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La Rochelle vers 1830, gravure de Duplat
extraite de La France maritime - Amédée Gréhan - 1837 à 1842
(collection personnelle).
Texte extrait du Dictionnaire de toutes les communes de France - éd. 1851 - Augustin Girault de Saint Fargeau
La Rochelle, Santonum Portus, Rupetta, grande, belle et forte ville maritime, chef-lieu du département de la Charente-Inférieure (Aunis), du 1er arrondissement et de 2 cantons. Tribunal de lère instance et de commerce (cour d’assises à Saintes), Académie royale des belles-lettres, sciences et arts. Société d’agriculture. École de navigation de 3e classe. Hôtel des monnaies (lettre H). Collège communal. Direction des douanes. Consulats étrangers. Evêché. 3 cures. Gîte d’étape. Bureau de poste. Relais de poste. Population 10,559 habitants. Terrain jurassique, étage moyen du système oolitique. — Établissement de la marée, 3 heures 20 minutes. — Feu de port fixe de 14 m de hauteur et de 12 km de portée. Autrefois évêché et port de mer, parlement de Paris, chef-lieu d’intendance et élection, gouvernement particulier, prévôté générale de maréchaussée, bureau des finances, bailliage, présidial, hôtel des monnaies, amirauté, chambre de commerce, justice consulaire, collège, séminaire, 6 couvents.
Histoire brève de la Rochelle La ville de la Rochelle doit son origine à un ancien château fort nomme Vauclair, construit dans le but d’opposer quelque résistance aux Normands. Châtelaillon, situé à 4 km de là, ayant été ruiné, les habitants vinrent s’établir aux environs du château de Vauclair, et y construisirent plusieurs maisons, dont lé nombre s’accrut insensiblement. Un petit fort appelé Rocca, qui y fut construit sur un rocher, donna à ce nouvel établissement le nom de la Rochelle, que la sûreté de son port rendit dans la suite une des places les plus importantes de la côte. Guillaume IX, comte de Poitou, enleva cette place aux comtes de Mauléon et de Rochefort. Ce prince entoura la ville de murailles, et la légua en 1137, à sa fille Eléonore, qui épousa Louis VII, roi de France. Après la mort de Guillaume, les comtes de Mauléon et de Rochefort reprirent la Rochelle. La princesse Eléonore, répudiée par le roi de France et devenue reine d’Angleterre, conserva les vastes Etats qui formaient sa dot ; elle fit en outre l’acquisition de la Rochelle, qu’elle avait possédée, et augmenta les privilèges des habitants. Par cette possession, Henri II, roi d’Angleterre, devint souverain de cette partie de la France, qui resta sous la domination anglaise jusqu’en 1224, époque où Louis VIII, sur le refus que fit Henri III de lui rendre foi et hommage, assiégea et prit la Rochelle, qu’il promit de n’aliéner jamais. La perte de la bataille de Crécy mit en péril la Rochelle, dont les habitants résistèrent avec courage aux attaques des Anglais. En 1360, cette ville fut cédée à l’Angleterre avec trois millions d’écus d’or pour la rançon du roi Jean, fait prisonnier à la bataille de Poitiers. Pendant la domination anglaise, la Rochelle reçut de celte nation des privilèges nombreux qui accrurent son industrie, augmentèrent sa population, et jetèrent dans son sein les premiers germes de l’esprit de liberté. En 1372, cette ville se rendit aux Français. Les Rochellois, après avoir stipulé la confirmation de toutes leurs libertés et la destruction du château, reçurent alors du Guesclin dans leurs murs, mais avec deux cents hommes seulement. La Rochelle eut un sort assez tranquille jusqu’au temps où les nouvelles opinions religieuses s’y introduisirent. Enrichie par le commerce, peuplée de citoyens libres et énergiques, les vices du clergé y provoquèrent promptement la réforme, qui en peu de temps fit de grands progrès. En 1568, F. Pontard de Treuilcharais, qui avait adopté les opinions de la nouvelle secte, fut élu maire ; il parvint à faire embrasser à tous les habitants la cause de la réforme, et livra la ville au prince de Condé, qui en fit la place la plus formidable du parti protestant.
Après cet attentat, les protestants crurent devoir cesser d’obéir à un prince qui assassinait ses sujets, au lieu de les protéger ; ils levèrent l’étendard de là révolte, et se préparèrent à soutenir un long siège. Au mois de novembre 1572, le duc Biron investit la Rochelle, et peu de temps après le duc d’Anjou vint en former le siège. Ce siège fut long et terrible. La ville soutint neuf grands assauts, plus de vingt assauts moins considérables, et près de soixante-dix mines. Les habitants, réduits aux horreurs d’une cruelle famine, se défendirent avec une fermeté héroïque. Enfin, après huit mois d’efforts inutiles, les assiégeants, qui avaient perdu inutilement plus de vingt-cinq mille hommes, conclurent un traité avec les Rochellois, par lequel ceux-ci demeurèrent maîtres absolus de la ville. Sous Louis XIII, l’infraction aux traités, les menées secrètes du capucin Joseph, l’ambition du cardinal de Richelieu, le zèle outré du duc de Rohan, les amours du duc de Buckingham, et son animosité contre le cardinal, causèrent un nouveau siège de cette ville, aussi violent, plus long et plus décisif que le précédent. Ce siège commença le 10 août 1627. Les habitants se déterminèrent à la plus opiniâtre résistance, et élurent Guiton maire de la ville ; ce valeureux capitaine dit aux habitants assemblés, en tenant en main un poignard : « Je serai maire puisque vous le voulez, mais c’est à condition qu’il me sera permis d’enfoncer ce fer dans le sein du premier qui parlera de se rendre ; je consens qu’on en use de même envers moi, dès que je proposerai de capituler, et je demande que ce poignard demeure tout exprès sur la table de la chambre de nos assemblées. » Le roi, le duc d’Orléans, le cardinal de Richelieu, le maréchal Bassompierre et tous les généraux les plus renommés se trouvèrent au camp de la Rochelle. On fit faire autour de la ville une ligne de circonvallation, qui occupait l’espace de 12 km. Aucun secours ne pouvait arriver aux assiégés du côté de terre ; le port seul offrait un abord assez facile aux Anglais, et favorisait l’entrée des vivres et des munitions dans la place. Après six mois d’une résistance héroïque de la part des habitants, sans que l’on parlât de se rendre, le fameux architecte Gabriel Metezeau fut chargé de construire une digue immense pour fermer l’entrée du port. Bientôt, les effets de ce grand ouvrage se manifestèrent, le défaut de vivres et de munitions commença à se faire sentir. En peu de temps, les assiégés furent réduits à ne se nourrir que d’herbes et de coquillages ; chaque jour la famine enlevait un grand nombre de soldats et de citoyens. Douze mille personnes étaient mortes de faim ; la nourriture, les forces manquaient, mais le courage ne manquait pas. Enfin, il ne restait plus aux habitants qu’un souffle de vie, lorsque, le 28 octobre 1628, les Rochellois qui étaient sur les vaisseaux des Anglais et sur ceux de la ville, députèrent dans le même temps pour demander à capituler, après avoir soutenu un siège de quatorze mois et dix-huit jours.
La Rochelle n’était plus qu’une place sans défense, lorsque Louis XIV, qui avait reconnu l’importance de cette ville maritime, fit construire par Vauban, pour la mettre hors d’insulte, de nouvelles fortifications consistant en plusieurs bastions et demi-lunes, avec des chemins couverts. L’entrée du port est défendue par deux tours d’un bel aspect.
Les armes de la Rochelle sont : de gueules à un navire d’argent, les voiles déployées sur des ondes au naturel. — Alias : de gueules au navire aux voiles déployées d’argent, voguant sur des ondes d’azur, les trois mats sommés de fleurs de Iis d’or ; au chef d’azur chargé de trois fleurs de lis d’or. — Alias : de gueules au navire d’or aux voiles déployées d'argent, au chef d’azur chargé de trois fleurs de lis d’or.
Situation de La Rochelle La ville de la Rochelle est dans une situation très avantageuse pour le commerce, sur l’Océan, au fond d’un petit golfe qui lui sert d’avant-port. En face du port, les deux îles de Ré et d’Oléron forment une immense rade, dont l’entrée est le pertuis d’Antioche On voit encore à marée basse les restes de la digue que fit construire Richelieu pour forcer la ville à se rendre : c’est un long empierrement qui s’étend de la pointe de Correille à celle du fort Louis, éloignées entre elles d’environ 1,500 m. Il est interrompu vers le milieu par un faible intervalle laissé pour le passage des vaisseaux. Le port reçoit des navires de quatre à cinq cents tonneaux ; il est sûr, commode, garanti par une jetée qui s’avance considérablement dans la rade, et ne participe point à l’agitation de la mer. Quoiqu’il soit réputé un des meilleurs de l’Europe, on a cru devoir y ajouter dans ces derniers temps un vaste bassin ou arrière-port, où les vaisseaux sont mis en carénage et reçoivent leur chargement, quelle que soit l’élévation des eaux de l’Océan. La ville est généralement bien bâtie, très propre, bien percée, et offre un beau coup d’œil. La plupart des maisons sont supportées par des portiques sous lesquels on marche à couvert, et dont le double rang donne aux rues un caractère de grandeur et de régularité, qui plaît par sa physionomie hollandaise. L’hôtel de ville est un beau bâtiment construit à l’époque de la renaissance : on montre dans l’intérieur la chambre à coucher de Henri IV, et l’escalier d’où le maire Guiton haranguait le peuple et l’encourageait à la résistance pendant le siège.
