L'HISTOIRE DES VILLES DE FRANCE
CONSIDéRéE DANS SES RAPPORTS AVEC L'HISTOIRE GéNéRALE
Pour peu qu'on se livre à l'étude de l'état intellectuel, religieux, politique et social de la nation française, aux diverses époques d'une existence qui embrasse déjà plus de quatorze siècles, on reconnaît avec étonnement dans quel esprit étroit nos historiens ont pendant longtemps envisagé un passé si riche en souvenirs, en faits et en enseignements d'une haute portée morale. Ils nous font l'effet de pygmées qui, élevés sur un monticule, réduisent aux faibles proportions de leur vue les vastes horizons du monde. Ces écrivains auxquels l'ancienne monarchie donnait le titre d'historiographes du roi, n'étaient guère que les historiographes de l’antichambre royale : ils ont écrit l'histoire générale comme Dangeau a écrit l’histoire de Louis XIV. Dès leurs premiers essais, ils faussent la vérité historique, en rapetissant la personnalité de la nation pour rehausser l'individualité monarchique. Ils composent tout d'abord une espèce de roman de cour, auquel ils accommodent les temps, les hommes et les choses comme des personnages de pure convention. Dans leurs écrits, ce n’est pas la France qui domine et dirige; ils la subordonnent à une royauté de fantaisie derrière laquelle elle disparaît complaisamment. Cette royauté des premiers âges qui s'ignore, qui n'est pas constituée et n’a pas encore de système, est tout à leurs yeux : c’est en elle qu’ils voient tout, c’est à elle qu’ils rapportent tout. S'il nous était permis de plaisanter sur un sujet si sérieux, nous dirions que l’histoire générale, telle qu’ils l’ont faite, est comme un ballet de la cour de Versailles, où le roi pose avec apparat, tandis qu’autour de lui une foule de princes, de dignitaires, de seigneurs et de courtisans, travestis de mille manières, s'agitent gravement le masque sur le visage.
Ne croyez pas que ces étranges historiens détournent un moment leurs yeux de la grandeur royale pour donner même une attention distraite aux questions historiques les plus graves. Il n’y a pour eux ni état des personnes, ni droit romain ou coutumier, ni révolutions politiques, ni vicissitudes de la civilisation. La hiérarchie ecclésiastique, la constitution féodale, la cour des Pairs, l’origine des Parlements, l’intervention des états généraux ou particuliers dans les affaires du pays, l’avènement de la Commune, et l’administration civile ou judiciaire du royaume ne les occupent pas davantage. Ils n’ont garde non plus de s’inquiéter de l’agriculture, de l’industrie, de la navigation, du commerce, ni de l’assiette de la perception, du produit et de l’emploi des impôts . Tout se résume pour eux dans l’action et l’omnipotence monarchique, au delà et en dehors desquelles ils ne reconnaissent rien. Ce système historique, à l’usage de la cour, eut un grand succès et une longue vogue : sorti des tendances despotiques de l’ancien gouvernement, il le fortifia par contre-coup dans ses prétentions au pouvoir absolu; de même que la monarchie, en exagérant son autorité souveraine, réagit naturellement sur la littérature. Aussi, lorsque Louis XIV eut érigé en principe l’absorption de la France dans l’individualité royale, en disant : L'état cest moi, les historiographes se firent-ils les fauteurs empressés d’un axiome qui n’allait à rien moins qu’à annuler moralement l’existence de la nation française. Les formules de l’antique servilité orientale reparurent alors dans la langue de l’histoire. On n’appela plus le prince régnant que le Grand Roi, et par degrés sa prédominance exclusive passa de l’état de principe politique à l’état de dogme religieux.
En attendant le jour où l’esprit philosophique devait dégager la royauté de ces fausses doctrines, l’esprit de critique vint donner une nouvelle direction aux idées. Ce même XVIIe siècle, qui n’osait pas faire un retour sur lui-même, de crainte de déplaire au grand roi, porta son active curiosité sur les temps antérieurs. Les archives du royaume, des provinces, des villes, des châteaux, des parlements, des abbayes et des corporations furent laborieusement compulsées. On apprit à déchiffrer, à comparer, à élucider les uns par les autres tous les documents historiques enfouis sous les débris de trente générations : annales, registres, pouillés, titres, diplômes, Chartres, traités, coutumes, lois, ordonnances. De ce contrôle pénible, patient, réfléchi, la critique scientifique arriva à des conclusions qui l’étonnèrent et l’effrayèrent même parfois, tant elles étaient en contradiction flagrante avec l’interprétation traditionnelle des faits historiques. On commença à soupçonner, sans trop s’arrêter pourtant à cette pensée, qu’il y avait eu au moyen âge une monarchie, et une France autres que la monarchie et la France de Louis XIV. Le doute ne s’était pas encore suffisamment fortifié par l’étude pour qu’il passât de la critique historique à la critique philosophique, comme on passe des prémisses d’un syllogisme à sa conséquence.
André Du Chesne, dans ses divers écrits, posa les bases de l'édifice de notre histoire nationale. Doué d’une profonde érudition et d’une patiente intelligence, il publia deux grands recueils, l’un des Anciens historiens de la France, l’autre des Chroniques de la Normandie. Le premier devait se composer de vingt-quatre volumes in-folio. Il fit paraître les deux premiers avant l’année 1640, où il mourut, et laissa les deux suivants sous presse. On l’a appelé le père de l'histoire de France, plus encore pour l'impulsion qu’il a donnée que pour ce qu’il a fait. Son fils, François Du Chesne, publia le cinquième volume des anciens historiens de notre nation. Au commencement du siècle suivant, Eusèbe Jacob de Laurière, avocat au parlement de Paris, qui avait été associé aux études de Henri François d’Aguesseau, depuis chancelier sous le règne de Louis XV, conçut le plan du Recueil des ordonnances des rois de France de la troisième race, et en donna les premiers volumes en 1723; sept autres parurent de 1727 à 1750, grâce aux soins de Secousse, qui, en outre, en prépara un neuvième, dont M. de Villevaut fut l’éditeur. Jusqu’alors l’histoire nationale ne s’était appuyée, dans sa marche progressive, que sur des efforts individuels. Deux corporations religieuses, celles des Bénédictins de Saint-Maur et de Saint-Vannes, s’illustrèrent par de plus grands travaux et y apportèrent plus de méthode : les premières elles donnèrent au monde l’exemple des prodigieux résultats que peut produire l’application de l’esprit d’association aux études scientifiques. Ces pieux et infatigables travailleurs, faisant abnégation de leurs personnes, ne voyaient que l’œuvre commune. Ils échelonnèrent leurs plus habiles ouvriers, comme le dit un savant académicien, «sur tous les points de la France, où il y avait quelque recherche à faire » ; et quand l’un d’eux succombait à la peine, comme un soldat tombe sur le champ de bataille, un autre prenait modestement sa place, jusqu’à ce que la mort vînt le frapper à son tour. C’était l’apostolat et le martyre de la science historique.
Le gouvernement royal, qui méconnaissait sa première forme élective, ses engagements originaires envers la nation et les anciennes institutions politiques du pays, n’hésita point toutefois, par une contradiction dont il ne prévoyait pas les conséquences, à donner l’appui le plus généreux aux grandes investigations historiques. Engagé d’abord dans cette voie par le ministre Colbert, il y fut surtout poussé par le chancelier d’Aguesseau, qui, littérateur érudit et jurisconsulte profond, s’associait aux travaux des savants, leur en donnait quelquefois le plan et les dirigeait toujours avec un esprit supérieur. Ces deux hommes d’état avaient eu particulièrement à cœur de reprendre la collection d’André Du Chesne ; après de nombreuses conférences scientifiques, l’honneur en revint définitivement au Bénédictin dom Bouquet. Il composa, sous le patronage du gouvernement, de 1738 à 1752, les huit premiers volumes du nouveau recueil des historiens de la France, Rerum Galli- carum et Francicarum Scriptores. De cette œuvre immense, reprise par ses confrères, cinq volumes parurent de 1757 à 1768, sous la direction de dom Haudiguier, de dom Housseau, de dom Poirier et de dom Précieux; et deux autres furent édités de 1781 à 1786, par dom Clément et par dom Brial qui, ayant survécu à toutes les institutions de l’ancienne monarchie, passa de la congrégation de Saint-Maur dans l’Institut, où il put se croire encore au milieu de ses illustres collaborateurs de l’ordre de Saint-Benoît.
Les Bénédictins ne se bornèrent pas à refaire l’œuvre d’André Du Chesne ; ils portèrent leur esprit de recherches sur tous les souvenirs qui pouvaient intéresser notre nation : histoire des provinces, des villes, de l'université, de l'église, des abbayes, des corporations, des maisons seigneuriales, etc. Après avoir réuni les premiers éléments d’une bonne histoire générale de France, ils constituèrent notre histoire provinciale. On dut à leur génie méthodique l'Art de vérifier les dates. Ils comprirent, en outre, que l’archéologie et la numismatique devaient venir en aide à l'interprétation des faits, ainsi qu'à leur classification chronologique. L’étude et la description des monuments occupent une place importante dans tous leurs ouvrages historiques : l’un d’eux, le père Montfaucon, publia, en 1729, un précieux recueil des Anciens monuments de la monarchie française, en cinq volumes in-folio. La langue et la littérature nationale trouvèrent aussi parmi eux de laborieux et intelligents historiens. Trois Bénédictins de l’abbaye de Saint-Vincent du Mans, dom Rivet, dom Colomb et dom Poncet, rédigèrent, de 1733 à 1747, les huit premiers volumes de l'Histoire littéraire de la France, «l’ouvrage le plus complet qui ait été publié en ce genre, chez aucune nation», ainsi que le fait fort bien observer l’un de leurs continuateurs. Dom Taillandier, dom Clément et dom Clemencet donnèrent les quatre volumes suivants (1750-1763). Le premier de ces pères fit imprimer, en 1752, le grand Dictionnaire de la langue bretonne, par dom Le Pelletier, auquel il ajouta une dissertation historique sur la même langue. Enfin, le Glossaire de la basse latinité de Ducange fut augmenté du double par les recherches d'autres religieux de l’ordre de Saint-Benoît.
