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Les villes de France décrites
par Aristide Guilbert en 1859
Abbeville vers 1850, faubourg de St Vulfran, gravure des frères Rouargue (vue zoomable en fin de page)
Ce texte publié dans l'Histoire des villes de France d'Aristide Guilbert est l'oeuvre de M. Charles Louandre Voir, aussi, en ces pages, le département de la Somme en 1883 La région de la basse Picardie, qui dans les circonscriptions modernes correspond à l’arrondissement d’Abbeville, et à une partie des arrondissements de Montreuil et de Doullens, est désignée, du VIe au XIIe siècle, sous les noms latins de Pagus Pontivus, Provincin Pontiva, et sous le nom roman de Pontiu ; c’est le comté de Ponthieu, le plus ancien fief héréditaire du royaume des Franks. Ce nuage qui grossit toujours quand on recule vers les premiers âges couvre d’une ombre épaisse l'histoire de cette contrée antérieurement au Ve siècle. Le géographe abbevillois Nicolas Sanson croit reconnaître dans les habitants de Ponthieu les Britanni qui abordèrent les premiers en Angleterre et donnèrent leur nom à l’île entière. Sanson prétend même qu’Abbeville est l’antique Britannia, cette puissante ville des Gaules dont Scipion demanda des nouvelles aux députés de Marseille, mais ce n’est là qu’une affaire de patriotisme local. D’autres érudits ont discuté pour prouver que le Ponthieu faisait partie de la Morinie. Cette opinion, qui n’est guère plus plausible que la première, a été rejetée comme elle ; et l’on s’accorde aujourd’hui à placer le Ponthieu dans la cité des Ambiani représentée par le diocèse d’Amiens. Dès les premières années du Ve siècle, les barbares s’avancèrent jusqu’à la Somme qui formait alors la dernière barrière de l’empire vers la seconde Belgique ; et ils ne tardèrent point à prendre possession du sol. Alkaire, fils du roi de Cambrai assassiné par Chlodwig, reçut, dit-on, de Chlothaire le gouvernement du littoral de l’Océan depuis la Seine jusqu’à l’Escaut ; il prit le titre de dux Franciœ maritimœ seu Ponlicœ, et fixa le siège de son gouvernement à Centule, depuis Saint-Riquier. Du reste, tout ce qui concerne l’histoire de ces maîtres barbares est plein d’obscurité. On sait que l’hérédité du comté de Ponthieu date de 696, mais on ignore quel fut le premier feudataire qui en a joui à ce titre. Les noms de plusieurs comtes ne sont pas même connus. Au premier rang de ces moines guerriers il faut citer Angilbert, gendre de Charlemagne ; le fils d’Angilbert, l’historien Nithard, qui fut tué vers 859, en repoussant une invasion des Normands dans le Ponthieu, et Rodolphe, frère de l’impératrice Judith. L’amitié qui unissait Angilbert et Charlemagne contribua puissamment à la splendeur de l’abbaye de Saint-Riquier. Aidé par la munificence de l’empereur, Angilbert fit reconstruire sur les plus vastes proportions les bâtiments de son monastère. Le cloître était disposé en triangle, figure symbolique de la triade chrétienne. A chaque angle s’élevait une église. Chaque église était desservie par cent moines et trente-trois enfants de chœur ; le nombre trois, inscrit sur les autels, les candélabres, rappelait partout le mystère de la Trinité, et l’hymne qui ne se taisait pas, Laus perennis, résonnait sans jamais s’interrompre dans le sanctuaire des trois églises. La ville de Saint-Riquier, qui renfermait alors deux mille cinq cents manses et 14,000 habitants (elle compte à peine aujourd’hui 1,300 âmes), payait aux moines des redevances de toute nature ; chaque métier, qui avait sa rue particulière, fournissait à l’abbaye les objets de première nécessité : la rue des marchands devait chaque année une pièce de tapisserie de la valeur de cent sols d’or ; la rue des fabricants de boucliers était chargée de donner les couvertures des livres, de les coudre, de les relier, ce qu’on estimait trente sols d’or ; la rue des foulons confectionnait les sommiers de laine des moines, et