La porte de l’horloge, ornée de trophées et surmontée d’une flèche, offre une assez belle architecture, qui paraît appartenir au XVIc siècle. La place du Château, dont trois des côtés, garnis d’allées, servent de promenades, est vaste et fort belle. On y jouit d’un coup d’œil magnifique sur l’Océan. Les allées de cette place et celles des remparts forment avec les quais du port de belles promenades intérieures. Hors des murs est la vaste et belle promenade du Mail. Une autre promenade, appelée le Champ-de-Mars et située horis de la porte Dauphine, conduit au village de Lafond, où sont les sources et les réservoirs qui alimentent les fontaines de la Rochelle. On remarque encore à la Rochelle : la bibliothèque publique, renfermant 18,000 volumes ; le superbe établissement de bains de mer, construits à l’instar des bains de Dieppe : le cabinet d’histoire naturelle, le jardin de botanique, la bourse, le Palais de justice, la cathédrale, l’arsenal, les chantiers de construction, etc., etc.
Fabriques de faïence. Verreries. Filatures de coton. Raffineries de sucre. Construction de navires. — Commerce considérable de vins, eaux-de-vie et esprits : bois, fers, sels, denrées coloniales de toute espèce, fromages, beurre, huile, etc. — Armement pour les îles et pour la pêche de la morue. —Foires les 1er janv. (5 jours) et 1er juillet. A 63 k. O.-S.-O. de Niort, 476 k. S.-O. de Paris. Long. occ. 3° 29' 55", lat. 46° 9' 21". L’arrondissement de la Rochelle est composé ! de 7 cantons : Ars, Courçon, la Jarrie, Ma- rans, St-Martin (île de Ré), la Rochelle (E. et O). Foires de 5 jours le 15 mars, 1er juillet et 20 novembre.
Biographie.
Bibliographie.
Histoire détaillée et anecdotique de La Rochelle
La Rochelle, par sa situation au fond d’une anse du golfe de Gascogne, dont l’abord est protégé par les îles de Ré et d’Oléron, qui forment des rades sûres, semble destinée à être une grande ville de commerce maritime. Trois passes y conduisent : le pertuis Breton, le pertuis d’Antioche et la passe de Maumusson. Quelques historiens, entre autres dom Bouquet, voulant lui assigner une origine antique, ont prétendu que c’était le Portus Santonum de Ptolémée, assertion complètement dénuée de preuves. Quant à son origine, il paraît impossible de la rapporter à une date antérieure au IXe siècle : La Rochelle fut fondée, à cette époque, par de pauvres pêcheurs et des serfs fugitifs qui vinrent s’établir au fond du golfe sur une roche à l’abri des envahissements de la mer. La ville doit son nom à cette roche, Rupella, dont on a fait La Rochelle. Sa population demi-sauvage, habitant des huttes creusées dans le roc et couvertes de gazon, s’accrut, dit-on, par l’arrivée d’une colonie de coliberts du Poitou qui s’y fixèrent, afin de se livrer à la pêche et à la navigation. Les Rochelais, exclusivement occupés de leurs intérêts maritimes, restèrent indifférents, pendant de longues années, aux événements qui se passaient autour d’eux. Aussi leur ville ne fit-elle que prospérer durant toute la période des guerres de Henri II Plantagenet et de Richard Cœur-de-Lion. A la mort de ce dernier prince, Éléonore d’Aquitaine, ayant repris la souveraineté directe de ses domaines paternels, confirma par une charte datée de Niort, l’an de grâce 1199, l’établissement de la commune de La Rochelle ; on n’en connaît pas au juste les règlements. D’après les statuts du corps-de-ville, rédigés au moins un siècle plus tard, la commune se composait d’un maire, chef suprême, de vingt-quatre conseillers ou échevins, et de soixante-quinze notables ou pairs ; elle avait droit de juridiction sur tous les habitants de la ville et de la banlieue, hors certains cas graves, réservés aux justices royales et appelés cas royaux. Les expéditions commerciales et maritimes de La Rochelle avaient acquis déjà une grande importance ; elles s’étendaient jusque dans le Levant. Lorsqu’après le meurtre d’Arthur de Bretagne, suivi de la confiscation des domaines de Jean-sans-Terre, Philippe-Auguste envahit le Poitou, pour exécuter la sentence rendue à son profit, les Rochelais attachés au parti du roi Jean, par reconnaissance et par intérêt, refusèrent d’ouvrir leurs portes au roi de France ; ils soutinrent un siège d’une année contre ses hommes d’armes et les contraignirent à se retirer. La Rochelle continua donc d’appartenir à l’Angleterre. C’est là que Jean débarqua et se remit en mer, quand il essaya deux fois de reconquérir ses domaines. Cependant La Rochelle se détachait peu à peu du parti anglais : elle fut attaquée, en 1224, par Louis VIII, qui venait compléter la soumission des rives de la Charente, et l’abandon dans lequel Henri III laissa les habitants acheva de refroidir leurs sympathies pour ce prince. Toutefois la résistance qu’ils opposèrent au roi de France ne fut pas sans gloire. Savary de Mauléon s’était enfermé dans leurs murs, avec trois cents chevaliers et un grand nombre de sergents. Secondé par les bourgeois, il repoussa les assauts de l’ennemi ; mais la place était mal approvisionnée ; Henri, au lieu de faire parvenir des secours aux Rochelais, leur envoya, dit-on, des coffres remplis de pierres. La ville se rendit le 3 août ; le siège avait duré dix-huit jours. Louis VIII, étant entré dans La Rochelle, reçut le serment de fidélité de la commune et confirma ses privilèges : dès lors les habitants se rallièrent franchement à la monarchie française. Ils jouirent ensuite d’une paix qui dura quelques années et ne fut interrompue, en 1224, que par de courtes hostilités auxquelles la victoire de Taillebourg mit bientôt fin. Cette nouvelle période ouvrit pour eux une ère de grande prospérité pendant laquelle leur ville devint l’entrepôt de tout le commerce de l’Aquitaine. Il paraît que les Juifs s’y étaient multipliés, malgré la rigueur des édits ; car, en 1291, l’animadversion publique se souleva contre eux avec tant de force, que le conseil de la commune crut devoir les chasser en masse. Deux ans après, une querelle survenue entre des matelots anglais et des matelots normands ayant rallumé la guerre, les corsaires anglais insultèrent La Rochelle, dont le territoire fut envahi et ravagé. Sous Philippe de Valois et le roi Jean, les Rochelais prirent une part active à toutes les guerres qui eurent lieu entre la France et l’Angleterre. Leur douleur fut grande, lorsqu’ils apprirent que par le traité de Brétigny leur ville avait été cédée à Édouard III. Il fallut un ordre du roi pour les décider à obéir, et encore ne le firent-ils qu’en disant : « Nous serons et obéirons aux Anglais des lèvres, mais les cœurs ne s’en mouvront » (1360). C’est qu’alors les Rochelais étaient devenus Français par le cœur et ne voyaient plus dans les Anglais que des adversaires acharnés. En vain Édouard essaya-t-il de les gagner, en confirmant les anciennes franchises de la commune et en leur accordant plusieurs autres privilèges ; vainement autorisa-t-il les Espagnols, avec lesquels les Rochelais faisaient un grand commerce, à y venir trafiquer librement : toutes ces séductions échouèrent contre l’inébranlable attachement que les Rochelais avaient voué à la France. Ils en donnèrent bientôt la preuve, en demeurant simples spectateurs de la bataille navale qui eut lieu devant La Rochelle entre la flotte anglaise commandée par le comte de Pembroke et la flotte du roi de Castille, Henri de Transtamarre, allié de la France (1376). Leur prétexte, pour refuser toute assistance aux Anglais, fut « qu’ils n’étaient point exercés à combattre sur mer, surtout contre les Espagnols, et qu’ils avaient leur ville à garder. » La lutte dura deux jours ; Pembroke vaincu fut fait prisonnier : grand bonheur pour La Rochelle, car il avait l’ordre d’emmener de l’autre côté du détroit les principaux bourgeois, et de remplacer la population par une colonie anglaise, comme à Calais. Cette même année, le sénéchal du roi d’Angleterre, Jean d’Évreux, étant allé au secours de Poitiers, attaqué par Du Guesclin, laissa la garde du château à un simple écuyer nommé Philippe Mansel : le maire de La Rochelle, Jean Chauldrier, résolut de saisir cette occasion pour chasser les Anglais. Après s’être assuré du concours des plus notables de la bourgeoisie, il invite Mansel à dîner ; pendant le repas on lui apporte une lettre scellée du grand sceau d’Angleterre. Mansel ne savait pas lire, mais le sceau qu’il reconnut très bien lui inspira une entière confiance. Chauldrier feignit d’avoir reçu du roi Édouard une missive qui enjoignait de faire le lendemain une revue de la garnison et des bourgeois. Le lendemain donc, Mansel sort du château avec ses hommes d’armes ; mais à peine a-t-il franchi le pont-levis, que les Rochelais embusqués se précipitent, lui ferment