Le Recueil des historiens de la France et la Collection des ordonnances des rois de la troisième race ne pouvaient comprendre une multitude de documents relatifs à notre histoire, d’un intérêt au moins égal aux autres monuments écrits déjà rassemblés en corps d'ouvrages. Cette réflexion frappa les savants et les hommes d'état, qui encourageaient leurs travaux avec un zèle si éclairé. La publication du Spicilegium de dom Luc d’Achéry, recueil de pièces inédites, telles que chroniques, histoires, vie des saints, actes, chartes, lettres, ne tarda pas à être suivie de celle du Thésaurus novus anecdotorum de dom Martenne, collection du même genre (1653-1717). Mais on sentait le besoin d'un plan plus compréhensif, plus méthodique et plus complet. La congrégation des Bénédictins de Saint-Maur proposa au ministre Bertin de faire pour la France, sur une grande échelle, ce que Rymer avait très-imparfaitement fait pour l’Angleterre : elle lui exposa ses idées sur cette entreprise, dans une lettre datée du 27 juillet 1742. Le ministre présenta le nouveau projet à Louis XV, qui l'accueillit favorablement. En exécution d’une décision du roi, on réunit dans un vaste dépôt central des copies de tous les documents inédits, parmi lesquels on devait faire un choix . Des arrêts du conseil réglèrent l'ordre du travail. Le soin de discuter chaque pièce fut confié à un bureau de savants, dont le chancelier de France se réserva la présidence ( arrêt du 3 mars 1781). On s’était souvenu avant de se mettre à l’œuvre que des pièces d’un grand prix devaient être enfouies dans les archives étrangères. Deux savants, Feudrix de Bréquigny et La Porte du Theil, reçurent la mission d'aller, le premier à Londres, en 1764, le second à Rome, en 1776, pour y rechercher des matériaux propres à enrichir la collection projetée. La moisson ne fut pas moins abondante dans le nord que dans le midi. Feudrix de Bréquigny rapporta d’Angleterre une masse prodigieuse de documents inédits ; et La Porte du Theil revint aussi d’Italie chargé d’incalculables richesses manuscrites. Ces matériaux, ajoutés à plus de trois cent mille pièces, déjà réunies dans le nouveau dépôt de Paris, constituaient un fonds historique presque inépuisable.
Le gouvernement n’avait qu’à s’applaudir des premiers résultats que la science devait à sa libéralité. Poursuivant la réalisation du recueil des chartes, diplômes, titres et actes de la France, il désigna Bréquigny et La Porte du Theil pour en diriger la publication. Le premier fit paraître un volume, en 1790, sous ce titre : Diplomata, Chartœ, Epistolœ et alia documenta ad res francicas spectantia; il y avait pris l’année 475 pour point de départ de l'époque mérovingienne. Un morceau d’une étendue considérable, savante exposition de critique et d’histoire, à laquelle les deux directeurs avaient travaillé de concert, servait de prolégomènes à ce volume et en doublait l’intérêt. De son côté La Porte du Theil avait réuni en deux volumes les lettres du pape Innocent III, dont le rôle fut si grand en Europe au moyen âge : malheureusement les troubles de la Révolution qui survinrent, ne lui permirent pas de les livrer au public. Feudrix de Bréquigny, tout en travaillant à la collection des actes, avait continué le Recueil des ordonnances des rois de France : de 1763 à 1790, il en donna cinq nouveaux volumes, dans la confection desquels il fut peu ou point assisté par son associé M. de Villevaut. Il enrichit le tome XI d’un Mémoire sur les communes, le tome XII d’un Mémoire sur les bourgeoisies. En 1746, Foncemagne, Lacurne de Sainte-Palaye et Secousse avaient fait agréer au ministre Machault l’impression d’une Table chronologique des chartes, diplômes, titres et actes qui, publiés ou inédits, se rattachaient à notre histoire nationale. Ce fut encore Bréquigny qui composa le premier volume ( 1769 ).
Nous ne saurions indiquer tous les autres travaux importants qui, en dehors de la protection directe du gouvernement, et de l’action particulière de la société des Bénédictins, signalèrent encore la renaissance de la science historique, depuis le milieu du XVIe siècle jusqu’à la révolution de 1789. Le grand ouvrage d’Adrien de Valois : Gesta Francorum, seu Rerum Francicarum (1646-1658), est un excellent commentaire sur les rois mérovingiens. SaNoticia Galliarum, ouvrage non moins précieux pour la connaissance de ces temps reculés, parut en 1676. L’année suivante, Baluze publia ses Regum Francorum capitularia (1677), qui, augmentés de ses nouvelles recherches, furent réimprimés par M. de Chiniac en deux volumes in-folio, en 1779. On dut au père Sirmond la Notice des dignités des Gaules, et à d’Anville, beaucoup plus tard, la Notice géographique de l'ancienne Gaule. Jacques Spon, Fréret, l’abbé Le Beuf, de Caylus, La Sauvagère, l’abbé Belley, etc., pénétrèrent fort avant dans les mystères des antiquités nationales. L’histoire ecclésiastique marcha de pair avec l'histoire civile, à laquelle elle se rattache si intimement. La grande collection des conciles du père Labbe (Conciliorum collectif) maxima en dix-sept volumes in-folio) (1672); la collection des hagiographes commencée par le père Hardouin; les Annales ecclesiastici Francorum de Le Cointe; l’Histoire Ecclésiastique de l’abbé Fleury; et le Gallia Christiana, des frères Sainte-Marthe, publié en treize volumes in-folio ( 1716-1775), forment un répertoire complet de faits religieux, non moins intéressant pour l’histoire des villes que pour l'histoire générale. Nous devons mentionner aussi le Glossaire du droit français, de Laurière, qui facilite l’intelligence des anciennes ordonnances des rois de France. Le glossaire universel de Sainte-Palaye resta malheureusement inachevé ; et il en fut de même des Mémoires de ce savant sur lesquels l’abbé Millot a rédigé son Histoire des Troubadours. Il ne restait plus qu'à dresser l'inventaire exact des vastes connaissances si laborieusement accumulées de tous côtés. Le père Lelong, prêtre de l'Oratoire, les résuma dans la Bibliothèque historique de la France, dont Fevret de Fontette publia, en 1768, une nouvelle édition en cinq volumes in-folio, plus complète encore que la première, et dégagée des erreurs qui s’y étaient forcément glissées.
Ainsi toutes les branches de la science historique se développaient par un effort simultané : histoire, chronologie, géographie, archéologie, numismatique, paléographie, bibliographie. L'esprit philosophique, favorisé par cette prodigieuse accumulation de connaissances, fit bientôt entendre sa voix ; il donna aux travaux de l’esprit de critique une portée toute nouvelle, en tirant des faits cette conclusion morale qu’on peut appeler la leçon de l'histoire; il s'érigea en grand justicier du passé, pesant dans la balance de la vérité les réputations et les popularités usurpées; il s’attacha à constater les droits, la liberté, la souveraineté des peuples, ainsi qu'à en signaler les manifestations, l'exercice et les applications diverses; surtout il opposa ces droits imprescriptibles de l’humanité, qui viennent de Dieu, aux pouvoirs temporaires du souverain, qui naissent des circonstances ou périssent avec elles. Le Dictionnaire critique de Bayle, l'Essai de Voltaire sur l' Esprit et les Mœurs des nations, les magnifiques Discours de Rousseau, les profonds aperçus de Montesquieu et l'œuvre encyclopédique de Diderot, répandirent un jour nouveau sur le monde. La lumière commença à pénétrer dans cette profonde nuit du moyen âge, où tout, hommes, choses, faits, institutions, dormait dans la poussière de l'oubli; on n’en découvrit, d’abord, ni le but, ni les tendances, ni l'esprit, ni le caractère véritable, parce qu'on jugea ces vieux temps avec les préventions des temps modernes. L’esprit philosophique, en voulant tout apprécier, tout expliquer, ne fut donc pas toujours juste, et se méprit souvent dans ses interprétations particulières comme dans ses déductions générales; mais il n'en changea pas moins radicalement la forme constitutive de l'histoire. Celle-ci n’eut plus pour but d'exalter la royauté au-dessus de tous les hommes. Elle l'envisagea comme une institution d'une origine barbare, qui, d'abord élective, puis plus tard héréditaire, avait fait beaucoup de bien et beaucoup plus de mal ; comme une institution que la France avait investie, par voie directe ou indirecte, d'un pouvoir presque illimité, pour qu'elle pût constituer son unité politique et territoriale; comme une institution, enfin, qui avait survécu à sa mission 9 et dont le principe avait été entièrement faussé dans les deux derniers siècles de son existence, pour asservir toutes les classes de citoyens au profit d’un seul. La critique philosophique ne put découvrir cette constitution de l'ancienne monarchie qui n'avait jamais été écrite, mais elle s'exerça sur les institutions féodales, l'église, l’état des personnes, la législation, le droit coutumier, les états généraux, les parlements, l'origine des communes et le droit municipal. De là à la conclusion de la fameuse brochure de l'abbé Sieyès : Qu'est ce que le tiers-état? il n'y avait certes pas loin. La révolution historique conduisait à la révolution politique .
