Texte et gravure
extraits de l'ouvrage "La Bretagne de Jérôme Jean Potel - édition 1844
C’est avec un sentiment de tristesse indéfinissable que l’on visite le Folgoat; mais cette tristesse n’est pas sans poésie : elle éveille dans le cœur une foule de souvenirs, et cette série de pensées dans lesquelles l’âme aime à se bercer à la vue de ruines imposantes ou curieuses.
L’église de ce lieu de pèlerinage s’annonce au loin par sa flèche légère, que la tour carrée de Lesneven fait paraître encore plus élevée. Ses voûtes gisent sur le sol, et l’on ne marche, dans l’intérieur du temple, que sur des débris. L’eau suinte à travers les murs et menace le sanctuaire ; presque tous les ornements, surtout à l’extérieur, sont dégradés ou détruits, et, cependant, malgré sa misère et sa vétusté, cette église a conservé une harmonie dont on se fait difficilement idée. Isolée, chacune de ses parties répond au but que s’était proposé l’architecte, et l’ensemble est d’une grâce que les expressions ne sauraient rendre.
Dans la cour, entre l’église et l’hospice des Pèlerins, remarquez ce calvaire auquel sont attachés et la Vierge et son fils. Au pied de la croix, deux religieux à genoux adressent au ciel leurs prières. Ces figures en granit, de proportion moyenne, sont bien certainement d’un maître habile. — Tout auprès, un torse jeté à l’abandon fait regretter le reste de la statue : sa draperie, si remarquable, n’a pu être sculptée que par un de ces imagiers qui avaient, comme Columb, le génie de l’art.
Le portail d’entrée, orné à son sommet d’un bas-relief délicieusement travaillé, représentant l’adoration des Mages, conserve encore deux statuettes sur l’un de ses côtés, et des feuilles grimpantes d’une exécution qui ne laisse rien à désirer.
A l’intérieur, on admire toujours les autels en Kersanton avec leurs apôtres, de la même pierre, et surtout le jubé. — Nous espérons que l’on sera plus satisfait de notre dessin que de tous ceux qui ont paru jusqu’à ce jour dans d’autres ouvrages.
L’église du Folgoat a subi en 93 de nombreuses mutilations. Cambry raconte que les chapelles, les portiques et les environs de l’église étaient remplis de statues brisées. — J’ai compté, disait-il, douze têtes dans une fontaine. Les roses les plus délicates sont détruites.
Il ne reste rien de la statue de Jean V : ce prince s’était fait représenter, sous le portique de l’église, à genoux et tenant une épée nue à la main, devant une figure de la Sainte-Vierge.
Nous avons cherché sans les voir les attributs de la franc-maçonnerie sculptés sur l’un des autels du Folgoat. C’était une règle assez générale à cette époque, que les ouvriers maçons et imagiers qui avaient été reçus compagnons, laissassent les insignes de leur association sur les œuvres qu’ils avaient données eux-mêmes aux églises, et la franc-maçonnerie ne fut autre chose, dans le principe, qu’une dépendance du compagnonnage ; ce qui explique parfaitement les règles, les équerres, les compas, les feuilles de chêne avec leurs glands, que l’on rencontre assez fréquemment.
Un écolier, dit Cambry, ne put apprendre, dans ses études, que ces paroles : O itron guerhes Vari ! O dame Vierge Marie ! Il prononçait ces mots sans cesse, vivait des aumônes de Lesneven et se couchait dans un grand arbre. — Il meurt : un lis, sur lequel on lisait ave Maria, sort de sa bouche et paraît sur sa tombe. Ce miracle fait grand bruit. Le duc et la duchesse de Bretagne font construire une chapelle à la Vierge près d’une fontaine dans laquelle se baignait son ami ; et, depuis lors, des miracles sans nombre ont rendu ce pèlerinage si célèbre, que beaucoup de grands personnages s’y sont rendus dévotement : on cite surtout la duchesse Anne, dont on montre encore le fauteuil dans le prieuré.
Voici un passage du récit plein de naïveté du révérend père Cyrille Pennec, qui a fait un ouvrage sur le Dévot Pèlerinage de Notre-Dame-du-Folgoat.
« Ce jeune enfant (le fou de Marie) croissant en âge, ému par un instinct particulier du ciel, commença, après la mort de ses parents, à chérir les douceurs de la solitude, choisissant pour sa retraite ordinaire un bois peu éloigné de la ville, séjour extrêmement propre, embelli d’une fontaine bordée alors d’arbres d’un beau vert naissant (c'est la même fontaine qui est aujourd’hui sous la rose en dehors de l’Eglise), et c'est là qu’il a goûté la manne des consolations divines, où, comme un passereau solitaire, il solfiait à sa mode les louanges de la Vierge adorable à laquelle, après Dieu, il avait consacré son cœur.
» Il était misérablement vêtu, toujours déchaux, n’ayant pour lit, en ce bois, que la terre nue, pour chevet qu’une pierre, pour toit qu’un arbre tortu près de ladite fontaine. Il allait tous les jours mendier son pauvre pain à la ville de Lesneven ou ès-environs, n’importunant personne aux portes que de doux ou trois petits mots, car il disait : Ave María ; et puis en son langage breton: Salaün à debre bara ; c’est-à-dire, Salaün mangerait bien du pain. Il prenait tout ce qu’on lui donnait, et revenait bellement à son petit ermitage.
» Je vous dirai bien davantage, qu’au cœur de l’hiver, il se plongeait dans la fontaine jusqu’aux aisselles, comme un beau cygne en un étang, et répétait toujours : Ave Maria, ou bien chantait quelque rythme breton en l’honneur de Marie.
» Puis, quand il grouait à pierre fendre, il montait dans un arbre, et, prenant deux branches de chaque main, il se berçait et voltigeait en l’air, chantant à haute voix: O Marie ! En cette façon, et non autrement, il réchauffait son pauvre corps.
» On l'appelait Salaün ar foll, lui, un des plus beaux pages d’honneur de la reine des cieux !
» Une fois, fut rencontré par une bande de soldats qui couraient la compagne lesquels lui demandèrent qui vive ! auxquels il répondit : Je ne suis ni Blois ni Montfort, mais serviteur de Marie, et vive Marie ! A ces paroles, les soldats se prirent à rire et le laissèrent aller.
Il mena cette vie trente-neuf ou quarante ans, sans avoir jamais offensé personne.
» Enfin, notre pauvre s'implique, sentant bien que sa fin approchait, comme une tourterelle fit résonner l’écho de sa voix, pour marquer que l’hiver de sa vie était passé. Mourant, il répétait encore dévotement le doux nom de Marie. Après cela, visité et consolé de rechef de la Vierge très-sainte, il rendit heureusement son âme pure et innocente à Dieu. Son visage qui, en sa vie, était tout défait par pauvreté, parut si beau et si lumineux, qu’il disputait à la candeur du lys et au vermeil de la rose ».
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