dans la rue des cent dix chevaliers, chaque chevalier entretenait pour le service de l’abbaye un cheval, un bouclier, une épée, tout l’attirail d’un homme de guerre. Les offrandes en argent, faites au tombeau de saint Riquier, s’élevaient chaque année à quinze mille six cents livres de poids, près de deux millions numériques de la monnaie d’aujourd’hui. L’abbé distribuait chaque jour aux mendiants cinq sols d’or, et, de plus, il nourrissait trois cents pauvres, cent cinquante veuves et soixante clercs. Les comtes de Ponthieu, dont la puissance s’était considérablement accrue du Xe au XIIe siècle, se trouvent mêlés à tous les grands événements de leur temps, et par leurs alliances ils touchent aux familles souveraines. Hugues Ier soutient les prétentions de Hugues-Capet à la couronne ; il les favorise par les armes et reçoit le prix de son dévouement à la cause de ce prince en obtenant la main de Gisèle, sa troisième fille. Enguerrand Ier, son successeur, passe sa vie à guerroyer contre les comtes de Boulogne et les ducs de Normandie. Enguerrand II se ligue avec Henri Ier, roi de France, et Guillaume de Talou contre Guillaume le Conquérant. En 1096, Abbeville fut le rendez-vous des troupes que le duc de Normandie, les comtes de Flandre et de Boulogne avaient réunies pour la conquête de la Terre Sainte. Godefroy de Bouillon lui-même se rendit dans la capitale du Ponthieu, où Guy le reçut avec magnificence. C’est pour perpétuer, dit-on, le souvenir du séjour des croisés dans Abbeville, qu’on érigea l’église du Saint-Sépulcre, sur le lieu même où ces guerriers avaient planté leurs tentes. Quatre ans plus tard, le jour de la Pentecôte, Guy arma chevalier, à Abbeville, l’héritier de la couronne de France, Louis le Gros. Guy mourut en 1100, et sa fille Agnès porta le Ponthieu dans la maison d’Alençon, en épousant Robert, surnommé Talvas ou le Diable. Guy II, fils et successeur de Robert, se croisa avec Louis le Jeune, et mourut à éphèse, après s’être illustré par ses exploits. Jean, son fils, l’avait suivi en Orient, ainsi que sa fille, et, s’il fallait en croire une tradition longtemps accréditée, cette fille, d’une beauté remarquable, tombée aux mains des Infidèles, aurait orné le séjour du chef des Aïoubites d’égypte, et donné le jour à l’un des plus grands hommes de l’islamisme, à Salah-Eddin, Soudan d’égypte et de Syrie. Ce fut le 9 juin 1184 qu’il octroya une charte aux habitants de cette ville, ou plutôt qu’il leur ratifia les franchises et libertés que son aïeul, Guillaume Talvas, leur avait vendues en 1130, pour les mettre à l’abri des vexations des nobles, ce qui est formellement exprimé en ces termes dans le préambule de l’acte d’affranchissement : « Cum avus meus, cornes Villelmus Talevas, propter injurias et molestias a potentibus terrœ suœ burgensibus de Abbatisvilla frequenter illatas, eisdem communiam vendidisset. » La charte d’Abbeville, dont le titre original est religieusement conservé aux archives de cette ville, est tout à la fois un pacte politique, un code de droit pénal, de droit civil, et un règlement de police. Voici l’analyse sommaire des dispositions les plus remarquables qui s’y trouvent contenues :
Plusieurs articles établissent une distinction marquée entre la justice ou police municipale et la justice du comte, exercée par son vicomte ; mais la charte attribue aux chefs de la commune la connaissance de toutes les matières criminelles relatives à la sûreté publique et individuelle, par la raison que chaque habitant se trouvait sous la sauvegarde de la communauté. Arrêtons-nous ici quelques instants pour tracer, en partant de leur origine même, le tableau rapide des institutions municipales d’Abbeville. En 1196, le comte de Ponthieu, Guillaume III, épousa la princesse Alix, sœur de Philippe-Auguste. Ce comte se signala dans la croisade contre les Albigeois, et à la journée de Bouvines, à la tête de ses vassaux et des milices