Mais, il faut le dire, ces premières études n'avaient ni ensemble, ni but, ni direction bien arrêtés. D'une autre part, l'invasion de la politique dans le domaine de l'histoire, en avait complètement dénaturé le caractère. Nos premiers historiens s'étaient obstinés à subordonner tout dans le passé au principe monarchique ; nos nouveaux historiens, selon le point de vue auquel ils se placèrent, ne voulurent y voir que l'église, la noblesse ou la liberté. Les problèmes purement historiques des races gauloises et franques devinrent des questions de parti. On se laissa aller à toutes sortes d’anachronismes dans le fonds comme dans la pensée : bref, on retomba dans l'anarchie par l’excès des connaissances mal interprétées. L'Histoire de l'ancien gouvernement de la France du comte de Boulainvilliers ; l'Histoire critique de rétablissement de la monarchie française dans les Gaules, par l'abbé Dubos; les Observations sur l'histoire de France, par l'abbé de Mably, l'Abrégé des révolutions de l'ancien gouvernement français, dans lequel Thouret entreprit de faire concorder vers une même conclusion les systèmes inconciliables des deux savants abbés, en leur donnant une forme plus populaire; et le Traité de la monarchie française, depuis son établissement jusqu'à nos jours, par le comte de Montlosier, furent les productions les plus remarquables de cet esprit de système ou plutôt de cet esprit de confusion. Ces ouvrages tenant plus du roman que de l'histoire, il était difficile d'y démêler la vérité d'avec l'erreur. Il y avait donc un plus grand danger pour notre instruction nationale que celui de ne point savoir; c'était celui de mal savoir; c’était la prédominance de la fausse science, érigée en paradoxe historique.
Trois écrivains eurent la gloire de nous préserver de ce danger : MM. de Chateaubriand, Guizot et Augustin Thierry. M. de Chateaubriand, dans ses études historiques et dans quelques esquisses de son Génie du Christianisme, enrichit la critique d’aperçus d’une si profonde originalité qu'ils étonnèrent comme des découvertes; son imagination poétique jeta aussi une lumière éblouissante, sur les caractères, la physionomie et le costume des races. Toutefois les belles pages de M. de Chateaubriand ne pouvaient avoir qu’une action partielle sur les esprits. Il était réservé à MM. Guizot et Augustin Thierry d’accomplir une révolution dans nos études historiques. Qui ne connaît les Essais sur l'histoire de France, l'Histoire de la civilisation européenne? qui n’a lu les Lettres sur l'Histoire de France, Dix ans d'études historiques, les Récits mérovingiens, les Considérations sur l'histoire de France, et l'Histoire de la conquête de l'Angleterre par les Normands ? MM. Augustin Thierry et Guizot ont au plus haut degré le sens intime et la vision intuitive des faits : à la pierre de touche de leur esprit, le passé s'est dégagé de tous les systèmes en vogue, comme d'un mauvais alliage; puis ils l'ont reconstruit par la science historique pour le décomposer par l'analyse philosophique. Grâce à ce triple travail, ils ont fait ressortir avec une admirable précision la part d'action du tiers-état, de la royauté, de la noblesse et du clergé dans la vie sociale, politique, civile et religieuse de notre nation; enfin, en étudiant les rapports réciproques des hommes et des idées, des mœurs et des institutions, des législations et de la société, ils sont logiquement arrivés à formuler la loi et la déduction générale de l'histoire. élevée à ce degré de certitude morale, la science historique se confond presque avec la révélation.
Cependant, dans cette œuvre commune, M. Guizot a été plus dogmatique, M. Thierry plus pratique. De ces deux auteurs, le dernier s’est attaché surtout au Tiers-état; il en a exclusivement reconstitué l’histoire, il a retrouvé ses vieux titres politiques sous la forme du municipe romain ou dans la constitution de la guilde germanique. Une opinion fort accréditée ne voyait dans l’établissement des Communes qu'une suite de concessions du gouvernement royal : l'auteur des Lettres sur l'histoire de France a démontré la fausseté de ce système en faisant ressortir, d’une part, l'antique préexistence du municipe romain, et, de l'autre part, la formation spontanée des associations urbaines. Il a exposé à grands traits l’influence du double mouvement de réforme et d'organisation, du midi et du nord, sur les diverses phases de la révolution communale; et, renouant la succession de ses manifestations démocratiques les plus fameuses à la chaîne des grands faits révolutionnaires des temps modernes, il a établi la complète solidarité politique du passé avec le présent. Aujourd'hui l'illustre savant travaille à l'achèvement d'un Essai sur les origines et le développement du Tiers-état en France, qui doit servir d'introduction aux Monuments inédits de l'histoire du Tiers-état, dont la publication lui est confiée et qu’il dirigera longtemps encore, nous l’espérons, pour son honneur et pour l'instruction de la France. M. Augustin Thierry, doué d’un merveilleux talent d'écrivain, possède au plus haut degré l’art de peindre l’antagonisme des races, des lois et des langues. Aucun écrivain ne sait aussi bien que lui ne dire que ce qu'il faut avec cette sobriété élégante et élevée qui, dans le récit ou la description, arrive aux effets les plus vrais et les plus saisissants, sans recherche comme sans effort. La Conquête de l'Angleterre par les Normands est l’œuvre historique la plus parfaite des temps modernes et l'un de ces livres auxquels l’esprit humain ne saurait rien ajouter ni rien retrancher.
Les travaux de l'école historique contemporaine résument ces progrès généraux de nos études. On me permettra de citer en première ligne les Histoires de France par MM. de Sismondi, Henri Martin et Michelet : les ouvrages de ces savants écrivains ne diffèrent pas moins des œuvres de leurs devanciers, que la France moderne de la France du moyen âge; c’est la science succédant à l'ignorance, la méthode philosophique à l'absence de toute loi générale, le sentiment démocratique à l'esprit de domesticité du palais, et la lumière à la nuit. L’Histoire des Français, de M. de Sismondi, restera comme un beau, rare et utile monument de savoir profond, d'infatigable investigation et de pénétrante sagacité; mais cet historien ne sympathise pas assez avec notre nation pour comprendre son génie expansif, son caractère si divers et pourtant si constant, son brillant esprit, ses vives passions, ses mobiles entraînements, ses grands défauts et ses grandes qualités. Lorsque deux armées sont en présence, l'une française, l’autre étrangère, il passe souvent dans le camp ennemi. Sorti de l'école protestante de Genève, il en a la rigidité, la froideur et le dogmatisme; il juge trop le catholicisme, la papauté, l'église gallicane, les ordres monastiques et les révolutions religieuses au point de vue de ses convictions personnelles. A chaque instant, sans qu’il s’en doute, l’historien se tait et le sectaire parle. On peut reprocher à son style, d'ailleurs ferme, simple, et d'une clarté remarquable, de se ressentir trop de son origine étrangère.
M. Henri Martin, à tous les mérites de M. Sismondi, ajoute les qualités éminemment françaises qui le distinguent, le font aimer et lire. Il est plus sympathique, plus attachant, plus coloré, plus artistique : son esprit, dégagé des préventions de secte, de parti et d'école, est toujours impartial, et s'élève aux plus hautes considérations philosophiques. Peut-être lui reprocherions-nous d'être trop enclin à systématiser les tendances générales de l’existence, de l’esprit et de l’histoire de notre nation, et à les regarder trop absolument comme les résultats d'une loi et d'une mission supérieure, dans l'œuvre commune du progrès et de la civilisation de l'Europe. Sans contester l'ensemble des effets, nous faisons nos réserves quant à l'action préconcertée d'une cause philosophique. L'histoire de France de M. Michelet ne vise ni à la complète et patiente investigation de M. de Sismondi, ni à la savante et philosophique exposition de M. Henri Martin. C'est une manière plus libre, plus dégagée, plus vive, plus brillante : l'historien ne tient pas à tout dire et à tout voir, mais à dire et à voir d'une manière pittoresque et originale, qui n’est qu'à lui et qui vous attache et vous surprend presque toujours par la profondeur et la nouveauté des aperçus. Quoiqu'il néglige beaucoup de faits, il nous apprend tout; quoiqu'il soit plein de réticences, nous pénétrons dans les replis les plus intimes de sa pensée. C'est quelque chose comme l’esprit, le caprice, la philosophie, la hardiesse, le décousu, la logique, la vivacité et le style de Montaigne appliqués à l’histoire. Un pareil livre ne pouvait pas manquer d'être systématique; aussi, l'est-il depuis la première jusqu’à la dernière page. Cela paraît surtout dans le jugement de l'historien sur le génie et la mission philosophique et unitaire de notre nation ; opinion qui se reproduit en cent endroits sous les formes les plus dogmatiques et les plus ingénieuses.
M. Michelet aime beaucoup la France, et notre jeunesse studieuse le lui rend avec usure. Quoique nous trouvions beaucoup à reprendre dans son intéressante histoire, nous n’en voudrions rien retrancher, parce que ses défauts comme ses beautés tiennent aux nobles et rares qualités de l’esprit particulier de l’auteur.