la retraite et le font prisonnier. Du Guesclin était alors à Poitiers ; instruit de cette surprise, il marcha sur La Rochelle. La place pourtant ne lui fut remise que sous trois conditions : le château devait être rasé, la ville incorporée au domaine royal sans pouvoir jamais en être aliénée, et le droit de battre monnaie rendu aux habitants. A ces privilèges Charles V ajouta l’exemption de toute redevance, la promesse de ne lever aucun impôt sans leur consentement, et la prérogative de noblesse conférée au maire ainsi qu’à ses successeurs. Le corps des arbalétriers Rochelais fut rétabli, et les châteaux de Renon et de Rochefort, ainsi que le bailliage de Marennes, ajoutés au ressort du gouvernement de La Rochelle. Malgré leur sincère affection pour la France, les Rochelais jaloux de leur indépendance désiraient, avant tout, conserver leurs franchises et accroître leurs libertés. Ils en obtinrent la confirmation de Charles VI, et se montrèrent au surplus dignes de toutes ces faveurs en repoussant, sous le règne de ce prince, toutes les attaques des Anglais, dans le pays d’Aunis, et en prenant part à toutes les entreprises, soit sur terre, soit sur mer, qui avaient pour but de les chasser du royaume. Le rétablissement de la paix en 1402, permit aux navigateurs de l’Aunis et des autres provinces maritimes d’entreprendre des expéditions lointaines. La plus remarquable fut celle de Jean de Bethencourt, gentilhomme normand ; étant parti cette même année du port de La Rochelle, avec deux navires, il aborda aux îles Canaries et les soumit en partie. Lorsque la bataille d’Azincourt eut replongé la France dans de nouveaux malheurs, on vit les Rochelais se signaler encore par leurs exploits et contribuer à la défense du royaume. Leurs escadres surtout se distinguèrent dans différentes occasions. En 1457, quelques vaisseaux détachés d’une flotte anglaise en station vers l’embouchure de la Loire, se dirigèrent vers La Rochelle, et mouillèrent en rade de La Palisse. Les Rochelais ayant armé sur-le-champ plusieurs navires, vinrent offrir le combat aux Anglais ; la tempête qui dispersa les deux escadres y mit fin. Les Anglais purent s’échapper, mais les Rochelais furent jetés sur les brisants du promontoire de la Repentie et y perdirent leur plus grosse nef. L’engagement pris par Charles V envers les Rochelais de ne jamais aliéner leur ville du domaine de la couronne, fut violé par Louis XI, qui la comprit dans la donation du duché de Guienne et du comté de Saintonge, faite à son frère, Charles de Valois. Celui-ci s’intitula seigneur de La Rochelle, au grand mécontentement et déplaisir des habitants. Il ne fallut pas moins qu’un ordre du roi pour les contraindre à recevoir les commissaires de Charles. Encore ne les reçurent-ils qu’après que ces commissaires eurent pris, au nom du prince, l’engagement de garder les privilèges et les statuts de la commune. Cependant lorsque Louis XI voulut ressaisir l’héritage de son frère mourant, les Rochelais hésitèrent à se soumettre ; le roi fut obligé de révoquer le don qu’il avait fait de leur ville. À son entrée, il prêta, à deux genoux, une main sur un crucifix, l’autre sur les saints Évangiles, le serment de maintenir les franchises municipales ; avant de quitter La Rochelle, il permit, par lettres patentes, aux navigateurs étrangers de venir y trafiquer, même en temps de guerre, avec les marchands, et à ceux-ci de commercer également avec les pays ennemis. La Rochelle demeura en paix sous le règne des deux successeurs de Louis XI. Seulement en 1595, Charles VIII ayant formé le projet de fortifier Brouage et d’y entretenir un certain nombre de vaisseaux, les Rochelais qui craignaient de voir s’élever près d’eux un port rival, s’opposèrent si vivement à ce dessein qu’il fut abandonné. Leur jalousie contre Brouage se montrait déjà, tout en se couvrant du voile de l’intérêt public. Le règne de François Ier était destiné à apporter des modifications considérables dans la constitution de la commune de La Rochelle. Le gouverneur, Chabot de Jarnac, homme d’une nature malveillante, profita de quelques mouvements séditieux provoqués par un impôt communal, pour amener le roi à publier, au mois de janvier 1530, des lettres-patentes qui rendaient l’ancienne mairie perpétuelle, et supprimaient les soixante-quinze pairs, en maintenant seulement les vingt-quatre échevins. Jarnac était nommé maire perpétuel. Le ressentiment des Rochelais fut vif ; il augmenta encore par l’extension de la gabelle aux pays maritimes de l’ouest (1542). Les troubles devinrent même si violents, que le roi envoya des troupes pour les apaiser. La Rochelle ferma ses portes aux troupes royales. Tavannes réussit pourtant à s’introduire dans la ville, dont il désarma les habitants. François Ier arriva bientôt avec une nombreuse cour et un régiment de lansquenets. Il refusa tous les honneurs qu’on voulait lui rendre. Mais au moment de punir, un sentiment de pitié entra dans son cœur, et il fit grâce aux coupables. Henri II supprima la mairie perpétuelle, et rendit à la commune ses anciens privilèges. Satisfaits de ces concessions, les Rochelais ne prirent aucune part au soulèvement populaire de la Saintonge, occasionné par l’impôt vexatoire de la gabelle. Cet impôt ne tarda pas, du reste, à être aboli, par lettres patentes, datées d’Amiens (1549) ; remplacé par l’ancien droit du quart et demi sur le prix du sel, il cessa lui-même d’être perçu, en 1553, moyennant le don qui fut fait au roi d’une somme d’un million cent quatre-vingt-quatorze mille livres. Des événements plus graves allaient bouleverser La Rochelle ; la réforme née en Allemagne s’était propagée jusque sur les bords de l’Océan et sur les rives de la Charente. Elle paraît s’être introduite dans la ville avant l’année 1534, car l’on voit, dès cette époque, une servante Rochelaise, Marie Gaborit, condamnée au bûcher par le sénéchal de Fontenay-le-Comte, pour avoir provoqué à un combat de doctrine un religieux de Saint-François. En 1552, un siège présidial composé de sept conseillers et d’un greffier, fut établi dans la ville. Il avait le droit de juridiction sur tout le pays d’Aunis et le gouvernement de La Rochelle. Les premières rigueurs de ce tribunal tombèrent sur les disciples de Calvin. Peu de temps après son installation, deux bourgeois Rochelais, Pierre Constantin et Mathias Couraud convaincus d’hérésie, furent brûlés vifs devant la grande porte de Notre-Dame, après avoir eu la langue coupée. Un troisième, Lucas Manseau, fut seulement battu de verges et banni du royaume. Le président du présidial, Claude d’Angliers, qui assista à ces exécutions, fut si frappé de la résignation des patients, qu’il embrassa, dit-on, le calvinisme. Tandis que le gouverneur de la ville, Louis d’Estissac, se rendait odieux aux Rochelais par ses manières dures et impérieuses, les Anglais faisaient des préparatifs pour opérer une descente sur les côtes de l’Aunis. Henri II résolut de construire à La Rochelle une citadelle qui devait embrasser une partie du quartier du Pérot, mais d’Estissac mit une rigueur si grande dans l’exécution de ce projet, que la cour, craignant le renouvellement des troubles, fit cesser les travaux. Telle était la situation des esprits (1557), lorsque le ministre Nicher, revenant du Brésil où il avait accompagné Villegagnon, s’arrêta à La Rochelle. Le succès de ses prédications fut considérable. Il établit dans la ville un consistoire composé d’un pasteur et de quatre anciens auxquels furent bientôt adjoints deux diacres, un greffier et un receveur : aussi les partisans des nouvelles doctrines augmentèrent-ils rapidement. Pendant le séjour qu’en 1558 Antoine de Bourbon, roi de Navarre, et sa femme Jeanne d’Albret, firent à La Rochelle, un prêtre apostat de leur suite, nommé David, ne craignit pas de monter en chaire publiquement, sans surplis, et de prêcher pour la première fois les dogmes de Calvin dans l'église de Saint-Barthélemy. On représenta ensuite devant le roi et la reine de Navarre un mystère rempli d’allusions religieuses, qui produisirent une impression beaucoup plus grande encore sur les auditeurs. Charles IX venait de monter sur le trône, et le parti calviniste, intimidé d’abord par la malheureuse issue de la conjuration d’Amboise, commençait à relever la tête. L’édit de janvier 1562, en leur accordant le libre exercice de leur culte, acheva de les rassurer. Les réformateurs Rochelais, devenus plus hardis, sortirent de leur retraite, et redoublèrent de zèle pour les conversions. Parmi les nouveaux prosélytes se trouvait le baron de Jarnac, gouverneur de l’Aunis. Pendant quelque temps les deux cultes se partagèrent les églises de Saint-Barthélemy et de Saint-Sauveur. Cette