagné d’un Légat du Pape, nommé Guillaume, Evêque de Modène, il conquit tout le pays dont l’Evêque & ses Millionnaires convertissaient en même temps les habitants. Mais l’an 1219, les Chevaliers furent défaits par Waldemar II, Roi, de Danemark, qui ayant fait une descente en Livonie, battit complètement les anciens habitants & les Chevaliers, se rendit maître à son tour de la Livonie & même de la Courlande, & les joignit à l’Estonie qu’il possédait déjà. Waldemar, pour prouver qu’il était bon Chrétien, fonda un évêché à Pilten en Courlande, indépendamment de celui de Riga, dont l’Evêque fut obligé de le reconnaître pendant quelque temps pour Souverain ; mais la domination ne dura pas longtemps ; il fut fait prisonnier par un Seigneur du royaume, qui l’avoir surpris avec sa femme. Pendant sa Captivité, les Chevaliers Porte-glaives regagnèrent du terrain ; mais leur second Grand-Maître, nommé Schuk, fut tué dans une bataille. Ils étaient dans cet état de faiblesse & dans l'impossibilité de conserver leur conquête, lorsque les Chevaliers de l’Ordre Teutonique, chasses du Levant, se réfugièrent en Prusse, dans l’espérance d’y faire des conquêtes de la même manière que celles entreprises par les Porte-glaives. Ceux-ci proposèrent de réunir les deux Ordres, & cette union ayant été faite & approuvée par le Pape en 1238, les Chevaliers, se mirent de concert à combattre, & vinrent à bout de s’assurer de la Livonie ; mais ils furent obligés, de laisser aux Danois la Courlande & l’Estonie, dans laquelle Waldemar fonda la ville de Revel, & peu de temps après celle de Narva.
Les Chevaliers Teutoniques ayant établi leur domination en Prusse, après bien des guerres & des batailles, dont je rendrai compte en parlant de ce royaume, conçurent de nouveaux projets d’agrandissement pour la Livonie ; ils fournirent ce qui forme aujourd’hui les .duchés de Courlande 8c de Sémigalle ; mais l’Estonie resta aux Danois jusqu’en 1346, que Waldemar III l’abandonna à l’Ordre Teutonique, moyennant une somme de dix-huit mille marcs d'argent pur. Cependant ce n'était pas sans des guerres presque continuelles, que les Chevaliers conservaient leurs conquêtes ; ils avaient établi en Livonie un Grand- Prieur ou second Grand-Maître, subordonné à celui de Prusse, & qui avait toujours les armes à la main contre les Lithuaniens & les Russes, & quelquefois contre l’Evêque de Riga même, qui se plaignait qu’ils usurpaient la totalité du pouvoir donc il ne leur avoir cédé qu’une partie. Les choses durèrent ainsi jusqu’en 1495, que Walther de Plettemberg devint Grand-Prieur ou Grand- Maître de Livonie. Il fut le premier homme de guerre de son temps. Les Russes s’étant hasardés à faire une incursion en Livonie, Plettemberg les poursuivit, & remporta sur eux la victoire la plus complète. Il obligea le Tzar Baille à lui demander la paix : les Russes en profitèrent pour s’emparer de Pleskow & de Smolensko sur les Polonais, & Plettemberg pour se rendre indépendant de l’Ordre Teutonique. Il s’accommoda avec un Prince de la Maison de Brandebourg qui occupait alors la place de Grand-Maître de tout l’Ordre, lui donna une grosse
somme d’argent, & obtint de l’Empereur que le Grand-Maître de Livonie aurait place parmi les Princes de l’Empire & séance à la Diète. Cette réparation fut cause que les Chevaliers de Livonie firent par la fuite leurs guerres & leurs arrangements à part, tandis que les Chevaliers Teutoniques en faisaient de leur côté.