Depuis les premières années du XIXe siècle, la reprise des grands recueils historiques est venue en aide à la nouvelle école. Le gouvernement issu de la révolution de 1789, en avait d’abord suspendu la continuation, ou plutôt proscrit le principe même, et je ferai, à ce sujet, un curieux rapprochement. Les rois Louis XV et Louis XVI ainsi que leurs ministres, MM. de Miromesnil, de Lamoignon, d’Ormesson et de Galonné, avaient encouragé les recherches des savants sans trop avoir la conscience de ce qu’ils faisaient; car l’élucidation complète des institutions politiques de l’ancienne monarchie conduisait aussi fatalement à la convocation des états généraux et à un grand changement dans l’état, que l’opposition des parlements et des encyclopédistes aux actes de la couronne. Il semble que la Révolution, par cette même considération, aurait dû prendre les travaux des savants sous son patronage : point du tout, elle leur fut entièrement hostile; elle se prit d’une peur puérile des vieux parchemins. Quoique les anciens droits de la nation y fussent lisiblement écrits, le gouvernement révolutionnaire ne voulut y voir que les actes odieux de la féodalité. Il ne comprit pas que la France de la Révolution était plus près de la France du moyen âge que de la monarchie de 1788, plus près des institutions de Philippe de Valois et du roi Jean que du gouvernement de Louis XIV et de Louis XVI. Il ne sentit pas une vérité à la fois si simple et si évidente. Il traita, pour ainsi dire, notre nation comme un bâtard, comme un parvenu sans titres de familles, sans liens avec le passé; et, donnant à la Révolution française un point de départ tout dogmatique, il l’érigea en conquête du droit absolu sur le fait, bien que ce ne fût, à proprement parler, qu’un retour au vieux droit national.
C’était condamner tous les grands recueils de documents historiques. Le premier volume des Chartes et Diplômes, de Bréquigny, fut perdu ou détruit; il en fut de même des deux volumes suivants, composés par La Porte du Theil. On dispersa les actes recueillis avec tant de peine, ou on les enfouit pêle-mêle sous les combles de la Bibliothèque nationale. On livra même aux flammes beaucoup de pièces d’un grand prix. L’honneur de réparer, autant qu’il était en elle, ces déplorables actes d’une aveugle barbarie, était réservé à la génération contemporaine, sortie aussi de la Révolution, mais plus éclairée que ses pères. Après la création de l’Institut, la classe d’histoire et de littérature ancienne, qui ne reprit sa dénomination d’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres qu’en 1814, fut chargée par Bonaparte de continuer les grandes collections historiques commencées sous les auspices de l’ancienne monarchie. Le nouveau chef de la République ne pouvait mieux s’adresser qu’à ce corps savant, à qui les Bénédictins ont légué leur science profonde et leur génie patient, et qui déjà, par ses excellents Mémoires, avait rendu de si éminents services à l'histoire générale et à l’histoire locale. De 1806 à 1840, sept volumes du Recueil des historiens de la France, ont été publiés : cinq volumes par dom Brial; un sixième, sur son manuscrit, par MM. Daunou et Naudet; et un autre dû exclusivement à la collaboration de ces deux savants. Du Recueil des Ordonnances des rois de France de la troisième race, six nouveaux volumes ont été publiés, de 1811 à 1840, par les soins de M. de Pastoret. M. Pardessus a donné, en outre, en 1847, un volume de la Table chronologique des ordonnances des rois de France, à laquelle on doit ajouter un supplément pour les temps postérieurs à Louis XII, où elle s’arrête, et une nouvelle série pour les temps antérieurs. Quant à l'Histoire littéraire de la France, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en a fait paraître huit volumes, de 1814 à 1842. Disons encore pour compléter l’histoire de ces trois admirables collections, qu’aujourd'hui elles sont arrivées chacune à leur tome vingtième.
La publication du Recueil des chartes, diplômes, titres et actes, n’a été confiée à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres que par une ordonnance royale du 1er mars 1832. Ce corps illustre, après une mûre délibération, a cru devoir recommencer entièrement le travail de ses devanciers. Le premier volume, composé sur un plan nouveau et remontant jusqu'à l’année 417, a paru en 1846, par les soins de M. Pardessus. Les prolégomènes de Bréquigny et de La Porte du Theil y sont reproduits textuellement et suivis de nouveaux prolégomènes dus à leur savant continuateur. Aux vastes monuments, si heureusement repris, deux autres recueils, qui en sont d’indispensables et précieux suppléments, ont été ajoutés depuis la révolution de 1830, sous le gouvernement du roi Louis-Philippe, et d’après les plans arrêtés par M. Guizot. La Collection de documents inédits relatifs à l'histoire de France se compose déjà de soixante-quinze à quatre-vingts volumes in-quarto, et parmi leurs éditeurs, on voit figurer les noms de MM. Cousin, Beugnot, Didron, Berger de Xivrey, Depping, Mignet, Varin Weisse, Champollion-Figeac, Michelet, Francisque Michel, etc. Le second recueil, qui comprendra tous les Monuments inédits de l'histoire du Tiers-état en France, paraîtra, comme nous l’avons dit, sous la direction de M. Augustin Thierry. Une commission a, en outre, été instituée pour « faire l'inventaire de tous les documents antérieurs à l’année 1790, qui sont conservés dans les archives des départements et des communes.» Elle a fait paraître, en 1847 et 1848, les deux premiers tomes du Catalogue général des cartulaires et des archives départementales et communales.
Une foule de savants ont aussi apporté leur contingent personnel à l’œuvre nationale. Les collections des Mémoires particuliers relatifs à l’histoire de France, de MM. Petitot, Poujoulat, Michaud et Buchon, et celle des Mémoires particuliers relatifs à la Révolution, par M. F. Barrière, ont pris un rang distingué dans la bibliothèque générale de nos annalistes français. Les antiquités nationales ont trouvé dans M. Amédée Thierry un historien aussi éminent par son talent d'écrivain que par son esprit philosophique. Son Histoire des Gaulois et son Histoire de la Gaule sous l'administration romaine, nous ont rendu les vieilles lettres de noblesse de notre nation, et ont victorieusement établi la puissante influence du droit romain sur le développement moral de la civilisation française. L’introduction générale du second de ces deux ouvrages est un chef-d’œuvre d’exposition comparable aux meilleures pages de Montesquieu. On doit à M. Fauriel une savante Histoire de la Gaule méridionale. Le Polyptyque de l'abbé Irminon et l'Essai sur le système des divisions territoriales de l'ancienne Gaule, par M. Benjamin Guérard, sont des travaux d’une profonde érudition. Le mémoire où M. Naudet expose l’état des personnes en France sous les rois de la première race, est bien supérieur à l’esquisse qui, dans le siècle dernier, a fait la réputation de l’abbé de Gourcy. Les études de M. J. de Pétigny sur l’histoire, les lois et les institutions de l’époque mérovingienne, lui ont justement mérité la plus haute récompense publique que puisse décerner l'Institut. M. Alexis Monteil a publié une Histoire des Français des divers états, livre fort remarquable et plein de recherches savantes et curieuses ; mais qui malheureusement pèche par une forme qui convient mieux au roman qu’à la gravité du sujet traité par l’auteur. L'Histoire du droit municipal en France sous la domination romaine et sous les trois dynasties, par Raynouard, est un travail plus consciencieux qu’élevé, sur le côté romain de nos anciennes communes. Ce dernier livre me rapproche du sujet des Villes de France, mais avant d’y arriver je dois encore indiquer quelques ouvrages relatifs à l’histoire littéraire de nos anciennes provinces : je veux parler du Glossaire de la langue romane de Roquefort; du Dictionnaire de la langue celto-bretonne, de Legonidec; du Choix de poésies des Troubadours, par Raynouard; des Observations philologiques et grammaticales de ce savant, sur le Roman de Rou; des Essais sur les anciens trouvères normands de l’abbé De la Rue; de la belle édition du Roman de Rou, publiée sous la direction de M. Frédéric Pluquet, et des Chants populaires de la Bretagne, recueillis par M. de la Villemarqué. Ce sont de précieux monuments de l’esprit de ces grandes nationalités provinciales, dont l'harmonieuse fusion a produit le génie de la France.
De ces considérations critiques, il ressort assez évidemment que notre histoire générale est en pleine voie de progrès. Le patronage de l’ancien gouvernement ne lui avait jamais manqué; l’appui de notre République démocratique, qui est la mère des lettres, comme la mère du travail, ne lui fera pas faute ; elle ne peut admettre que la monarchie conserve sur elle aucune sorte de supériorité; elle doit donc aspirer à surpasser l’ancien gouvernement dans l’encouragement des savants. Tous les grands recueils historiques de la France seront continués, il n’en faut point douter. De pareils monuments ne peuvent rester inachevés. Ils contribuent, autant que les palais et les temples, à la gloire d’une nation, et ils sont aussi utiles et plus durables. Mais il est une autre branche de notre histoire dont on ne s’est presque pas occupé jusqu’à présent et sur laquelle je dois appeler l’attention du gouvernement. C’est l’histoire des villes de France, c’est-à-dire, de ces milles puissantes agrégations de citoyens qui, depuis quatorze cents ans, ont constitué la portion la plus avancée de notre nation, et au sein desquelles s’est développé l’esprit de la civilisation française; c’est l’histoire de ces cités sorties des forêts mêmes de la Gaule avec leurs vergobrets, ou nées de la civilisation romaine dont elles conservèrent, sous le nom de consuls, l’antique magistrature élective, ou plus tard encore, instituées sur le modèle de la guilde germanique au milieu des luttes de la féodalité; c'est l’histoire de ces sociétés urbaines, composées de travailleurs de toutes les conditions, d’artisans de toute espèce, et d'artistes de tous genres, qui ont doté la France de sa richesse publique, de ses créations manufacturières, de ses arts mécaniques, de ses corps enseignants les plus illustres et de presque tous les chefs-d’œuvre de l'architecture, de la statuaire et de la peinture nationales; c’est l’histoire de ces municipalités que nous voyons s'établir pour la plupart dans le XIe et le XIIe siècle, « à cause de la trop grande oppression des pauvres gens (pro nimiâ oppressione pauperum), » et qui cherchèrent dans les formes républicaines de l'élection, de la justice, de l’impôt et de l’administration, des garanties pour la protection, la fortune, les droits et les libertés de tous ; c’est l’histoire enfin de ces Communes qui, après avoir proclamé le droit de résistance armée à la tyrannie, confièrent leur défense à cette milice bourgeoise d’où est sortie notre garde nationale, et constituèrent ce Tiers-état qui devait, par l’accomplissement de la révolution de 1789, rendre la liberté à la France et donner le signal de l'affranchissement du monde.