innovation et cet accord durèrent peu. Le massacre de Vassy irrita les protestants, que Jarnac et le maire, tout calvinistes qu’ils étaient, avaient beaucoup de peine à contenir. Ils rétablirent l’exercice de leur religion dans l’enceinte de la ville, et, le 1er mai 1562, célébrèrent la cène avec beaucoup de pompe dans la place de la Bourserie. Le peuple excité par ce spectacle, se précipita vers l’église Notre-Dame, où il renversa les autels et brisa les images ; la chapelle des Dominicains fut également pillée. Le comte de La Rochefoucauld, l’un des principaux adhérents du prince de Condé, fit une tentative inutile pour se rendre maître de La Rochelle ; le duc de Montpensier, qui commandait au nom du roi, fut plus heureux et s’en empara à l’aide d’une surprise. Une fois maître de la place, le duc y rétablit le culte catholique, et défendit l’exercice du prêche : les ministres étaient bannis, le maire révoqué (13 novembre 1562). On alla même, dit-on, dans un conseil assemblé sous sa présidence, jusqu’à proposer de ruiner la ville afin d’enlever tout asile aux protestants. A peine le duc eut-il quitté La Rochelle, que les calvinistes se plaignirent au roi de ce qu’on les empêchait de jouir du bénéfice de l’édit de janvier. Leurs instances furent si vives, qu’ils obtinrent la liberté de conscience et le retour de leurs ministres, à l’exception d’un seul, Ambroise Faget, le plus ardent et le plus fougueux de tous. Une nouvelle tentative des partisans du prince de Condé, pour se mettre en possession de la ville, échoua par la fermeté du vice-maire, Guillaume Pineau. Mais bientôt les dissensions éclatèrent dans La Rochelle, les esprits étaient divisés en deux grands partis : les politiques voulaient la paix pour le maintien de la confédération et demandaient la plus grande retenue dans tous les cas où l’autorité était intéressée ; au contraire, les zélés, ne s’occupant que des intérêts de la religion, mettaient toujours en avant la liberté courageuse et la force d’âme nécessaire au chrétien. Les troubles qui avaient accompagné l’élection d’un nouveau maire, augmentèrent tellement, à la suite de la déclaration du 4 août 1564, par laquelle étaient considérablement diminués les avantages accordés aux protestants, dans l’édit du 19 mars 1563, que le roi Charles IX résolut de visiter La Rochelle afin de calmer une si dangereuse fermentation. Il existait dans cette ville un usage fort curieux à chaque entrée du souverain : on tendait en travers de la porte un cordon de soie comme pour lui barrer le chemin ; il ne pouvait passer outre qu’après avoir confirmé les privilèges de la commune. Charles refusa de s’y conformer, et le connétable de Montmorency fit sauter le cordon avec son épée. Le séjour du roi ne se prolongea pas, du reste, au delà de quatre jours, et il dédaigna de se mêler à aucune des fêtes qu’on avait préparées pour le recevoir. Les Rochelais, calvinistes par conviction, mais ennemis de toute domination étrangère, prétendaient conserver leur indépendance sans faire à leurs nouvelles sympathies religieuses le sacrifice de leurs vieilles libertés municipales. Fiers de leur position avantageuse sur l’Océan, de l’importance et de l’étendue de leur commerce, ils aspiraient de plus en plus à se créer une existence à part dans l’État, à faire de leur ville une sorte de république. Les événements ne leur permirent pas de conserver cette espèce de neutralité ; la présence du roi n’avait fait que suspendre les dissensions intestines ; elles recommencèrent bientôt, toujours au sujet des élections. Enfin, en 1567, François Pontard, l’un des partisans les plus zélés de la réforme, ayant été nommé maire, résolut de livrer la ville au prince de Condé, chef des protestants. La cour l’y aida par une concession dangereuse. Le roi manquant d’argent pour payer les gens de guerre, accepta l’offre des Rochelais de se garder eux-mêmes. La réussite des desseins de Pontard fut alors assurée. Le 9 janvier 1568 vit éclater une sédition qu’il avait dirigée ; la populace prévenue contre les catholiques se rua sur eux, et le 23 janvier, Sainte-Hermine, seigneur de La Laigne en Aunis, vint prendre possession de La Rochelle en qualité de lieutenant du prince de Condé. A cette nouvelle, la cour chargea Montluc de reprendre la ville. Mal secondé, dépourvu d’argent et d’artillerie, le maréchal ne put réussir dans le projet dont l’exécution lui était confiée. La paix, conclue à Longjumeau le 23 mars, arrêta les hostilités et rétablit pour un instant l’autorité royale à La Rochelle. Le gouverneur Jarnac, rentré dans la ville, en chassa Pontard et Sainte-Hermine. Mais un nouveau maire, Jean Salbert, fut élu et sa nomination ratifiée par le roi, malgré les efforts de Jarnac. Les expéditions maritimes, suspendues pendant la guerre, reprirent leur essor avec la paix. Une d’entre elles mérite d’être citée. Les Espagnols, maîtres de la Floride, avaient exercé les plus affreuses cruautés contre une colonie de Français protestants qui s’y étaient établis. Un gentilhomme gascon, Dominique de Gourgues, forma le projet de venger ses compatriotes. Il vend son patrimoine, équipe dans le port de La Rochelle trois navires sur lesquels il fait embarquer deux cents soldats d’élite et environ quatre-vingts matelots. Avec ces faibles forces cet intrépide capitaine descend sur les côtes de la Floride, surprend les Espagnols, les disperse ou les massacre ; puis, attachant leurs cadavres aux mêmes arbres auxquels ils avaient pendu les Français, met cette laconique inscription au-dessus de leurs têtes : Je ne fais ceci ni comme Espagnols, mais comme traîtres, voleurs et meurtriers. Dominique de Gourgues revint ensuite à La Rochelle, où il fut reçu avec des transports d’enthousiasme par les habitants (1568). Le conseil de La Rochelle se constituait de plus en plus en état de rébellion. Il refusait de reconnaître l’autorité du gouverneur Chabot de Jarnac, de rétablir dans leurs charges les officiers royaux déportés par Pontard et Sainte-Hermine, et enfin il s’emparait des deniers de la couronne pour construire des forts et des vaisseaux. La cour, qui attachait beaucoup d’importance à l’occupation de cette place dont le port permettait aux protestants de recevoir des renforts de l’étranger, ordonna au maréchal de Vieilleville d’y mettre garnison. Les Rochelais invoquèrent leur vieux privilège de se garder seuls, et négocièrent avec le maréchal, auquel ils ne voulurent point ouvrir leurs portes. Lorsque de nouvelles hostilités devinrent inévitables, le prince de Condé et l’amiral de Coligny choisirent La Rochelle pour en faire leur principale place d’armes. Ils s’y rendirent ainsi que la reine de Navarre, Jeanne d’Albret, qui y vint accompagnée de son fils Henri (1568). Les Rochelais, malgré de vives résistances dans le conseil, se décidèrent à la guerre. On fit des amas d’armes considérables, on répara les fortifications, on équipa une escadre composée de neuf vaisseaux et de quelques bâtiments légers. Le prince de Condé conclut un traité avec Élisabeth, reine d’Angleterre, qui lui envoya des secours en argent, en artillerie et en munitions de guerre. Les bandes Rochelaises se répandirent dans les campagnes, rasant les monastères, mettant tout à feu et à sang. Cette ardeur fut un peu amortie par la perte de la bataille de Jarnac, et la mort du prince de Condé (1569) ; mais La Rochelle n’en demeura pas moins le centre de la ligue protestante. La reine de Navarre y résidait et échauffait tous les esprits. Après la bataille de Moncontour, les royalistes, profitant de leurs avantages, attaquèrent la ville, qui se trouvait resserrée de toutes parts : Lanoue la délivra par un hardi coup de main (1570). Cependant la flotte Rochelaise continuait ses expéditions ; elle faisait une descente heureuse dans l’île d’Oléron, puis, donnant la chasse aux galères du baron de La Garde, elle le forçait de se réfugier dans la Gironde. Après cet exploit, l’escadre vint bloquer la ville de Brouage, qui, déjà assiégée par terre, se rendit au bout de huit jours (1570). Les succès des protestants provoquèrent, cette même année, la publication de l’édit de pacification daté de Saint-Germain-en-Laye et enregistré au parlement le 10 août. La cour leur accorda quatre villes de sûreté : La Rochelle, Cognac, La Charité et Montauban. On célébra la paix à La Rochelle avec une grande pompe. La reine de Navarre y tenait alors une brillante cour : autour d’elle se groupaient les principaux chefs des protestants, toujours en garde contre la trahison et toujours prêts à tirer l’épée. Au mois d’avril 1571, les réformés tinrent à La Rochelle, avec la permission du roi, un synode national auquel assistèrent l’amiral de