En 1512, le Luthéranisme commença à s’introduire dans la Livonie. Le Grand- Maître Plettemberg & l’Archevêque de Riga, de la Maison de Brandebourg, le favorisèrent eux-mêmes : l’Empereur Charles Quint eut beau leur faire des représentations à ce sujet, l’envie de s’emparer des biens ecclésiastiques & d’en faire leur patrimoine, les engagea à persister. Les Russes profitèrent des troubles que ce changement de Religion occasionna dans ce pays. Le Tzar Jean Basilowitz II y fit une irruption : le Grand- Maître Henri de Galen acheta la paix à prix d’argent ; mais elle ne dura pas longtemps. Les Polonais & les Suédois s’étant mêlés des troubles intérieurs de Livonie, le même Tzar Jean Basilowitz, à la tête de ses troupes, y fit les plus grands ravages, & y exerça les plus grandes cruautés. Pendant plus de dix ans, la Livonie fut
la proie des soldats indisciplinés de différentes puissances, & enfin elle fut partagée en 1561. L’Estonie s’étant mise sous la protection de la Suède, demeura à cette Couronne. La Livonie fut soumise au Roi de Pologne, Grand-Duc de Lituanie. Le Grand-Maître Gothard Kettler fut obligé de renoncer, aussi bien que l’Archevêque de Riga, à la prétention d’en être les Princes souverains, ou du moins de ne dépendre que de l’Empire. Kettler eut en récompense pour lui & la postérité les duchés de Courlande & de Sémigalle, encore en fit-il hommage à la Couronne de Pologne. Cet arrangement dura environ un siècle ; mais il s’en fallut de beaucoup que la Livonie fût tranquille pendant ce temps-là. Les Suédois trouvaient mauvais qu’elle fût cédée aux Polonais. Il s’éleva de nouvelles guerres entre les deux Nations ; les Rois de Pologne, de la Maison de Vasa, prétendirent conserver le royaume de Suède qui se révolta contre eux. La Livonie fut en partie le théâtre de cette guerre, qui finit en 1660, par le traité d’Oliva. Une des clauses portait que la Livonie appartiendrait à la Suède : elle demeura plus de quarante ans sous cette domination, & n’en fut pas moins malheureuse. Le Roi Charles XI voulut priver la Noblesse Livonienne de ses privilèges. Ceux qui osèrent résister furent traités avec la plus grande dureté, & le pays fut abandonné par un grand nombre de familles. Au commencement du dix- huitième siècle, la Suède ayant déclaré la guerre à la Russie, Pierre le Grand, après avoir livré bien des batailles, dont la Livonie fut souvent le théâtre de la victime, vint à bout de la conquérir, & elle lui fut cédée par le traité de Nystad, en même temps que l’Estonie, l’Ingrie & la Carélie. Cependant une portion de la Livonie appartenait encore à la Pologne, & servait de prétexte à un Evêque & à un Palatin pour avoir séance à là Dicte parmi les Sénateurs ; mais depuis les derniers arrangements faits avec la Pologne, la province, entière dépend de la Russie.
Cette province porte le titre de duché, & a pour armes un griffon d’argent, tenant en main une épée nue en champ de gueule. Les revenus du Souverain consistent dans les domaines, dont les paysans payent une taille à la Couronne de même les Seigneurs particuliers en exigent de ceux qui habitent leurs terres. D’ailleurs toutes ces terres indistinctement doivent une taxe au Souverain. Les péages & les droits d’entrées sur les marchandises lui produisent plus d’un million de roubles, auquel il faut ajouter une contribution de cent mille roubles qu’il fait payera cette province, lorsqu'il a la guerre avec les Turcs.