communales d’Abbeville. Il mourut en 1221 ; sa fille Marie lui succéda. Le Ponthieu passa ensuite, en 1251, à la comtesse Jeanne, l’aînée des filles de Marie, puis à éléonore, qui épousa, en 1272, édouard Ier, roi d’Angleterre, et lui apporta le comté pour dot. édouard vint à Abbeville recevoir l’hommage de la commune. On stipula, dans une assemblée solennelle, les droits respectifs du monarque anglais et des bourgeois, et on jura de part et d’autre de les observer. L’un des principaux officiers d’édouard en fit le serment sur l’évangile, au nom de son maître, dont le royal orgueil refusait de s’abaisser devant de simples bourgeois. Malgré les maux inévitables que la guerre traîne à sa suite, Abbeville, dans le le cours du XIVe siècle, jouissait d’une grande prospérité. Agrégée à la hanse teutonique et à la hanse de Londres, cette ville faisait un commerce considérable avec l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre, la Hollande et la Suède. Elle avait des ateliers d’armes, des chantiers de construction, des fabriques de draps, de nombreuses tanneries, des teintureries renommées. Le travail donnait l'aisance, et avec l’aisance se développait le goût des plaisirs. Le premier dimanche de carême on célébrait des joutes et des tournois. L’échevinage faisait jouer des bijoux d’or au noble jeu de l'arbalète, et des hérauts d’armes parcouraient les villes voisines pour inviter les archers des milices communales à venir disputer les prix. On envoyait chaque année des ménestrels aux écoles de Beauvais, de Soissons et de Saint-Omer, pour apprendre des chansons nouvelles, et le jour des Quaresmiaux, les chanteurs des villes voisines faisaient assaut de gai savoir avec les chanteurs abbevillois, dans une fosse nommée la fosse aux ballades. Le théâtre avait aussi ses solennités, et quand on représentait des mystères, des allégories par personnaiges ou des jeux sur des chars, un trompette à cheval parcourait les rues pour appeler les acteurs et annoncer la représentation, qui durait souvent plusieurs jours. Pendant ce temps, des gardes veillaient à la sûreté des portes, et parcouraient les rues pour empêcher les noises et larcins, car la population tout entière se portait aux théâtres, et la ville restait déserte. Le séjour de Charles VI, en 1398, et la réunion, dans les murs d’Abbeville, d’une partie de l’armée qui combattit à Azincourt en 1415, sont les seuls faits qui méritent d’être mentionnés dans les dernières années du XIVe siècle et au commencement du siècle suivant. Les guerres continuelles dont le Ponthieu fut le théâtre pendant cette triste période avaient réduit la province aux dernières extrémités. Dans l’espoir d’un meilleur avenir, les Abbevillois se liguèrent bientôt avec Jean-sans-peur, duc de Bourgogne ; mais cette alliance, qui, du reste, ne fut jamais sincère, attira sur le pays de nouveaux malheurs. Toutes les places du comté étaient sans cesse prises et reprises ; Abbeville seule échappa, grâce à la force de ses murailles, aux ravages des sièges, mais elle n’en eut pas moins à souffrir des maux innumèrables. En 1438, une femme y fut brûlée vive, pour avoir tué ses enfants et mis leur chair en vente après l’avoir salée. Le traité d’Arras avait livré le comté de Ponthieu et les villes de la Somme à Philippe le Bon, duc de Bourgogne, en réservant aux rois de France le droit de rachat. Louis XI traita du rachat en 1463, mais la ligue du bien public le contraignit bientôt à signer le traité de Conflans ; le Ponthieu, par suite de ce traité, passa de nouveau sous la domination des ducs de Bourgogne, et la guerre ne tarda point à se rallumer. Charles le Téméraire, qui avait peu de confiance dans le bon vouloir des Abbevillois, envoya pour les contenir le sire d’Esquerdes avec un corps de trois mille hommes. D’Esquerdes entra dans la ville par surprise, et désarma les habitants. Peu de temps après, le duc, au mépris des franchises