Coligny, Jeanne d’Albret, Henri de Navarre et son cousin Henri de Condé, fils de l’illustre prince de ce nom qui avait été tué à Jarnac. Ce synode fut présidé par Théodore de Rèze. Vers le même temps, l’amiral de Coligny se maria à La Rochelle avec Jacqueline d’Entremont, tandis que sa fille, Louise de Châtillon, y épousait le sire de Téligny. Ce fut aussi de cette ville que, vaincu par les instances du roi, l’amiral se décida enfin à partir pour Paris où il devait être enveloppé, avec son gendre Téligny, dans le massacre des protestants. Les Rochelais s’étaient toujours tenus sur leurs gardes ; leur défiance était excitée par les préparatifs de la cour qui réunissait à Brouage des forces considérables sous les ordres du baron de La Garde et de Strozzi. Ce dernier avait reçu un paquet cacheté, avec l’ordre formel de ne l’ouvrir que le vingt-quatrième, jour d’août. « Je vous advertis, lui disait la reine, que ce jourduy, 24 août, l’admirai et tous les huguenots qui estoyent icy avec luy ont été tués (1572). Partant advisez diligemment à vous rendre maître de La Rochelle, et faites aux huguenots qui vous tomberont en mains, le même que nous avons fait à ceux-cy. » Mais La Rochelle veillait à sa propre conservation : le 1er septembre on commença à faire le dénombrement des habitants, qui furent partagés en huit compagnies, sans compter la colonelle, composée des personnes les plus distinguées et des membres du Conseil de ville. On forma aussi une compagnie de cavalerie, destinée à battre la campagne et à favoriser l’entrée des convois. On leva en outre huit compagnies d’infanterie, auxquelles se joignirent deux cents volontaires. Enfin, on s’occupa d’approvisionner la place, dans la prévision d’un siège. Bientôt on vit arriver, de toutes les parties de la France, les fugitifs de la Saint-Barthélemy ; des députés de la cour et du maréchal de Biron, gouverneur de l’Aunis, se rendirent sur ces entrefaites à La Rochelle. Le roi, craignant l’explosion des craintes des Rochelais, les exhortait à écouter la voix du devoir. Les Rochelais, d’un autre côté, suppliaient le roi de leur laisser le libre exercice de leur religion et d’étendre cette faveur à tout le royaume : ils se refusaient, disaient-ils, à faire remonter au roi la responsabilité de la lâche entreprise et barbare exécution dont l’antiquité n'avait jamais oui la pareille et dont la postérité ne pourrait ouïr parler qu’avec horreur. Biron s’avançait toujours vers La Rochelle, tout en protestant de ses intentions pacifiques, mais avec l’intention bien arrêtée de s’en rendre maître. Une députation lui fut envoyée ; on ne pouvait, disait-on, le recevoir, s’il ne faisait retirer la flotte de Brouage et s’il ne renvoyait les soldats qui venaient journellement insulter les portes. On protestait d’ailleurs d’une fidélité inviolable au roi. Le baron de La Garde surtout était l’objet de l’animadversion publique. Ces négociations, auxquelles Lanoue prit une part active en se portant intermédiaire entre le roi et la ville, durèrent jusqu’au mois de décembre 1572 ; on n’en poussait pas moins activement les travaux des fortifications. Déjà quelques actes d’hostilités avaient éclaté au milieu de ces pourparlers. D’un côté les royalistes arrêtaient les navires destinés pour La Rochelle, de l’autre les Rochelais tendaient à s’emparer de l’île de Ré ; ils échouèrent, mais ils surprirent une galère montée par le comte de Fiesque. Les offres d’accommodement étant définitivement repoussées de part et d’autre, Biron fit avancer des troupes et le siège commença. Ce ne fut d’abord qu’un simple blocus, les assiégeants n’ayant pas des forces suffisantes. La ville fut investie par mer aussi bien que par terre. Pour fermer les passages, on construisit deux forts à l’entrée du chenal, puis on établit une redoute à Chef de Baie, dans le but de foudroyer les vaisseaux ennemis qui rangeraient la moitié de la côte. On coula à moitié, en face de l’ouverture du port, un gros bâtiment démâté qui devait servir de citadelle flottante. Une tentative des assiégés pour brûler ce navire échoua. Le duc d’Anjou, qui venait prendre le commandement du siège, arriva au camp, le 12 février 1573, avec de nouvelles troupes. Lanoue avait été nommé commandant en chef des forces Rochelaises, et le comte de Montgomery, envoyé en Angleterre pour demander des secours à la reine Élisabeth ; deux nouveaux députés furent expédiés pour presser l’arrivée de ces secours. La présence du duc d’Anjou, qui jouissait alors d’une grande réputation militaire, alarma les assiégés. A la prière de Lanoue, des négociations furent entamées, puis rompues. On reprit les armes. Les assauts et les combats furent nombreux ; c’était l’acharnement de la haine et la fureur de la vengeance. Le duc d’Aumale, encore couvert du sang de la Saint-Barthélemy, fut tué à l’une des attaques. Les troupes du duc d’Anjou n’étaient pas, du reste, assez considérables pour une semblable entreprise ; il avait en outre, dans son camp, le roi de Navarre, le prince de Condé, le vicomte de Turenne et plus de quatre cents princes et gentilshommes convertis, dont la coopération ne pouvait être sincère. L’armée royale était d’ailleurs découragée par la résistance héroïque contre laquelle tous ses efforts venaient successivement se briser. En vain ramenait-il ses soldats à l’assaut, secondé par la valeur intrépide des ducs de Guise et de Lorraine et du bâtard d’Angoulême ; en vain le roi de Navarre et le prince de Condé, entraînés par cet exemple, se mêlaient-ils aux assiégeants : ceux-ci, succombant de lassitude et de découragement, ne pouvaient jamais atteindre le haut du boulevard sur lequel les Rochelais les attendaient, au milieu d’un amas de ruines, avec une résolution sans égale. Les femmes elles-mêmes, en très grand nombre, combattaient vaillamment sur les brèches, « armées des haches et des hallebardes de leurs maris morts ou blessés. » Pendant une de ces attaques, qui ne dura pas moins de cinq heures, l’artillerie du duc tira huit cents coups de canon contre la place. Souvent l’explosion des mines faisait trembler le sol et crouler les remparts ; mais jamais elle n’ébranlait le courage des Rochelais, toujours prêts à faire face à tous leurs ennemis et à tous les dangers. Malheureusement, la ville, triomphante au dehors était loin d’être à l’intérieur dans une situation satisfaisante : des intrigues, des jalousies, et surtout les continuelles déclamations des ministres contre la modération de Lanoue, avaient forcé ce grand capitaine à quitter son commandement et à se retirer de La Rochelle. La famine commençait à se faire sentir. Montgomery, après de longs délais, était parvenu à équiper avec les seules ressources des huguenots réfugiés en Angleterre, une flotte de cinquante-trois vaisseaux dont quarante armés en guerre. Il parut en vue du port, le 17 avril ; trop faible pour lutter contre l’escadre royale et abandonné par le gros de son armée, il fut forcé de se retirer, en quittant son propre vaisseau qui coulait bas ; cette retraite désespéra les assiégés, dont le feu se ralentit par suite du manque de munitions. Cinq vaisseaux, expédiés d’Angleterre par Montgomery, ne purent entrer à La Rochelle. Un pilote, nommé Arnauld du Halde, fut plus heureux ; il se glissa dans le port en trompant la surveillance des catholiques avec une barque de trente-cinq tonneaux chargée de poudre. Ce fut pendant ce siège que le duc d’Anjou reçut la nouvelle de son élection au trône de Pologne. Honteux de son peu de succès, excité par sa nouvelle dignité, il voulait tenter de nouveaux efforts, lorsqu’une capitulation vint le tirer d’embarras. On avait offert aux protestants la liberté de conscience avec l’exercice public de leur culte dans les trois villes de La Rochelle, Nîmes et Montauban. Cette capitulation, signée par le duc, reçut, peu de temps après, la sanction royale. Les seigneurs catholiques se montrèrent tous impatients de voir la ville qui s'était signalée par une défense si héroïque ; le duc d’Anjou et les ambassadeurs polonais voulurent aussi la visiter. Le siège, commencé au mois de décembre 1572, s’était prolongé jusqu’au 27 juin 1573. Il avait coûté au roi des sommes énormes, et la moitié de son armée y avait péri. Vingt-deux mille soldats et plus de soixante capitaines, parmi lesquels on citait le duc d’Aumale, le marquis de Pompadour, Clermont-Tallard, Causseins, Scipion-Vergano et les deux Goas, avaient été tués du côté des assiégeants. On n’avait pas tiré moins de trente-quatre mille coups de canon contre la place. Le traité de La Rochelle n’était au fond qu’un leurre ; la cour n’en poursuivit pas moins sourdement son projet de se rendre maîtresse de la place. Un complot, connu sous