Riga, capitale de la Livonie, est située au bord de la Dvina, qui la dépare de la Courlande. Cette ville n’est ni grande ni bien bâtie, mais ses fortifications sont considérables, & elle est riche par son commerce. Cependant elle se sent encore des sièges qu’elle a soutenus à plusieurs reprises. il y a vingt ans qu’il y avait dans la ville que dix-sept cents habitants, & environ quatre mille dans les faubourgs. Cependant on y voit trois grandes églises Luthériennes, dont la plus considérable était cathédrale du temps du Catholicisme, dédiée à la Sainte Vierge, & a été construite en 1211. On prêche dans une de ces églises en Langue lettonienne, ancien langage du pays, & dans les deux autres en allemand. On y compte d’ailleurs six églises Russes & trois dans les faubourgs. Le Gouverneur- Général demeure dans la citadelle. Riga contient quelques autres édifices publics, tels que l’hôtel de ville, celui où s’assemblent les collèges d’administration, & l’arsenal. Les fortifications ont été réparées & augmentées sous le règne de l’Impératrice Elisabeth ; elles commandent un magnifique pont de bateaux, sur lequel on traverse la Dvina. La bonté du port y attire nombre de vaisseaux étrangers : en 1775, il en était entré huit cent cinquante ; cependant le fleuve n’est pas assez profond pour que les plus gros puissent y arriver sans se débarrasser d’une partie de leur charge : ils s’arrêtent pour cet effet auprès du fort de Dunamunde, à l’embouchure de la rivière, à deux milles de la ville. C’était autrefois une forteresse considérable qui a souvent été assiégée, & qui a pour la dernière fois,été prise par les Suédois en 1701. Elle fut fondée en 1210 par l’Evêque Albert, qui y avoir établi un couvent de l’Ordre de Cîteaux. La ville de Riga reconnait que son Fondateur ce même Evêque, qui l’entoura de murailles en 1200, & en fit le chef-lieu de ses possessions, tant spirituelles. que temporelles. L’évêché fut érigé en archevêché en 1255, & ce siège devint bientôt si considérable & si riche, que son Prélat était le maître de quatre autres petites villes, & de dix-neuf châteaux.
Quoique Pierre le Grand ait cherché à ménager la ville de Riga, lors du siège de 1710 elle s’en est ressentie jusqu'à présent ; d’ailleurs elle a éprouvé un nouvel accident par un incendie qui, en 1768, a réduit en cendres tout le faubourg de Pétersbourg.
On ne peut rien dire des villes de l'intérieur du pays, qui font assez mal peuplées & peu intéressantes ; l’une s’appelle Wolmar ; elle a été fondée par le Roi de Danemark Waldemar II, au treizième siècle ; une autre, Salis, bâtie dans le même temps, mais remarquable parce qu’on y parle encore l’ancienne Langue live ou de Livonie.
Wenden a été autrefois un lieu considérable, & la résidence des Grands- Maîtres. Le Roi de Pologne Etienne Battori voulut y faire ériger un évêché ; mais cette érection n’a pas eu de fuite. Le Roi Gustave-Adolphe fit présent du domaine de cette ville a son Grand-Chancelier Comte d’Oxinstiern, dont les héritiers ont continué de le posséder jusqu’à la conquête des Russes. L’Impératrice Elisabeth le donna au Comte de Bestucheff, aussi son Chancelier, qui la perdu par sa disgrâce, & n’a pu parvenir à y rentrer. Il y avait un vieux château, dont la garnison & les habitants se firent fauter en l’air, plutôt que de le rendre aux Russes en 1577. Le château de Ronebourg, actuellement ruiné, était l’ancienne résidence des Archevêques de Riga.
La ville de Derpt est sur le grand chemin de Riga à Pétersbourg ; elle avait été fondée au onzième siècle, & fut érigée en évêché en 1124 ; alors elle était riche &commerçante, & a encore un Corps de ville & un Consistoire ; mais elle a essuyé tant de sièges & d’incendies, qu’elle est absolument ruinée. Le dernier incendie a été en 1775 ; on travaille à la rebâtir.
Pernau est la dernière ville de la Livonie de quelque conséquence. Elle est située sur la petite rivière du même nom, près de la mer Baltique ; elle a une assez, bonne citadelle, & un petit port, dont le commerce n’est pas d’une grande conséquence.
L’ïle d'Oesel est située dans la mer Baltique, vis à vis de la Livonie ; elle est assez grande, ayant environ quatorze milles de long sur dix de large. Le terroir est fertile ; on y trouve jusqu’à douze paroisses, & il y a eu autrefois un évêché. Elle a des Etats & un Corps de Noblesse particulier qui s’assemblent dans la petite ville d'Arensbourg. C'est une des meilleures portions du Gouvernement de Riga. Il y a tout autour, jusque dans le golfe même de Riga, plusieurs autres petites îles, dans lesquelles on parle suédois. |