municipales, fit construire une forteresse dans l’enceinte de la ville ; les bourgeois s’indignèrent ; d’Esquerdes fit exécuter les plus notables et brûla plus de dix-sept cents maisons, appartenant à ceux qui tenaient le parti français. La mort de Charles le Téméraire vint heureusement mettre un terme à ces violences, et la ville rentra avec joie sous la domination de la France. Au milieu des ravages dont Abbeville et le Ponthieu furent le théâtre dans le cours du XVe siècle, l’industrie eut beaucoup à souffrir ; mais la patiente activité des habitants répara toujours heureusement les maux de la guerre. Dès l’année 1486, il existait à Abbeville une imprimerie à laquelle on doit une fort belle édition de la Cité de Dieu, de saint Augustin, un Psautier, la Somme rurale de Bouteiller, et le Triomphe des neuf Preux. Au XVIe siècle, les fabriques d’armes et d’orfèvrerie de cette ville étaient célèbres, même à l’étranger ; l’on y comptait alors cent trente ateliers d’armurerie. Ajoutons que les marins d’Abbeville et ceux du littoral du Ponthieu fournirent un glorieux contingent aux plus aventureuses expéditions de leur temps. En 1541, François de La Roque, seigneur de Bienfay, se rendit au Canada, et y fonda la colonie du cap Breton. En 1604, un Abbevillois, Jean de Biencourt, alla former dans ces mêmes régions un établissement au Port-Royal, et jeter les fondations de Québec. Le mariage de Louis Xll, en 1514, dans l’hôtel de la Grutuse, l’entrevue de François Ier et du cardinal Wolsey, en 1527, entrevue dans laquelle fut confirmée la ligue offensive et défensive que l’Angleterre et la France avaient formée contre l’empereur, tels sont, dans les annales d’Abbeville, les deux faits les plus notables du commencement du XVIe siècle. L’hérésie s’introduisit dans cette ville vers 1550 ; mais les partisans des nouvelles doctrines, peu nombreux d’abord, n’osaient point célébrer publiquement leur culte, et ils s’assemblaient la nuit dans le château bâti par Charles le Téméraire. Le gouverneur de cette forteresse, Robert Saint-Delis d’Haucourt, partageait les opinions des novateurs et les protégeait ouvertement. Le 6 juillet 1562, la populace ayant pillé la maison d’un calviniste, les magistrats municipaux firent appeler d’Haucourt à l’échevinage, pour aviser au moyen de tenir la ville en paix. Le gouverneur, escorté par une vingtaine de soldats, arriva peu d’instants après ; un attroupement nombreux stationnait aux abords de l’hôtel de ville, et proférait des cris sinistres contre les religionnaires. D’Haucourt répondit par des menaces ; la foule s’émut, força les portes de l’hôtel de ville, et massacra d’Haucourt avec les hommes de son escorte. En 1566 il y eut encore quelques violences contre les religionnaires ; ces excès provoquèrent des représailles sanglantes. Un chef calviniste, François Cocqueville, entra dans le Ponthieu à la tête de trois mille hommes, et exerça, contre les prêtres et les moines, des cruautés inouïes. La paix de Vervins rendit le repos au pays, et des jours de calme succédèrent aux agitations des guerres civiles et des guerres étrangères ; mais, en 1635, une rupture ayant éclaté entre la France et la maison d’Autriche, le Ponthieu fut exposé aux ravages des Espagnols, qui occupaient Hesdin. L’année suivante, Jean de Werth et Piccolomini, à la tête d’une armée de trente mille hommes, se présentèrent sous les murs d’Abbeville, et les habitants se montrèrent si bien disposés à les recevoir, qu’ils s’éloignèrent sans avoir osé tenter une attaque sérieuse. Une maladie contagieuse, qui enleva, dans le cours de cette même année, plus de six mille personnes, le supplice de Balthasar de Fargues, qui s’était révolté dans Hesdin à la tête du régiment de Bellebrune, le passage de quelques grands personnages, des solennités pieuses, la fondation de plusieurs couvents, l’établissement de la manufacture de drap par le Hollandais Josse Vanrobais, l’apparition