Article extrait de La France au XIXe siècle, illustré par Thomas Allom, écrit par Charles-Jean Delille,
édition française en 1845 par Fisher Fils et Cie, Londres.
Du texte initial au ton pompeux, correspondant au style de l'époque, j'ai supprimé le début et la fin.
THIERS, PUY DE DôME
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Peu importante à l'égard de son commerce et de sa population, Thiers est principalement remarquable par lé charme de sa situation, la douceur de son climat, et l'intelligence de ses habitants. à peu de distance de la ville, la rivière descend par une suite de précipices où elle tombe en autant de cascades que l'industrie du voisinage a su mettre heureusement à profit. On y voit des moulins à papier et à d'autres matières, dont l'exploitation offre un singulier contraste, quand on considère des travaux divers de l’art, tels qu’usines et manufactures, au milieu d'un entourage que la nature s’est plu à orner avec une admirable splendeur.
Vue de loin, la ville de Thiers est d'un effet aussi charmant que romantique. Les maisons surplombent au-dessus du torrent de la Durole, et des massifs d’une riante verdure couronnent les terrains qui s'élèvent aux alentours. D’ailleurs, l’atmosphère y est si pure, que l’éloignement n’affaiblit pas les contours des objets contenus dans cette délicieuse perspective, et la ville peut être aperçue facilement de Clermont à une distance de près de huit lieues. Mais les yeux se dirigent avec un plaisir toujours nouveau vers les campagnes au milieu desquelles elle repose. D'un côté, le paysage sévère et inculte s’étend â perte de vue ; de l’autre, des rochers tout couverts de riches vignobles se courbent en tous sens, et sous les formes les plus bizarres, au-dessus de larges terrains également couverts d’une végétation abondante et vigoureuse. Enfin, c’est une heureuse réunion des plus beaux plans qui entrent dans la composition d’un paysage, et qui, par leur parfait ensemble, font le charme de l’artiste et l’étonnement du voyageur.
Les environs de Thiers offrent encore d’autres curiosités bien dignes d’être citées. Ce sont, par exemple, les institutions agricoles, dont tous les membres travaillent en commun et font bourse commune, connues dans le pays sous le nom de Guittards-Pinons.
Pareilles aux communautés, recommandées par les économistes Owen et Fourrier, ces associations de cultivateurs remontent aux premiers siècles de notre histoire, et ont depuis longtemps fixé l'attention du philanthrope et du législateur. Autrefois, dit-on, ces petites républiques de paysans, aussi paisibles qu'heureuses, étaient très-nombreuses dans nos campagnes, et, pendant longtemps, elles reçurent la protection de la monarchie. Aujourd'hui, l'Auvergne est la seule province où elles se sont conservées, mais affaiblie peu à peu par de nombreuses désertions, leur existence approche d’un terme inévitable. Voici les détails qu'un observateur éclairé, M. Legrand d'Aussy, nous donne à leur sujet :
Autour de Thiers, et en pleine campagne, sont des maisons éparses habitées par des sociétés de paysans dont les uns s’occupent de coutellerie, tandis que les autres se livrent au travail de la terre. Outre ces habitations particulières et isolées, il en est d'autres plus peuplées dont la réunion forme un petit hameau, et dans lesquelles la communauté est plus intime encore. Le hameau est occupé par les diverses branches d'une même famille qui, livrée uniquement à l'agriculture, ne contracte ordinairement de mariages qu’entre ses différents membres ; qui vit en communauté de biens, a ses lois, ses coutumes ; et qui, sous la conduite d’un chef qu’elle se nomme et qu’elle peut déposer, forme une sorte de république où tous les travaux sont communs, parce que tous les individus sont égaux.
Il y a dans les environs de Thiers plusieurs de ces familles républicaines, Taranté, Baritel, Guittard, Beaujeu, etc. Les deux premières sont les plus nombreuses, mais la plus ancienne est celle des Guittards. Le hameau que forme et qu’habite la famille des Guittards est au nord-ouest de Thiers, et a une demi-lieue de la ville. Il s'appelle Pinon. On ignore l'époque précise où le hameau fut fondé. La tradition en fait remonter l'établissement au douzième siècle. L’administration des Pinon est paternelle mais élective. Tous les membres de la communauté s’assemblent ; à la pluralité des voix ils se choisissent un chef, qui prend le titre de maître, et qui, devenu le père de toute la famille, est obligé de veiller à tout ce qui la concerne. Tous travaillent en commun à la chose publique ; logés et nourris ensemble, habillés et entretenus de la même manière et aux dépens du revenu général, ils ne sont plus, en quelque sorte, que les enfants de la maison. Ce maître, en qualité de chef, perçoit l’argent, vend et achète, ordonne les réparations, dispense à chacun son travail, règle tout ce qui concerne les moissons, la vendange, les troupeaux ; en un mot, il est là ce qu’est un père dans sa famille. Mais ce père diffère des autres, en ce que n’ayant qu’une autorité de dépôt et de confiance, il en est responsable à ceux dont il la tient, et qu’il peut la perdre de même qu’il l’a reçue. S’il abuse de sa place, s’il administre mal, la communauté s’assemble de nouveau, on le juge, on le dépose : et il y a eu des exemples de cette justice sévère.