le nom du Cœur navré, fut tramé dans ce but par Catherine de Médicis ; il échoua, et donna lieu à de sanglantes exécutions. Lanoue revint alors à La Rochelle, mais cette fois avec des pensées de guerre ; il avait acquis la conviction que les protestants ne pouvaient plus se fier au parti qui dominait dans les conseils du roi. Le brave capitaine n’eut pas de peine à entraîner les Rochelais ; à son instigation, ils rentrèrent dans la coalition des villes protestantes (1574). Lanoue fut nommé généralissime. On releva les fortifications, et les hostilités commencèrent sur mer, par la capture des deux navires d’un pirate italien, ennemi personnel des huguenots. Catherine de Médicis ne se tint pas pour battue. Elle envoya à la Rochelle une des plus belles femmes de la cour, Jeanne d’Anglure, dame de Bonneval, avec la mission secrète de séduire Lanoue. Tout fut inutile ; Lanoue était inébranlable. Il fit fortifier Brouage, l’île de Ré et l’île d’Oléron ; et l’on équipa une flotte avec tant de célérité, qu’en moins de cinq semaines soixante-dix navires étaient en état de prendre la mer. Le duc de Montpensier s’avançait pour combattre les protestants, lorsque la nouvelle de la mort du roi suspendit les hostilités. On conclut une trêve. Un second complot, à la tête duquel était le maire, Guillaume Térier, avait été ourdi dans le but de livrer les portes de la ville aux catholiques. Ce complot fut découvert. Lanoue revint en toute hâte à La Rochelle, et la guerre continua au milieu de négociations sans résultats. L’île de Ré ayant été prise par un lieutenant du comte du Lude, gouverneur du Poitou, les Rochelais parvinrent à la ressaisir (1575). Un cinquième traité de paix, connu sous le nom de paix de Monsieur, fut signé peu après à Chatenay en Gâtinais. L’exercice du culte réformé fut rétabli dans tout le royaume, et la mémoire de Coligny réhabilitée. On publia la paix à La Rochelle sur la place du château, en présence du peuple, « trompettes et tambours sonnants, avec feu de joie, artillerie tirée, escopetterie de l’infanterie, et très grande allégresse. » Le roi de Navarre, qui s’était échappé de Paris, voulut être reçu dans cette ville, mais les Rochelais, jaloux de leur indépendance, et craignant pour leurs libertés, étaient peu pressés d’accueillir un pareil hôte. Ils lui ouvrirent cependant leurs portes. Ce prince fit son entrée à La Rochelle le 28 juin 1576 ; toute la population était sous les armes, moins pour lui rendre honneur que pour prévenir les tentatives des gentilshommes de sa suite. Henri y abjura de nouveau la religion catholique. Le prince de Condé se présenta aussi devant les pont-levis de la place. On balança longtemps à les abaisser devant lui. Fatigué de ces délibérations sans fin, et trop impatient pour en attendre le résultat, le prince débarqua dans le port, et se rendant à l’échevinage où était réuni le conseil de la commune, il se plaignit amèrement de ces défiances. Il accusa même le maire et plusieurs citoyens d’être les agents secrets de la Ligue. Ce discours produisit une si mauvaise impression qu’après un court séjour dans la ville, Condé se retira à Saint-Jean-d’Angely. Ni ses exhortations ni celles du roi de Navarre ne purent pousser les Rochelais à la guerre, quoique les Ligueurs eussent de nouveau compromis la paix par quelques actes d’agression. Lanoue survint, et sa présence, sa voix, sa résolution héroïque, entraînèrent tous les esprits. Les Rochelais, en reprenant les armes, stipulèrent que les privilèges et les immunités de leur commune seraient inviolables et que le conseil particulier, chargé du gouvernement de La Rochelle et de sa banlieue, ne pourrait être composé que de citoyens de la ville (1577). Le duc de Mayenne, maître des deux rives de la Charente et des châteaux de Rochefort et de Marans, s’avança sur La Rochelle où régnait la plus grande confusion. Cependant il se retira bientôt en Poitou avec son armée, soit qu’il eût été rebuté par la résistance désespérée du petit village de la Fond, soit qu’il eût été arrêté par l’ouverture des conférences de Bergerac. À peine délivrée de cette crainte, La Rochelle fut menacée d’un autre danger : l’escadre royale, forte de seize vaisseaux, sortit de Bordeaux sous les ordres de Lansac, et parut dans le pertuis d’Antioche. À cette vue, tout le monde voulut s’embarquer pour concourir à la défense de la patrie. Le soir même, l’amiral Rochelais, Clermont d’Amboise, sans attendre le reste de ses forces, s’avança à Chef de Baie avec six vaisseaux. Le prince de Condé et le maire, Pierre Bobineau, employèrent toute la nuit à embarquer de l’artillerie et des munitions, et le lendemain quatorze vaisseaux bien armés se déployèrent à Chef de Baie, montés par seize cents soldats d’élite et par cent gentilshommes. Lansac, qui voulait tenter un coup de main sur l’île de Ré, n’ayant pas réussi, se retira sans accepter le combat. Le principal événement de la guerre fut le siège de Brouage par le duc de Mayenne. L’escadre Rochelaise ravitailla plusieurs fois la place, sans pouvoir en prévenir la capitulation (16 août 1577). Peu de temps après, la paix fut signée à Poitiers, le 20 septembre. Elle ne dura pas longtemps. Les Rochelais furent rejetés dans de nouvelles hostilités ; mais, fidèles à la ligne de conduite qu’ils s’étaient tracée, ils s’appliquèrent surtout à demeurer indépendants. Ils avaient formé un autre dessein dans l’intérêt de leur prééminence maritime et commerciale. Le port de Brouage, ce boulevard de la Ligue en Saintonge, ce refuge habituel de ses vaisseaux, excitait depuis longtemps leur jalousie. Ils résolurent de le ruiner, afin de « rappeler à leur port, qui n’était que de barre, les navires qui cherchaient Brouage, alors estimé le second havre de France. » Après plusieurs tentatives inutiles pour s’emparer de la ville, les Rochelais réussirent en 1586, malgré la résistance du gouverneur de Saint-Luc, à couler dans l’endroit le plus resserré du golfe, vingt bâtiments remplis de sable et de caillou. Les États Généraux du royaume ayant été convoqués à Blois en 1588, le roi de Navarre réunit à La Rochelle une assemblée générale des églises réformées. Cette assemblée, qui tint ses séances pendant un mois entier, adressa au roi Henri III une remontrance et requête très humble, au nom des Français exilés pour la religion. Après la mort de Henri III, La Rochelle devint le plus ferme appui du Béarnais. Une escadre Rochelaise aida le maréchal de Matignon à faire le siège de Blaye. Mais la nouvelle de l'abjuration de ce prince excita de profonds regrets parmi les Rochelais. Henri IV eut beaucoup de peine à leur faire accepter l’Édit de Nantes. Il fallut de longues négociations pour obtenir leur adhésion ; le roi écrivit lui-même aux ministres Dumont, Lhoumeau et Merlin (7 mars 1599). Ce ne fut toutefois que le 3 août suivant, que l’édit fut publié à La Rochelle. On rendit l’église de Sainte-Marguerite au culte catholique, non sans une violente opposition de la part de la multitude. Il était facile de voir que la paix n’avait point amorti le vieil esprit républicain des Rochelais. Bientôt on en eut une nouvelle preuve. Lorsqu’on 1602, Henri IV établit l’impôt d’un sou par livre sur toutes les denrées consommées dans les villes et bourgs, la fermentation fut si grande à La Rochelle, que le roi fut obligé d’y envoyer Sully et de retirer son édit. La mort de Henri IV remit tout en question. Il y eut, en 1612, à La Rochelle, une assemblée de toutes les villes protestantes des provinces voisines. Cette assemblée, que la régente Marie de Médicis essaya en vain de dissoudre, décida, malgré les efforts de Rohan, qu’on devait se contenter de la déclaration du roi portant l’oubli du passé et la confirmation de l’Édit de Nantes. Cette sage résolution dura peu. Effrayés du mariage du roi avec une princesse espagnole, les Rochelais consentirent à seconder les projets du prince de Condé, alors en guerre avec la cour. Mais toujours jaloux de leurs vieilles libertés, ils ne s’engagèrent qu’à la condition qu’elles seraient respectées par le prince. La paix fut conclue peu de temps après à Loudun (10 février 1616). Les Rochelais se prirent de querelle avec le duc d’Épernon, gouverneur de l’Aunis, qui s’opposait à ce qu’ils missent garnison dans le château de Rochefort et dans quelques autres places voisines. On en vint aux armes, et il fallut l’intervention de la cour pour faire cesser ce différend. Du reste, les protestants étaient toujours inquiets et toujours agités. Une assemblée extraordinaire des églises réformées fut de nouveau convoquée à La Rochelle, pour le 26 novembre 1620. Le roi fit défense à cette assemblée de se réunir : on n’en tint aucun compte. A présent