Jusqu'à l'époque où je commençai mes recherches, l'histoire des villes de France n’avait occupé qu’une place secondaire dans les études. Il serait injuste d’interpréter cette réflexion comme un reproche adressé à la littérature contemporaine. Sous l’ancienne monarchie, les historiographes de cour ne s’occupèrent de nos cités que pour compter combien il y avait parmi elles de bonnes villes, énumérer leurs devoirs de vassalité envers le prince, et rappeler les fêtes provoquées par son avènement ou sa joyeuse entrée La nouvelle école, avec une méthode plus rationnelle, ne put guère donner une plus grande place à la chronique locale. Le principe de la centralisation politique, en réagissant sur ses tendances littéraires, devait d’ailleurs la conduire à ce qu’on peut appeler la prédominance de l'unité historique. Au point de vue du gouvernement, comme au point de vue du récit, on a tout ramené à un seul centre, à un seul pouvoir, à une seule pensée; tout ce qui n’entrait pas dans ce système plus ou moins directement, a été omis, négligé ou amoindri. En un mot, il ne faut pas demander l’histoire particulière de nos villes à l'histoire générale de France; elle n'y est pas, elle ne peut ni ne doit y être. Nos cités n'apparaissent dans ses pages qu’à l’occasion du passage d’un prince, de la concession d'une charte, d'une révolte, d'un siège ou d'une bataille . Autrement, elle les laisse reposer pendant des siècles dans l'engourdissement de la vie provinciale. De leur origine, de leur accroissement, de leurs institutions civiles, de leur histoire, de leurs luttes intérieures, de leur gouvernement, de leur existence morale, industrielle et commerciale, elle ne dit pas un mot. Elle accepte nos villes, lorsqu'elles interviennent dans la narration générale, comme des faits accomplis, sans avoir souci de leurs causes premières, sans se préoccuper des modifications futures de leur être. Cependant c'est là, au moins, la moitié de nos annales. L'histoire générale, avec cette immense lacune, peut-elle être considérée comme l’histoire complète de la France ? Je ne le pense pas, et affirmer le contraire ce serait soutenir un paradoxe. Qu’en conclure? si ce n’est que pour qu'elle soit complète, il faut qu’elle ait pour complément même l'histoire des villes de France.
Un grand nombre de savants, depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours, se sont occupés de la géographie et de l'histoire de nos province et de nos cités. On ignore quel est l'auteur des Antiquités et recherches des villes, châteaux et places remarquables de la France, qu'on a faussement attribuées à André Du Chesne. Il n'est personne qui n'ait entendu parler des Mémoires des intendants sur les généralités : rédigés par l'ordre de Louis XIV, ils ont été résumés dans l'état de la France du comte de Boulainvilliers. Ce sont des inventaires assez exacts de la situation géographique, politique, civile, religieuse, agricole et industrielle des diverses contrées du royaume. Les renseignements statistiques sur la noblesse, le clergé et les populations y abondent; mais l’histoire y est fort négligée, quoiqu’on y trouve quelques notions historiques sur les généralités et sur leurs principales localités. Les Antiquités des villes attribuées à André Du Chesne, et les Mémoires des intendants ont servi de bases aux travaux de tous les dictionnaires historiques et géographiques de la France. Thomas Corneille, Moréri et ses continuateurs, Bruzen de La Martinière, l'abbé Expilly et Robert de Hesseln, y ont puisé une partie des matériaux de leurs ouvrages. On remarque toutefois un progrès considérable dans les compilations publiées par ces deux derniers écrivains. Ils ne se bornent pas toujours à copier les travaux de leurs devanciers; souvent ils y ajoutent des notices fort intéressantes. L'abbé Expilly surtout enrichit son Dictionnaire des Gaules et de la France d'importants mémoires sur les élections, les principaux fiefs et les villes. Le septième et dernier volume de cette grande collection n'a pas paru. Robert de Hesseln mit à contribution les travaux des plus savants auteurs contemporains pour son Dictionnaire universel ; il reproduisit textuellement presque toutes les notices des Nouvelles recherches sur la France. Mais il ne faut consulter ces auteurs, depuis Corneille jusqu’à Hesseln, qu'avec une extrême réserve; les omissions, les erreurs historiques et chronologiques en déparent les meilleures pages. Les mêmes observations s’appliquent à la Description historique de la France de l'abbé Longuerue, composée presque entièrement avec ses souvenirs. Piganiol de la Force, dans sa Description historique et géographique, est plus complet, sinon plus exact.
La révolution de 1789, en modifiant profondément les anciennes divisions territoriales de la France imposa à nos géographes et à nos statisticiens des études nouvelles sur le sol national. Les descriptions publiées sous l’ancienne monarchie avaient vieilli, en quelques années, de plusieurs siècles; il importait d’ailleurs de constater les changements que la révolution avait produits dans l'état des populations, des propriétés, des monuments, de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Le gouvernement républicain demanda aux administrateurs des départements des mémoires pareils à ceux que Louis XIV avait demandés aux intendants des généraités. Telle fut l'origine.de ces nombreuses statistiques départementales que possèdent aujourd’hui nos bibliothèques publiques. La plupart sont l’ouvrage des préfets ou des sous-préfets de la République et de l'Empire; un assez grand nombre cependant ont été rédigées par des savants étrangers à l’administration. Parmi les plus remarquables, nous citerons celles de la Loire-lnférieure, de Saône-et-Loire, des Bouches- du-Rhône, de Loir-et-Cher et de la Vendée, par MM. Huet, Ragut, Villeneuve de Bargemont, Cavoleau, Jules de Pétigny et La Fontenelle de Vaudoré. Ce qui frappe, d’abord, dans ces statistiques départementales, c'est qu'il n’y a entre elles rien de commun, quant au plan, à la mesure et à l’exécution. Quelques-unes sont des brochures de quelques pages, d’autres de volumineux in-folios. En général, l’histoire n’y est pas mieux traitée que dans les Mémoires des intendants ; rien de plus incomplet et trop souvent de plus inexact que les notices historiques qu’on y lit sur les départements et sur les villes. Peuchet, Chanlaire et Herbin ont résumé ces travaux avec beaucoup de soin dans leur Description géographique et statistique de la France; mais leur analyse n'a pas été complétée, cinquante-trois départements seulement ayant paru. Je dois signaler les deux Descriptions routières ou Guides du Voyageur en France, qui ont remplacé les ouvrages analogues de l'abbé Longuerue et de Piganiol de la Force : l'une, par Vaysse de Villiers, est restée inachevée; l'autre, par M. Girault de Saint-Fargeau, a été menée à bonne fin. Prudhomme avait publié en 1804 un Dictionnaire géographique, statistique et historique de la France. M. Girault de Saint-Fargeau vient de terminer un Dictionnaire géographique, historique et administratif de nos communes. On me permettra de dire sans ménagement toute ma pensée sur ces livres : la description topographique ou statistique y prend un développement qui étouffe ou exclut l'histoire. Les notices sur les villes y sont, à peu d'exceptions près, très-superficielles et très-incomplètes, et il n'est pas rare d’y voir ajouter des erreurs historiques aux inexactitudes des anciens géographes. Je n’hésite pas à affirmer que, depuis deux cents ans, il y a un fonds de banalités, d’omissions, de faussetés et d’anachronismes que tous les historiens géographes se sont successivement transmis. Telles de ces erreurs, qui ont cours dans la littérature comme la fausse monnaie dans le commerce, disparaîtront même difficilement de la circulation, tant la répétition, le temps et l’usage leur ont donné de crédit.
Les Bénédictins ont doté la France des premières histoires vraiment savantes de ses provinces. Grâce à eux, l'histoire provinciale comptait plusieurs chefs-d’œuvre, un siècle avant que nous eussions une bonne histoire générale de l’ancienne monarchie : qui n'a entendu parler des travaux de dom Lobineau, de dom Morice, de Vaissette et de dom Calmet, sur la Bretagne, le Languedoc et la Lorraine? Pierre de Marca a déployé une profonde érudition dans ses annales du Béarn. Les histoires du Dauphiné, de la Provence, de l'Anjou, du Poitou, de l'Aquitaine, de la Normandie et de la Bourgogne, par Valbonnais, Papon, Honoré Bouche, Bourdigné, Thibeaudeau, Masseville, Bouchet, Toussaint-Duplessis, Paradin, Courtépée et Béguillet, viennent en second ordre, mais elles n’en constituent pas moins des ouvrages fort estimables. Les annales particulières des villes ont eu aussi des écrivains d'une grande réputation : pour Paris, La Rochelle, Auxerre, Tulle, Reims, Sablé, Sainte-Reine, Troyes, j’indiquerai dom Félibien, Arcerre, l'abbé Lebeuf, Baluze, dom Marlot, Ménage, dom Ansart et Grosley. Je ne puis omettre de rappeler ici les trois ou quatre cents esquisses historiques des grands fiefs de l’ancienne monarchie qui remplissent presque entièrement le tome second de l'Art de vérifier les dates.