Les détails intérieurs de la maison sont confiés à une femme. Le département de celle-ci est la basse-cour, la cuisine, le linge, les habillements, etc. : elle porte le titre de maîtresse. Elle commande aux femmes, comme le maître commande aux hommes, Ainsi que lui, on la choisit à la pluralité des suffrages, et ainsi que lui on peut la déposer. Le maître, comme son titre l’annonce, a l’inspection générale et jouit du droit de conseil et de réprimande. Partout, il occupe la place d’honneur. S’il marie son fils, la communauté donne une fête à laquelle sont invitées les communautés voisines ; mais ce fils n’est, comme les autres, qu’un membre de la république, il ne jouit d'aucun privilège particulier, et quand son père meurt, il ne succède point à sa dignité, à moins qu’on ne l’en trouve digne et qu’il ne mérite d’être élu à son tour. Une autre loi fondamentale, observée avec la plus grande rigueur, parce que d'elle dépend la conservation de la société, est celle qui regarde les biens. Jamais dans aucun cas, ils ne sont partagés : tout reste en masse ; personne n’hérite, et, ni par mariage, ni par ressort, rien ne se divise. Une Guittard sort-elle de Pinon pour se marier, on lui donne six cents livres en argent ; mais elle renonce à tout, et ainsi le patrimoine subsiste en entier comme auparavant. Il en serait de même pour les garçons, si quelqu’un d’eux allait s’établir ailleurs.
Ces cultivateurs, respectables par leurs mœurs et par leur vie laborieuse, font encore dans le lieu de leur séjour des charités immenses. Jamais pauvre ne se présente chez eux sans y être reçu, jamais il n'en sort sans avoir été nourri. S’il veut passer la nuit, il trouve à coucher ; il y a même dans chaque ferme une chambre particulière destinée à cet usage. En hiver, on pousse l'humanité plus loin encore : les pauvres alors sont logés dans le fournil, et, en les nourrissant, on leur procure de plus une sorte de chauffoir qui les garantit du froid..
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Ci-dessous, article extrait du Guide pitoresque du voyageur en France, 1838
THIERS. Ville ancienne. Chef-lieu de sous-préfecture. Tribunaux de première instance et de commerce» Chambre consultative des manufactures. Conseil de prud'hommes. Collège communal.
Population, 9,836 habitants.
Thiers doit son origine à un ancien château qui existait dans les premiers temps de la monarchie, et que Grégoire de Tours désigne sous le nom de Castrum Thigernum. Thierry brûla ce château et les maisons qui y étaient contiguës, en 532. Quelque temps après, vers l'an 580, Avitus Ier, évêque de Clermont, y fonda une église qu'il dédia à saint Genest. Le château fut pris en 1210, par Guichard, sire de Beaujeu et de Montpensier.
Cette ville est dans une situation pittoresque, sur la croupe et le penchant d'une montagne qui domine au loin toute la contrée, et que l'on aperçoit distinctement de Clermont, qui en est à plus de neuf lieues. Elle est généralement bien bâtie, et l'aspect en est riant et gracieux, mais les rues en sont étroites, tortueuses et escarpées. Ses environs offrent, d'un côté, des sites curieux et sauvages ; de l’autre, des coteaux couverts de riches vignobles et de vertes prairies. De la partie la plus élevée de la ville, l'œil embrasse dans toute son étendue la fertile Limagne, avec ses villes, ses villages et ses innombrables monticules; tandis que, dans le lointain, on aperçoit les montagnes majestueuses qui, de toutes parts, hérissent l'Auvergne et la couvrent en grande partie. Au pied du rocher à pic, sur lequel une partie de la ville est bâtie, la rivière, la Durole, roule avec fracas ses eaux resserrées dans une gorge étroite, fait mouvoir plusieurs forges et papeteries, et se réunit à la Dore un peu au-dessous de Thiers.
L'église Saint-Jean, un peu écartée de la ville, et qui est bâtie sur un plateau élevé au-dessus du cours de la Durole, est remarquable par son site pittoresque; près de là, on peut voir la gorge du Trou-d'enfer et les cascatelles de Thiers, tout aussi dignes des pinceaux des artistes que celles de Terni (ville italienne, célèbre par ses cascades).
Fabriques considérables de coutellerie et de grosse quincaillerie; de draps, broderies, fils à coudre, gainerie, tabletterie, ouvrages en cuir bouilli, rubans, cartons, cartes à jouer. Nombreuses papeteries dont la produits sont très estimés ; tanneries. Commerce de basalte, porphyre, meules à moulins, faïence, poterie, cuirs, papiers, quincaillerie et coutellerie d'un prix modique.
A 9 lieues et demi de Clermont, 95 lieues de Paris. Hôtel de la Poste.
Environs de Thiers,
Gravure de Rauch, vers 1835
Voir aussi la carte et la description du département du Puy-de-Dôme en 1883
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