de quelques partis ennemis pendant l’invasion d’Eugène et de Marlborough, tels sont les seuls faits dont le souvenir se rattache au règne glorieux de Louis XIV. Le XVIIIe siècle s’écoula avec la même uniformité, et à part quelques agitations causées par les querelles du jansénisme, nous n’avons guère, dans cette période, que deux événements à rappeler, l’explosion du magasin à poudre, et le procès du chevalier de La Barre. Bien que la population fût considérablement réduite à l’époque où nous sommes parvenus, Abbeville occupait encore un rang très notable parmi les villes les plus importantes du nord de la France. On y comptait, au XVIIIe siècle, quatorze églises paroissiales, quinze couvents, trois hôpitaux, une commanderie, un prieuré, deux sièges de justice royale, la sénéchaussée, qui ressortissait depuis 1369 au parlement de Paris, et le présidial, créé par Henri II. Il y avait en outre un bailliage, une maîtrise des eaux et forêts, une juridiction du grenier à sel et de l’amirauté, une justice consulaire, qui fut établie en 1567. La milice bourgeoise, qui s’était souvent signalée pendant le moyen âge, se composait alors de deux compagnies de cinquanteniers, de huit compagnies de jeunesse et de vingt-quatre autres compagnies non privilégiées. Cette milice nommait annuellement ses officiers, et faisait, en temps de guerre, un service fort actif. Les Abbevillois, qui avaient reçu des rois de France le privilège de se garder eux-mêmes, étaient si fiers de cette distinction, qu’il fallut souvent recourir à l’autorité souveraine pour qu’ils cédassent les postes aux troupes royales. Pendant les jours terribles et glorieux de la révolution française, un grand nombre de villes de la province sont fécondes en catastrophes, en scènes tragiques, qui méritent de trouver place dans l’histoire nationale ; telle est, au contraire, à cette époque, la stérilité des annales d’Abbeville, qu’on y rencontre à peine, même au point de vue de la curiosité locale, quelques faits dignes d’attention. Au mois d’août 1793, le représentant du peuple André Dumont y fut envoyé en mission ; mais, ainsi qu’il l’a dit lui-même, il y fit couler plus d’encre que de sang. Quand on proclama la patrie en danger, les Abbevillois payèrent avec honneur leur dette au pays. Au mois d’août 1792, six cents volontaires marchèrent au secours de Lille assiégé par les Autrichiens. Le 6 septembre de la même année, un nouveau bataillon de huit cents hommes se rendait volontairement à Dunkerque, et peu de jours après, trois bataillons ruraux, formant un effectif de trois mille quatre cents hommes, partirent pour la frontière. Absorbée désormais par la grande unité nationale, Abbeville s’efface complètement dans l’histoire, et les dernières années du XVIIIe siècle, l’Empire et la Restauration, ne présentent aucun souvenir d’une importance réelle. La population, lassée par les guerres de Napoléon, accueillit avec une vive sympathie le retour de Louis XVIII ; elle oublia même en ce moment sa modération habituelle, et le petit torysme provincial, aidé du clergé, parvint en peu de temps à égarer à tel point l’opinion publique, que le désastre de Waterloo fut salué avec des cris de joie, des danses et des repas au milieu des rues. L’histoire d’Abbeville, sous la Restauration et le gouvernement de Juillet, offre la même stérilité ; et tout se borne à une visite de la duchesse de Berry en 1825, et au passage du roi Louis-Philippe, en 1831. Le temps et la Révolution ont fait disparaître la plupart des monuments du moyen âge. Une maison du XIIIe siècle, située rue Barbafust, quelques maisons de bois du XVIe siècle, la tour du beffroi de l’hôtel de ville, la salle des archives municipales et l’église de Saint-Vulfran, commencée en 1488, sont les seuls débris du passé qui méritent de fixer l’attention. D’après le dernier recensement officiel, la population de l’ancienne capitale du Ponthieu était en 1486 de 