La littérature contemporaine a produit l'Histoire des ducs de Bourgogne, par M. de Barante; l'Histoire de la Saintonge, par Massieu; l'Histoire de la Touraine, par Chalmel; les Histoires de Bretagne, par MM. Daru et Roujoux; l'Histoire de Flandre, par M. E. Le Glay; l'Histoire des ducs de Normandie, de Licquet, continuée par M. Depping; l'Histoire des expéditions maritimes des Normands, de ce dernier auteur, etc. M. Mary-Lafon, dans son Histoire politique, religieuse et militaire du Midi, remarquable à plus d’un titre, laisse beaucoup trop percer le désir de raviver un antagonisme de races qui, Dieu merci, n’est aujourd’hui ni dans les mœurs, ni dans les idées, ni dans les passions des peuples. Cette fâcheuse et dangereuse tendance se montre aussi dans les études sur les institutions de la Bretagne armorique, de M. Aurélien de Gourson, travail profond et original, où l’esprit de l’homme de parti ne parle que trop souvent par la bouche de l’historien. M. Floquet a presque entièrement écrit sa riche et savante Histoire du parlement de Normandie sur d'anciens registres ou sur des documents inédits. Dans le long catalogue des monographies des villes qui ont paru depuis quarante ans, il en est un grand nombre que nous regrettons de ne pouvoir nommer. Dulaure et Anquetil ont refait avec succès les annales de Paris et de Reims. Nîmes, Soissons, Dieppe, Blois et Vendôme ont eu d’excellents historiens dans MM. Désiré Nisard, Vitet, Henri Martin, de La Saussaye et Jules de Pétigny. M. Chéruel, dans ses deux histoires de Rouen sous le régime de la commune du moyen âge et au temps de la domination anglaise, a fait preuve d’un talent des plus distingués. Nous mentionnerons encore les histoires de Marseille, de Sens, d’Amiens et d’Abbeville, par MM. Fabre, Tarbé, Dusével et Louandre. M. A. de Laborde a fait la Description des nouveaux jardins de la France et de ses anciens châteaux; M. de la Saussaye a écrit l’histoire du château de Blois ; M. Deville celles de Château-Gaillard et du château d’Arques. Les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, publiés sous la direction de M. Taylor, appartiennent à la fois par la diversité des récits à l’histoire des provinces, des villes et des châteaux. Ce n’est pas pourtant la partie historique, écrite à un point de vue et sous une forme trop romantique, mais bien plutôt la partie archéologique, faite avec beaucoup de soin et d’art, qui constitue le principal mérite de cette grande revue monumentale des provinces, à laquelle l’ancien gouvernement avait accordé une subvention considérable, et dont la révolution de 1848 a arrêté la publication.
Toutes les branches des connaissances scientifiques qui se rattachent à l’histoire locale, l’expliquent et la complètent, ont été aussi cultivées avec une remarquable émulation. MM. élie de Beaumont et Dufrénoy ont ajouté à leur admirable carte géologique de la France un texte explicatif fort étendu et digne sous tous les rapports, par sa savante et consciencieuse exécution, de lui servir de commentaire. Les travaux géologiques de MM. Boblaye, 0. d’Halloy, Burat, A. Passy, de Caumont, et les Mémoires insérés dans les Annales des Mines, présentent des études particulières du plus grand intérêt sur les principales régions du territoire de la République, Presque toujours on y trouve l’explication des causes naturelles qui ont influé sur le choix du site des cités, dominé leur existence civile ou militaire, favorisé leur développement agricole et manufacturier, ou déterminé leurs relations politiques et commerciales. Les conditions de naissance ne réagissent pas moins sur la destinée des villes que sur le sort des particuliers. MM. Ladoucette, Ramon, Cavoleau, Delpon, Cam- bry, émile Souvestre, Habasque, Duchâtellier, Pluquet, Labourt, Blanqui, Villermé et beaucoup d’autres ont fait pour l'état économique et le caractère moral des populations ce que les géologistes avaient fait pour l’analyse physique du sol : science nouvelle que la Statistique générale de la France, publiée par le ministre des travaux publics, d’après les tableaux composés sous la direction de M. Moreau de Jonnès, embrassera successivement dans toutes ses parties.
Les travaux de MM. E. H. Langlois, de Caumont, Dusommerard, A. Deville, Taylor, G. Lenormant, Vitet, P. Mérimée, Didron, etc., ont donné à l’archéologie tout l’intérêt d’une science populaire : elle a acquis assez d’autorité pour se faire entendre du gouvernement, et en obtenir la classification, la réparation et l’entretien des anciens monuments historiques de .la France. M. dé La Saussaye a été un des rédacteurs les plus distingués de la Revue numismatique, dont il est le fondateur, et M. de Saulcy a publié de remarquables ouvrages sur les monnaies, considérées dans leurs rapports avec l’histoire provinciale. M. Beuchot a recueilli dans une des sections de son Journal de la Librairie les titres de tous les livres, mémoires ou essais qui ont trait à l’histoire locale; et les mêmes richesses particulières ont été soigneusement classées par M. Girault de Saint-Fargeau dans sa Bibliographie historique et topographique de la France, utile appendice à la bibliothèque du père Lelong et de Fevret de Fontenette. Je ne pousserai pas plus loin cette nomenclature, mais je dois parler des travaux de quelques corps savants et des notices publiées dans les annuaires des départements. Les Mémoires des Sociétés des antiquaires de France, de Normandie et de l’Ouest, sont des recueils d’un prix inestimable. On ne saurait donner trop de louanges aux élèves de l'école des Chartes, pour leurs savantes recherches et leurs éminents services, ni trop reconnaître et estimer les utiles travaux et les belles publications de la Société de l'histoire de France . Quant aux annuaires des départements, ils ont pris une haute importance littéraire : ils renferment sur les événements et les souvenirs d’un intérêt local une foule de notices et d’esquisses, dans lesquelles le talent et la science s’allient à une saine critique. Nulles publications ne témoignent mieux du prodigieux mouvement des études historiques dans leur application aux annales des provinces et des villes.
Aucun écrivain n’avait tenté, avant moi, de réunir ces éléments épars pour en composer une histoire des villes de France, profondément nationale par son esprit démocratique, complète dans son ensemble et accessible à tous les lecteurs. Deux auteurs, dans un autre ordre d'idées, M. Vitet et M. Danielo, avaient voulu publier, à la vérité, l’un une Histoire des anciennes villes de France, l’autre une Histoire des villes de France, formées, celle-ci comme celle-là, d'une série d'un ou de plusieurs volumes pour chaque cité. Le premier recueil, qui devait se composer d'environ vingt-cinq villes, s'arrêta à celle de Dieppe par laquelle il avait débuté ; le second, qui eût fini par être aussi considérable que la Bibliothèque des romans, ne se manifesta que par l'impression d'un volume relatif à l'époque gallo - romaine de la cité de Reims. M. Désiré Nisard commença aussi une Histoire des principales villes de l’Europe, où nos cités les plus célèbres auraient trouvé place incidemment; mais il ne donna qu'un petit nombre de livraisons de cette belle publication, dont le succès eût, sans doute, grossi considérablement les proportions. Concevoir l'histoire des villes de France sur des bases si exagérées, c'était en rendre l'exécution impossible. Les auteurs de nos chroniques locales ne se sont montrés jusqu'à présent que trop enclins à enfler leurs récits de détails inutiles : chacun d'eux, à propos de son pays ou de sa localité, a voulu raconter l'histoire de la France et quelquefois celle du monde; je pourrais citer les annales de telle petite ville de l'ancienne Guienne, où, à défaut d'autres faits, on a soigneusement enregistré dans l'ordre chronologique la date précise de la première représentation des chefs-d'œuvre de la scène française sur les théâtres de Paris. L'histoire locale, sous l'influence de cette pédantesque méthode, a été démesurément grossie; il n'est pas rare de la voir pousser son développement artificiel à trois, à six, à neuf, à douze volumes même, pour une seule ville.
Avant toutes choses, j'ai voulu la ramener à son but exclusif, en la dégageant des éléments étrangers et des faits généraux dont on l'avait absurdement surchargée, et sous lesquels elle était, pour ainsi dire, étouffée. Elle gagna à cette première réforme, non-seulement plus de brièveté, mais plus de vérité. Je ne tardai pas à reconnaître que la plupart des chroniques locales cachaient sous leur ampleur factice une insuffisance réelle, quant à la science, la chronologie et l'exactitude historique. J'ai dû y suppléer par l'exploration des archives municipales et départementales, l'étude des ouvrages imprimés ou inédits de nos meilleurs auteurs, la patiente comparaison des textes et la coordination chronologique des événements. J'ai toujours relevé soigneusement les dates, parce qu'elles ont une grande valeur morale pour l'appréciation des hommes, des faits et des choses, et qu'elles sont, en quelque sorte, au récit historique ce que les articulations sont au corps humain. Les notes indicatives des auteurs consultés qui se trouvent à la fin de chaque notice, forment, par leur ensemble, une immense bibliographie de la littérature locale. Telle esquisse de quelques pages, conçue et exécutée avec cette scrupuleuse exactitude, m'a donné autant de peine que s'il se fût agi d'écrire un livre. Pour un grand nombre de villes sur lesquelles il n'existait aucun travail général, il m'a fallu me livrer à des investigations et des recherches encore plus obstinées afin de constituer d'un même coup leur existence et leur histoire. Souvent aussi les chroniques locales, soit à cause de la date éloignée de leur publication, soit à cause du système assez généralement adopté en province de clore leurs pages à la fin des guerres de religion, ou au règne de Louis XIV, s'arrêtaient longtemps avant la grande époque de la transformation politique et sociale de la France : par un travail assidu, je me suis appliqué à combler ces lacunes, en continuant la filière des faits jusqu'à' notre temps . Je tenais beaucoup à raconter les souvenirs de notre première révolution, qui se perdent chaque jour et qui ont pourtant un si grand intérêt pour nous. Je les ai donc recueillis avec un soin extrême, chaque fois que cela m'a été possible, et souvent leur simple exposition a détruit les mensonges ou les préjugés traditionnels, à l'aide desquels l’esprit de parti s'était efforcé de dénaturer le véritable caractère des événements politiques contemporains.