que votre charge est remplie, vous partirez quand il vous plaira, dit le maire à l’exempt chargé de lui notifier cette défense. L’assemblée ne se borna pas à usurper, en quelque sorte, par ses résolutions téméraires, les prérogatives du pouvoir souverain ; elle publia une espèce de constitution dans laquelle il n’était nullement question du roi (1621). Louis XIII, irrité, se dirigea vers l’Aunis avec une armée. La Rochelle ne tarda pas à se trouver bloquée par le duc d’Épernon, tandis que l’escadre du duc de Guise, gouverneur de Provence, l’attaquait du côté de la mer. Les Rochelais donnèrent le commandement de leur flotte à Guiton, un de leurs meilleurs marins. Plusieurs rencontres eurent lieu entre les deux escadres. Dans l’une d’elles, le duc de Guise, assailli par deux brûlots, faillit périr. Toutefois, la position de la capitale de l’Aunis devenait chaque jour plus critique : Saint-Jean d’Angely, qu’on appelait le boulevard de La Rochelle, avait été pris par le roi ; on élevait le Fort-Louis, forteresse redoutable entre le port et Chef de Baie ; et la flotte Rochelaise, malgré l’habileté de Guiton, s’était retirée devant l’armée navale du duc de Guise. Bref, le dernier rempart du protestantisme était serré de très près, lorsque des considérations d’un ordre général déterminèrent la cour à signer la paix de Montpellier (1622). Ni les républicains de La Rochelle, ni le gouvernement du roi, ne pouvaient vivre longtemps en bonne harmonie. Quoique la cour, par le traité de Montpellier, se fût engagée à raser le Fort-Louis, elle continua d’occuper ce poste menaçant, malgré les vives réclamations des Rochelais. Le temps était venu où le généreux esprit de liberté et de résistance de ce peuple allait se briser contre un génie d’une puissance irrésistible. Le ministre cardinal de Richelieu, qui voulait constituer l’unité monarchique et territoriale de la France, ne pouvait s’arranger du partage de la souveraineté avec une république de marchands. Les désastres de la guerre de 1625 préparèrent la ruine de La Rochelle. Sa flotte, commandée par Guiton, soutint un combat désespéré à Chef de Raie, contre les escadres de la France et de la Hollande, réunies sous les ordres du duc de Montmorency. Elle y fut presque entièrement détruite (15 et 16 septembre). Les îles d’Oléron et de Ré ne tardèrent pas à tomber au pouvoir du roi, et les Rochelais furent contraints d’accepter les dures conditions du traité de Paris. Ils se résignèrent à rester, en quelque sorte, sous le canon du Fort-Louis, à raser le Fort-Taston, récemment construit, à supprimer le conseil des quarante-huit, à recevoir un commissaire du roi dans leur ville, et à n’avoir plus de vaisseaux armés en guerre (5 février 1526). Les Rochelais ressaisirent les armes l’année suivante, comptant sur l’appui de l’Angleterre. A peine Buckingham eut-il entrepris le siège de l’île de Ré, qu’ils se hâtèrent de lui fournir des vivres ; c’était une grande faute, et Richelieu en profita avec sa décision ordinaire. Il rassembla des troupes et des navires pour aller au secours des points attaqués, et accomplir enfin ses projets sur La Rochelle. Le siège de la ville commença au mois d’août 1627, et le roi arriva au camp le 12 octobre. Les premières opérations furent dirigées dans le but de dégager l’île de Ré, courageusement défendue par le gouverneur Toiras ; on y parvint, et au mois de novembre, Buckingham, désespérant de s’emparer de la citadelle de Saint-Martin qui venait d’être ravitaillée, ramena la flotte en Angleterre. Il avait perdu, dans cette entreprise, six mille huit cents hommes, la presque totalité de sa petite armée.
Richelieu fut libre de tourner tous ses efforts vers la soumission des Rochelais. Il s’était logé dans une maison isolée, au pont de la Pierre, sur le rivage de la mer ; Louis XIII avait établi son quartier général au bourg d’Aytré. Les forces de l’armée royale se trouvèrent bientôt portées à trente mille combattants, sans compter les équipages de près de deux cents bâtiments de guerre de toute grandeur, qui, échoués sur le rivage ou rangés, au large, en ligne de bataille, défendaient les abords de la côte et barraient toutes les passes de la mer. Pour mieux couper les communications des assiégés avec l’intérieur, on entoura la place d’une ligne de contrevallation, qui occupait un espace de douze kilomètres, et qui était flanquée de onze forts et de dix-huit redoutes. Ces formidables dispositions ne purent encore contenter le génie et l’impatience de Richelieu : prévoyant le prochain retour des Anglais, avec lesquels les Rochelais avaient fait un traité d’alliance, il conçut le projet gigantesque de fermer le port par une digue. Un ingénieur italien, Pompeio Targone, envoyé par le pape, fut chargé le premier de ce travail ; il échoua. On en confia l’exécution à Clément Metzeau, de Dreux, célèbre architecte, et à Jean Thiriau, maître maçon de Paris. La digue fut commencée le 30 novembre 1627. Aucun obstacle n’arrêta les assiégeants ; la destruction de leurs ouvrages par de furieuses tempêtes, ne les découragea point ; et La Rochelle, bloquée de toutes parts, fut réduite enfin à la disette. Elle s’était d’ailleurs imprudemment épuisée pour approvisionner les troupes de Buckingham pendant le siège de Saint-Martin de Ré. Les Rochelais avaient été témoins, sans que leur courage en fléchît, de tous ces préparatifs. À l’anniversaire de Pâques, époque ordinaire des élections communales, ils avaient nommé Guiton, maire de la ville ; c’était investir cet homme inflexible d’une sorte de dictature (1628). Au moment de son installation, Guiton jeta son poignard sur la table, en menaçant d’en frapper tout bourgeois assez faible pour parler de capitulation. Quelques mois après, au commencement de mai, une flotte anglaise, sous les ordres du comte de Denbigh, se présentait en vain devant l’île de Ré ; elle ne put franchir la digue, et le 18 elle remit à la voile pour l’Angleterre. Son départ fut un coup terrible pour les Rochelais décimés par la famine.
On montrait au maire Guiton un citoyen expirant de faim : C'est assez qu'il reste un homme pour fermer les portes, dit-il froidement. Une nouvelle flotte anglaise, commandée par lord Lindsay, parut en vue de La Rochelle le 28 septembre 1628 ; elle ne réussit pas mieux dans ses efforts pour incendier les vaisseaux français et pour forcer le passage de la digue. Il n’y avait plus d’espoir ni de chance de salut pour les Rochelais. Une trêve de quinze jours leur permit d’entrer en pourparlers avec Richelieu, dont ils avaient jusque-là repoussé obstinément les propositions. Le cardinal leur fit comprendre qu’il ne leur appartenait plus de rien stipuler ; toutefois, par une capitulation, rédigée sous forme de lettres de pardon, il leur accorda une amnistie complète et la liberté du culte (28 octobre). C’était bien sa conquête à lui. Le roi, en partant, le 10 février, pour Paris, et en faisant une absence de deux mois, lui avait laissé tous les soins du siège : il avait pris le titre de lieutenant-général des armées du roi dans les provinces de l'ouest. Chaque jour, le duc d’Angoulême, le duc d’Épernon et les maréchaux de Bassompierre et de Schomberg étaient venus prendre ses ordres ; entouré des évêques de Maillezais, de Mende, de Nîmes, et d’un grand nombre de prêtres et de moines, il en avait fait des ingénieurs, des intendants, des comptables ou des munitionnaires capables et dévoués. Ce fut donc avec un juste orgueil que le grand cardinal prit possession de La Rochelle, le 30 octobre, et que le lendemain, 1er novembre, jour de l’entrée du roi, il célébra la messe dans l’église de Sainte-Marguerite.
La famine avait pesé si longuement et si cruellement sur les Rochelais, que la ville ressemblait à un vaste sépulcre. Un père s’était ouvert les veines pour nourrir son enfant ; une femme avait dévoré les chairs de ses bras avant d’expirer ; une autre avait mangé sa propre fille. La population se trouvait réduite de vingt-sept mille à cinq mille habitants. Les places, les rues, les maisons étaient encombrées de cadavres. Louis XIII s’empressa de faire distribuer dix mille rations de pain aux Rochelais. Après ce premier mouvement de pitié, la justice et la politique royale frappèrent impitoyablement la ville dans ses privilèges les plus chers. La municipalité fut supprimée, et l’on réunit ses biens immeubles au domaine de la couronne. On ne laissa subsister que les juges consuls (18 novembre). Les fortifications furent rasées, et tout, au dehors comme à l’intérieur, prit l’aspect de la désolation. Le maire Guiton, frappé d’exil, reprit son métier de marin. C’était une nature fortement trempée, et telle qu’il en fallait pour lutter contre Richelieu.