17,035 habitants. Cette ville, chef-lieu de sous-préfecture et place de guerre, a une direction du génie militaire, un collège communal, des écoles gratuites de géométrie appliquée, de dessin et de musique, une école modèle d’enseignement mutuel, deux hôpitaux, une bibliothèque publique de quinze mille volumes environ, un comice agricole et une société nationale d’émulation, présidée par M. Boucher de Perthes, l’un des hommes les plus distingués et les plus dévoués au bien dont s’honore la province. Outre son musée d’antiquités et d’histoire naturelle, Abbeville renferme des collections particulières qui pourraient rivaliser avec plus d’une grande collection publique, entre autres les cabinets ornithologiques de MM. Bâillon et Jules de La Motte, les collections de plantes de M. Emmanuel Fouques, le cabinet archéologique de M. de Perthes. L’arrondissement, un des plus considérables du département de la Somme, renferme 137,111 habitants. Abbeville a donné à l’église Saint Bernard, abbé de Tyron, le cardinal Jean Halgrin, Gérard, professeur en Sorbonne, et le théologien Louis Bail ; aux sciences géographiques, Nicolas Sanson et ses trois fils, le jésuite Briet et Pierre Duval ; à la médecine, Philippe Hecquet, que ses contemporains ont surnommé l'Hippocrate de la France ; aux beaux arts, les graveurs Mellan, de Poilly, Daret (en lien 155 gravures inédites de Pierre Daret, publiées sur un autre de mes sites), Lenfant, Daullé, Aliamet, Dequevauvillers, Beauvarlel, Dennel, Flipart ; les frères Voyez, Hubert, Duponchel, Levasseur, Macret, Danzel, etc. De nos jours encore, MM. Delegorgue-Cordier, Bridoux, grand prix de Rome, et Lacour, soutiennent dignement la vieille réputation des graveurs abbevillois. Parmi les militaires nés dans cette ville, nous citerons le général Duval de Haut-Maret, qui se distingua sous Dumouriez ; le général Martial Thomas et le commandant du génie Wallois, si honorablement connu par la défense de Maubeuge en 1814. Millevoye, un des chaînons les plus riches et les plus brillants de cette poétique chaîne dont les deux extrémités touchent à André Chénier et à Lamartine, est aussi un enfant d’Abbeville ; et nous sommes fiers de citer, parmi les illustrations vivantes de cette ville, MM. de Pongerville, membre de l’Académie française, et Louis Cordier, de l’Académie des sciences. Nous ajouterons que c’est à une lieue d’Abbeville, au village du Plessiel, que naquit, en 1760, le célèbre compositeur Lesueur.
Bibliographie : . Chroniques d' Enguerrand de Monstrelet, liv. I, chap.xcvii. — Mémoires de Pierre de Fenin, p. 215 et 216. — Louis Pâris, Négociations et pièces diverses relatives au règne de François II, p. 526. — Manuel historique du département de l'Aisne, p. 280. — Essais historiques sur Vervins, p. 169. — Sismondi, Histoire des Français, t. XXI, chap. VIII. Britannia ou recherches sur l’antiquité d’Abbeville, par Nicolas Sanson, 1636, in-8°.— Histoire ecclésiastique d’Abbeville et de l'archidiaconé de Ponthieu, par le P. Ignace de Jésus- Maria, 1646, in-4°.— Histoire généalogique des comtes de Ponthieu et des mayeurs d’Abbeville, par le même, 1657, in-folio. — Histoire du comté de Ponthieu et de la ville d'Abbeville sa capitale, par Devérité, 1767, 2 vol. in-12. — La Collection des anciens almanachs de Picardie. — Les Mémoires de la Société royale d’émulation d'Abbeville. — Biographie d’Abbeville et de ses environs, par M. Lonandre père, 1829, in-8°. — Histoire ancienne et moderne d'Abbeville et de son arrondissement, par le même, 1834, in-8°. Ce livre, considérablement augmenté, et rédigé sur un nouveau plan, paraîtra bientôt sous ce titre : Histoire d’Abbeville et du comté de Ponthieu jusqu’en 1789. — Les sources manuscrites les plus importantes sont les archives municipales d’Abbeville, qui ont été en grande partie conservées, et les manuscrits du bénédictin dom Grenier.
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