J'aurais pu me dispenser de tout plan méthodique pour ce recueil, en publiant mes monographies dans l'ordre alphabétique; mais j'ai pensé que les villes qui, par leur commune origine, avaient des affinités géographiques et morales, devaient être réunies en autant de groupes particuliers. La division départementale ne pouvait être acceptable, les départements n'ayant point de tradition historique, et étant (bailleurs composés d'éléments hétérogènes pris dans les diverses fractions du territoire de l'ancienne France. La seule classification par province pouvait mettre de l'ordre et de l'harmonie dans ce travail ; elle avait l'avantage de rattacher la cité aux influences locales et historiques, au milieu desquelles son existence s'est développée. Je me suis donc arrêté à cette dernière division. J'ai placé chaque groupe de villes, comme dans un cadre, entre une introduction et un résumé sur chaque province. Dans l'introduction, j'ai réuni toutes les notions d’un caractère général : d'abord la situation géographique de la province, sa constitution géologique, ses montagnes, ses côtes, ses principaux bassins, ses îles, ses rivières et son climat; ensuite les origines de ses habitants, ses transformations successives sous la domination celtique, romaine et française, ses gouverneurs, princes ou seigneurs féodaux, ses révolutions politiques, religieuses et militaires; puis, enfin, son administration civile, judiciaire et financière, son état ecclésiastique, ses hôtels de monnaie, ses états provinciaux, ses privilèges, ses coutumes, sa nouvelle division par départements, et le chiffre de sa population avant et depuis la Révolution. Le résumé a formé la contre-partie de l'introduction. Là, j’ai examiné le sol, non plus dans sa constitution géologique, mais dans ses aptitudes productives; l'état de l’agriculture, les divers systèmes de culture et d'assolement, la constitution de la propriété territoriale, les modes de fermage ou d’exploitation en usage dans le pays ; les biens ou productions de la terre, pâturages, grains, fruits, bois, forêts, bestiaux, grands animaux domestiques, espèces sauvages ou carnassières, gibier, poissons; et toutes les richesses souterraines, pierres, gypses, marbres, granits, cristaux, métaux, combustibles, que la pioche et la mine livrent aux besoins de l'homme. J’ai tracé rapidement les principaux produits de l'industrie, et brièvement énuméré lés objets les plus importants du commerce. La statistique des populations est venue après cet inventaire des choses. J’ai esquissé les caractères physiques et moraux des diverses races, leur physionomie, leur esprit, leurs mœurs, leurs usages, leurs costumes; j'ai exposé l'origine de leur patois ou idiome, ses formes distinctives, son génie particulier, et ses œuvres poétiques et littéraires les plus remarquables. Un aperçu sur les antiquités celtiques ou romaines, sur les monuments civils, religieux ou militaires du moyen âge, et sur les grands travaux d'art et d'utilité des temps modernes, ont complété cette revue provinciale.
Voilà quel est le plan général de ce recueil. Quant à l'esprit philosophique dans lequel l'histoire même des villes est écrite, rien de plus simple. Au moyen âge, quatre grandes forces morales se trouvèrent en présence : la féodalité, c'était le privilège; l'église, l'immobilité; la commune, le droit commun; la royauté, l'unité. La royauté l'emporta d'abord, l'unité étant le premier besoin de la nation; mais ce besoin satisfait, le Tiers-état, qui n’était que l'expansion morale de la Commune, brisa le sceptre royal comme un instrument inutile. L'Histoire des Villes de France résume, au point de vue de la cité et de la municipalité, cette longue révolution dont nous ressentons encore les derniers ébranlements. En tous temps, ce sont les villes qui ont fondé ou renversé les gouvernements, parce qu’en elles se développent l'intelligence et la force agissante des nations. Cette réflexion s'applique surtout aux peuples les plus civilisés et particulièrement aux Français, le peuple le plus civilisé du monde. Mais plus la cité a joué un grand rôle dans les progrès de la civilisation, le mouvement des idées et la conquête de la liberté, plus il est intéressant pour nous d’en bien connaître l'histoire. C’est ce sentiment qui m'a conduit à rechercher l'origine, le développement, la formation, le travail, l’industrie et le commerce des villes; à exposer leurs lois, leurs chartes, leurs coutumes, leurs institutions publiques, leurs écoles, leurs établissements de bienfaisance; à étudier l’élaboration de leur constitution particulière, le jeu de son mécanisme, ses formes démocratiques et sa définition des droits et des devoirs de tous les citoyens; à reconstituer la société communale, ses corporations d'arts et métiers, son existence intellectuelle, ses mœurs publiques, sa vie intérieure, et pour ainsi dire son foyer domestique; enfin, à raconter ses actes, ses entreprises, ses guerres et ses révolutions, considérés dans leurs rapports avec la royauté, la féodalité, la noblesse, l'armée, l'église, le monastère, le vicomte, le bailli, le parlement, le gouverneur et l'intendant royal, puissances qui ont été quelquefois ses auxiliaires, mais plus souvent ses ennemis. Qu’il me soit permis de répéter que l'histoire locale ne finit point pour moi, comme pour mes devanciers, au règne de Louis XIV, ni même à l'époque de la première révolution. Quand elle ne se manifeste plus par les événements, je la trouve dans le mouvement des intelligences, les institutions nouvelles, les améliorations morales, et dans les travaux publics, les progrès de l'agriculture, les perfectionnements de l'industrie et l'extension du commerce. Ces paisibles révolutions sont encore de l'histoire, et sans contredit celle qui touche le plus à l'existence même des villes. Il serait aussi faux que triste de ne voir la vie que dans le drame des rues, les calamités publiques, les alarmes de la guerre, les dissensions civiles et les luttes des partis. Le caractère des événements historiques doit se transformer comme l'esprit de la société.
Mais une pensée domine surtout dans ce livre et en est pour ainsi dire l'âme. L'œuvre admirable d’unité politique, législative et administrative, à laquelle Philippe le Bel, Charles Y, Charles VII, Louis XI, Henri IV, le cardinal Richelieu et Louis XIV avaient successivement travaillé, n'a été définitivement accomplie que de notre temps. Les restes de l'ancienne organisation provinciale ont disparu sous le puissant niveau de la Révolution française. Plus d’une fois, l’ancienne monarchie avait modifié les subdivisions féodales du royaume dans un esprit de centralisation : l'Assemblée nationale les abolit entièrement par le partage de notre territoire en portions à peu près égales, et elle donna à ces nouvelles circonscriptions politiques, la désignation générale de départements. Pour la première fois, il n'y eut plus qu'une nation, qu’une loi, qu'une administration entre les Alpes et les Pyrénées, et depuis les côtes de l’Océan jusqu'aux rivages de la Méditerranée. Mais, il faut le dire, dans l'accomplissement de ce travail d'assimilation générale, on ne ménagea pas assez l'esprit des populations des nouveaux départements. Surtout, on ne tint pas suffisamment compte des anciennes traditions historiques, des influences acquises et des vieilles suprématies locales. La convenance morale fut trop souvent sacrifiée à l'arrangement géographique.
Pendant une longue suite de siècles, la vie avait été plutôt à la circonférence qu'au centre ; par un excès contraire, on la ramena trop exclusivement à un point unique. On découronna toutes les têtes des anciens chefs-lieux de provinces, on en abattit pour ainsi dire moralement quelques-unes, comme ces têtes de pavots que Tarquin coupait avec son bâton, parce qu'elles s'élevaient trop au-dessus des autres. Parmi ces capitales, combien n'en est-il pas qui sont descendues au rang de simple chef-lieu de canton ? La première division départementale de la France avait été plus équitablement conçue : elle avait multiplié les districts pour assurer des compensations administratives à un plus grand nombre de villes. Aujourd'hui ces faibles satisfactions ne contenteraient plus le sentiment contraire qui proteste partout contre les abus d'une centralisation excessive. Dans l'intérêt même de son unité nationale, qui lui a coûté tant de peine et de sang, la France consentira, sans doute, à relâcher les liens trop tendus de la haute administration, et à rendre aux municipalités quelques-unes de leurs anciennes attributions communales. La centralisation politique, bien loin d’y perdre, y puisera une force nouvelle. Mais en dehors de l’action du gouvernement, il y a une première réparation que la littérature contemporaine peut donner à ces existences provinciales ou urbaines : c'est de leur restituer les souvenirs de puissance, de grandeur et de gloire qui les ont entourées en d'autres temps d'un si vif éclat. Telle est la tâche que l'auteur de ce Recueil s'est imposée il y a bientôt huit ans, et pour l'exécution de laquelle il n'a reculé devant aucun sacrifice dé temps, de santé et d'argent. Avant lui, on avait grandi Paris outre mesure en y plaçant la scène historique et en laissant tout dans l'ombre autour de son enceinte privilégiée. Il a pris le contre-pied de la méthode suivie par ses devanciers : il a secoué le flambeau de l'histoire locale sur ce monde de métropoles, de villes, de bourgades et de châteaux, auquel la lumière n’était pas encore arrivée; il les a fait, pour ainsi dire, briller au grand jour avec leurs forêts de pignons, de coupoles, de tours, de flèches et de pyramides aériennes. L’histoire générale, décentralisée enfin, s’est reconstituée aussitôt sous une forme nouvelle pour rendre à chaque cité sa part de travail dans la vie commune, son individualité propre et ses titres personnels d'illustration.