A partir de cette époque, La Rochelle n’eut plus d’existence politique. Ce fut une simple ville de commerce. Les colonies françaises commençaient à prendre de l’extension. Les Rochelais y envoyèrent leurs vaisseaux, qui rapportèrent les pelleteries du Canada, les morues de Terre-Neuve, et les riches produits des Indes. Ce peuple était toujours l’objet des défiances de la cour ; elle craignait que ses navigateurs n’introduisissent la réforme dans ces contrées. Une bulle du pape Innocent X, datée du 2 mai 1648, et confirmée par lettres royales du mois d’août suivant, transféra à La Rochelle l’évêché de Maillezais, érigé en 1317, mais dont le siège avait été ruiné pendant les guerres de religion. Le nouvel évêché fut formé aux dépens de celui de Saintes, dont on détacha l’Aunis et l’île de Ré. Pendant les guerres de la Fronde, La Rochelle se déclara pour le roi et aida ses troupes à chasser le comte du Dognon, qui, en sa qualité de gouverneur de la province, s’était emparé sans peine des tours de la ville et s’y était fortifié (1651). La participation de ce seigneur aux troubles, et son alliance avec Philippe IV, attirèrent une flotte espagnole dans le Pertuis d’Antioche ; le grand amiral César, duc de Vendôme, la combattit et l’obligea à se retirer (1653). Aucun événement important ne se passa dans cette ville sous le règne de Louis XIV jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes. Dès l’année 1663, les églises réformées de l’Aunis, qui étaient au nombre de treize, avaient été réduites à quatre : celles de La Rochelle, de Saint-Martin, de Ré, de Marans, et de Mausé. Quelques années après, une mesure arbitraire, inspirée par l’esprit d’intolérance, forçait trois cents pauvres familles Rochelaises à s’expatrier (1667). La révocation de l’Édit de Nantes fit perdre à la capitale de l’Aunis plus de trois mille habitants. On avait d’abord envoyé à La Rochelle l’abbé François Salignac de La Mothe-Fénelon, l’abbé Fleury, et quelques autres prêtres du diocèse de Paris, pour convertir les protestants aunisiens (1685) ; mais on trouva qu’ils remplissaient cet apostolat avec trop d’humanité et de douceur, et ils furent bientôt rappelés. L’intendant Demuin, comptant beaucoup plus sur la crainte et la violence, fit venir à La Rochelle quatre compagnies de dragons qu’il logea chez les calvinistes. Depuis la démolition des murailles par Richelieu, La Rochelle était une ville ouverte. Louis XIV, alarmé des tentatives des Anglais et des Hollandais pour faire une descente sur les côtes de France, donna l’ordre d’y construire de nouvelles fortifications (1689). Elles s’élevèrent d’abord sous la direction de l’ingénieur Ferri, ensuite sous celle Vauban, qui traça l’enceinte actuelle de la ville, beaucoup plus étendue que l’ancienne. Deux expéditions sortirent du port de La Rochelle, vers cette époque, et accrurent encore son illustration militaire ; ce fut, d’une part, celle du capitaine d'Iberville, chargé d’aller à la découverte des bouches du Mississipi, d’autre part, celle de l’escadre avec laquelle René Duguay-Trouin s’empara de Rio-Janeiro. Louis XIV, en 1694, avait rendu à La Rochelle son corps de ville, composé d’un maire, au choix du roi, de quatre échevins, d’un procureur du roi, d’un greffier, de douze assesseurs et de douze notables ; une déclaration du 5 février 1718 donna une nouvelle forme à ce conseil et rendit à la ville l’élection de son maire. Cependant les revers essuyés par la France, à la fin du XVIIe siècle, avaient cruellement réagi sur ce port ; les armateurs étaient découragés, le goût des courses maritimes se perdait de jour en jour. Il ne fallut rien moins que l’odieuse violation du traité d’Aix-la-Chapelle par les Anglais, pour arracher les habitants de La Rochelle à leur apathie ; ils se levèrent spontanément, ainsi que ceux de Rochefort, afin de tenir tête à une flotte de cette nation, forte de dix-sept gros vaisseaux, neuf frégates, deux galiotes à bombes, plusieurs brûlots et soixante-seize bâtiments de transport, qui, le 23 septembre 1757, était entrée dans le Pertuis d’Antioche. Leur énergique résistance déconcerta à tel point l’ennemi, qu’il se retira après vingt jours d’opérations infructueuses. Une collision sanglante eut même lieu à l’entrée de la rivière de Rochefort et au fort de Fouras, où les Anglais furent mis dans une complète déroute. Ils ne réussirent pas mieux dans une dernière tentative de débarquement sur la côte d’Aunis, et regagnèrent précipitamment leurs vaisseaux. La guerre de l’indépendance américaine vint fournir aux Rochelais de nouvelles occasions de se signaler : on a vu dans notre introduction que, de 1778 à 1783, les corsaires de ce port avaient fait sur les Anglais pour plus de onze cent mille livres de prises. Les Rochelais embrassèrent avec enthousiasme les principes de 1789. Le régime de la Terreur fut introduit dans leur ville par un nommé Parent, ouvrier horloger, venu de Paris, qui se fit affilier au club des Amis de la Constitution et le soumit à son influence. Le peuple excité massacra, dans un jour de fureur, quatre ecclésiastiques que l’on transférait à l’île d’Oléron. Bientôt après éclata la guerre de la Vendée. La garde nationale Rochelaise entra en campagne, conduite par le général Marcé, qui avait en tout trois mille hommes sous ses ordres. Cette petite armée, victorieuse près de Chantonay, le 17 mars 1793, fut battue, le 19, au-delà du pont Saint-Fulgent, par une poignée de Vendéens dont la plupart n’avaient que des fourches et des bâtons, et s’enfuit à la débandade jusqu’à La Rochelle. Les commissaires de la Convention Trullard, Nion, Carra et Auguis, firent arrêter aussitôt le général Marcé et destituèrent le lieutenant général Verteuil, commandant de la place. La Rochelle, mal approvisionnée, fut bientôt menacée de la famine et devint le quartier général d’une armée, connue sous le nom d’armée de La Rochelle, aux ordres du général Canclaux. La tranquillité étant rétablie, les corsaires Rochelais se distinguèrent de nouveau par leurs exploits ; l’un d’entre eux surtout, le capitaine Giscard, fit des prises nombreuses. Sous l’empire, leur ardeur se ralentit, et la présence de la flotte anglaise qui vint bloquer toutes les passes après avoir incendié l’escadre française devant l’île d’Aix, acheva de ruiner la navigation. L’empereur vint cependant visiter la ville deux fois ; il y transféra le chef-lieu du département de la Charente-Inférieure, et fit achever un bassin à flot, commencé en 1770, lequel fut livré à la chambre de commerce le 24 décembre 1808. En 1815, lorsque Louis XVIII, surpris par le retour imprévu de l’île d’Elbe, ne savait à quel parti se résoudre, le baron de Vitrolles lui proposa de se retirer à La Rochelle, poste facile à défendre, placé entre la Loire et la Garonne, et où l’on était maître de la mer, qui, en cas de revers, devait offrir une retraite sûre. Ce projet ne fut pas adopté. Depuis la Restauration, La Rochelle cherche dans le commerce un dédommagement aux pertes qu’elle a éprouvées. Elle est bien déchue de son importance d’autrefois ; pourtant elle commence à se relever. Ses négociants n’expédient plus fréquemment, comme par le passé, des navires vers les colonies d’Amérique ; mais ils reçoivent de Norvège des chargements considérables de bois de construction, et chaque année voit s’accroître le nombre des pêcheurs Rochelais qui se dirigent vers le banc de Terre-Neuve. On a même été obligé de creuser en dehors des remparts, sur l’emplacement des anciens fossés, un nouveau bassin à flot spécialement destiné aux terre-neuviers ; il a été ouvert en 1844. Le port est protégé par une jetée qui dépasse les limites de l’ancienne digue de Richelieu, dont on voit encore les restes à marée basse.
Si vous regardez la ville en venant de la mer, les deux premiers objets qui frappent votre vue sont les tours de la Chaîne et de Saint-Nicolas par lesquelles est défendue l’entrée du port. Ces deux tours, achevées en 1418, ont été construites avec les débris de l’ancien château. Un peu sur la gauche, vous apercevez la tour de la Lanterne que termine une pointe octogonale ; puis, sur un plan plus éloigné, la tour de l’Horloge. Le port de La Rochelle a cela de singulier, qu’il est divisé en trois parties : l’avant-port, le havre et le bassin. L’avant-port s’étend assez loin vers la mer ; il est formé d’un côté par la jetée dont nous avons parlé, de l’autre par une esplanade servant de chantier de construction. Le havre, que l’on vient d’entourer de quais magnifiques, est de forme allongée ; malheureusement les vaisseaux n’y peuvent pénétrer qu’avec le flot, et le jusant les laisse à sec sur la vase. Le bassin communique avec le havre par un canal, sur lequel se trouve un joli pont suspendu qui se brise dans le milieu, lorsque les mouvements du port l’exigent. C’est un parallélogramme de cent quarante mètres de long, sur cent dix de large ; des bâtiments de quatre cents tonneaux peuvent y entrer et y rester à flot.
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