Jusqu'à présent l'histoire des villes de France a été exclue de l'enseignement de nos écoles. Cependant, quelle source plus riche d’instruction? Les causes diverses qui amenèrent la réunion des provinces au domaine royal, ne sont nulle part mieux expliquées. On y suit, dans son action multiple, ce travail lent des siècles par lequel l'unité territoriale de l’empire français fut constituée. Les folles prétentions de l'esprit d'indépendance fédérale s’y taisent devant l'évidence des faits : on y reconnaît qu’aucune des anciennes provinces ne pouvait se soustraire à la domination de la France, qu'en se donnant à quelque puissance étrangère, et que pour toutes indistinctement, malgré les dénégations d'un petit nombre d'esprits malades, la réunion fut un bienfait. L’Histoire des Villes, par l'exposition des lois économiques ou politiques du passé, nous facilite singulièrement l'intelligence du présent. Presque tous les principes, les droits et les axiomes de notre démocratie y sont formulés en termes clairs, consacrés ou mis en pratique. Quoi de plus instructif pour notre société, si gravement préoccupée de l'organisation du travail, que la constitution de ces corporations d'ouvriers qui, au moyen âge, cherchèrent dans la triple combinaison de l'association, de la restriction et du monopole, un préservatif contre les dangers de la liberté illimitée en matière d'industrie? L’Histoire des Villes est pleine d'enseignements précieux sur notre économie sociale, administrative, domestique et manufacturière . On y prend la vie nationale sur le fait dans ses développements multiples et ses diverses transformations. Elle est d'ailleurs riche en leçons morales dont nos jeunes esprits peuvent faire leur profit : plus qu’aucune autre elle abonde en ces traits saisissants qui font aimer les vertus privées, civiles, religieuses et militaires; et parmi ses innombrables acteurs il en est beaucoup qui ont été de grands citoyens, bien que leurs noms soient aussi inconnus des professeurs de nos collèges que de leurs élèves.
L’exclusion de l’histoire de nos cités du programme de l'enseignement universitaire, me suggère une dernière observation. Par une monstrueuse anomalie, on contraint notre studieuse jeunesse à apprendre par cœur les légendes de la fondation de Babylone, de Thèbes, de Memphis, de Rome, de Carthage, de Sparte et d'Athènes, tandis qu'on la laisse dans une entière ignorance sur lès origines de Paris, de Lyon, de Lille, de Toulouse, de Bordeaux, de Marseille, de Strasbourg, de Rouen et de Nantes. N'est-ce pas là un de ces contre-sens qui confondent notre raison? N'est-il pas grand temps que l’histoire des provinces et des villes, d'où nous sommes sortis tous tant que nous sommes, remplace dans nos écoles l'histoire des pays et des cités classiques de l'antiquité païenne? La science de renseignement public, la première et la plus grande de toutes les sciences, repoussera-t-elle donc toujours les progrès et les perfectionnements, quand tout se développe et se perfectionne autour de nous? Dans les petits arts mécaniques, l'invention humaine est arrivée par de merveilleuses combinaisons aux plus féconds résultats. N'est-il pas surprenant que l’enseignement public, qui fait les hommes et les citoyens, soit moins avancé que les arts industriels dans une société si civilisée qu’elle vit encore plus par l'intelligence que par les sens? pour moi, je ne croirai avoir employé utilement les longues années que j'ai consacrées à ce travail, qu'autant que j’aurai contribué, par l'exemple et le précepte, à modifier les vieilles habitudes universitaires, et à ouvrir à l'intelligente jeunesse des écoles une plus large voie et de nouvelles perspectives historiques.
Je dois remercier, en terminant, les littérateurs de Paris et des départements dont le concours particulier m'a été si utile et si précieux dans la rédaction des monographies de l'Histoire des villes de France. J'éprouve surtout une profonde reconnaissance pour les savants illustres, qui, bien qu'absorbés par de graves devoirs politiques ou d'importantes occupations littéraires, m'ont cependant fait l’honneur de s'associer à mes travaux par leur active coopération. Je ne puis non plus me dispenser d’ajouter, que les éditeurs de ce recueil ont fait preuve d'une courageuse initiative en entreprenant à leurs risques personnels, sur ma proposition, de doter la littérature française d'un monument historique, sans précédent chez nous comme chez les autres nations de l’Europe. Il semblait qu'une œuvre d'une si grande importance où tout était à créer et dont l'accomplissement présentait tant d'obstacles, ne pouvait être menée à fin qu'avec le patronage et l'assistance de l'état. Les éditeurs de l'Histoire des villes de France n’ont pas craint de l'entreprendre avec leurs seules ressources particulières; ils se sont mis libéralement, qu'on me permette de le dire, au lieu et place du gouvernement. Les limites du plan primitif étant trop restreintes, ils ont subi les conséquences onéreuses de l’agrandissement de ses proportions. A leur honneur, ils n’ont pas voulu sacrifier l'intérêt littéraire à un calcul mercantile. Je les en félicite bien vivement pour ma part. Je ne puis pas faire davantage : c'est au pays à reconnaître de pareils sentiments. Du reste, j'ai la conviction que les éditeurs des Villes ont donné là un exemple qui profitera à la science autant qu'à l'instruction générale, et qui, avant peu, trouvera des imitateurs dans tous les pays étrangers. L’Angleterre, la Russie, le Danemark, la Suède, l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce auront aussi l'histoire de leurs cités. Elles ne voudront point rester, sous ce rapport, en arrière de notre nation. Ce sera d’ailleurs pour elles un moyen de constituer historiquement l’unité que tous leurs efforts tendent aujourd'hui à réaliser politiquement.
ARISTIDE GUILBERT.
AUTEURS DES NOTICES des 6 volumes (les notices elles-mêmes ne sont pas signées)
ARAGO.
ADDENET.
ALBOIZE DE PUJOL.
ARDANT (Maurice).
Ch. ARNAULT.
E. AUGER.
AZéMAR.
De BARANTE, de l’Institut.
F. BARRIèRE.
BAUDE.
De BEAUMONT (Gustave), de l’Institut.
La BéDOLLIèRE (émile de).
A. BILLIARD.
BYRNE (Murphy).
F. BOURQUELOT.
CAYLA.
Ch. CASSOU.
CHAMBON.
De CHAMPROBERT.
CHASLES (Philarète),
CERFBEER de Medelsheim.
CHENU de Pierry.
A. CHéRUEL.
CHEVALIER (Augustin).
COMBETTES-LABOURéLIE.
De CORMENIN. COURMEAUX.
Th. COURSIERS.
A. DANTIER.
DELORT (Taxile). DESSALES (Léon).
DUBEUX (Louis).
A. DUFAI.
DUPRAT (Pascal). DUSEVEL.
Le général de division DU- VIVIER.
FAUCHER (Léon), de l’Institut.
FAURE (Eugène).
De la FONTENELLE de VAUDORé, membre correspondant de l’Institut.
E. FOURNIER.
GALIBERT.
Ch. GAUTIER.
De GAULLE.
Le vice-amiral GRIVEL.
B. GUéRARD, de l’Institut.
L. GUéRIN.
GUILBERT (Aristide).
E.-D. D’HANNENCOURT.
E. HATIN.
D’HéRICOURT (Achmet).
J. HOUEL.
P. HUOT.
JOLIBOIS (émile).
H. JULIA.
A. LABOURT.
LAFFORGUE.
J. de LAMADELENE.
E. LASSèNE.
L. de LATAPIE.
J. LAVALLéE.
LEBAS (Philippe), de l’Institut.
F. LECLER.
LE GLAY (édouard).
Le général de division LE PAYS DE BOURJOLLY.
De LONGPéRIER (Adrien).
Ch. LOUANDRE.
MARY-LAFON.
E. MARON.
P. MALASSIS.
E. de MANNE.
MARMIER (Xavier).
MARRAST (Armand).
MARTIN (Henri).
P. MéRIMéE, de l’Institut.
Ch. MéVIL.
D. MICHON.
De MOLINARI.
E. G. de MONTGLAVE.
MOREAU de JONNèS, membre corr. de l’Institut.
X. MOSSMANN.
NETTEMENT (Alfred).
NISARD (Désiré).
PARIS (Paulin), de l’Institut.
PEAUGER.
PELLETAN (Eugène).
PéTIGNY (Jules de), membre corresp. de l’Institut.
PICHOT (Amédée).
PIERQUIN de Gembloux.
PILLON (Alexandre).
E. RéGNIER.
L. RENIER.
Ch. RICHARD.
ROSSEEUW-SAINT-HILAIRE
SAINT - HILAIRE ( Barthélémy), de l’Institut.
De SAULCY, de l’Institut.
De la SAUSSAYE, de l’Institut.
SOUVESTRE (émile).
THIERRY (Amédée), de l’Institut.
Th. THORé.
TISSOT, de l’Institut.
TOCQUEVILLE (Alexis de), de l’Institut.
Ch. TOUBIN.
A. de VALLON.
J. de VAUCELLES.
Ch. VERGé.
F. VIENNE.
VIENNET, de l’Institut
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