Texte et gravure
extraits de l'ouvrage "L'Univers - collection des vues les plus pittoresques du globe" de Jules Janin - édition ~1840
Trente est le cercle du Tyrol ; il est entouré de hautes montagnes, ramification des Alpes Rhétiques ; il est comme le centre d’immenses et pittoresques vallées, le val Sugana, le val di Sole, le val d’Annone au nord de l’Adige qui, avec la Brenta, traverse pompeusement tout le cercle du Tyrol. Entre les montagnes brillent au soleil, plusieurs lacs de peu d’étendue qui ajoutent beaucoup à l’éclat du paysage.
La ville de Trente est le chef-lieu du cercle. La ville est entourée de fortifications peu importantes; elle renferme un château fort du plus vieux style gothique. Le château est vaste, élégant, chargé de marbres et de peintures. — Au milieu d’une vaste place s’élève la cathédrale qui est remarquable à plus d’un titre. Hôpital, lycée, gymnase ; des rues bien bâties, des fabriques de soieries, du vin, du fer, du blé et du tabac ; voilà la ville.
La ville de Trente est la patrie de Jacques Aconce, savant théologien, et du jésuite Martini, missionnaire en Chine. On compte dix mille sept cents habitants; — ville célèbre cependant, car il s’y est tenu un concile fameux dans l’histoire de l’église et des libertés de l’Europe.
La ville de Trente obéissait autrefois à l’Italie. — C’est une vieille cité fondée par les Tyrrhéniens. Elle a appartenu tour à tour aux Cénomans, aux Goths, aux Lombards et aux ducs de Bavière, puis aussi à l’Allemagne comme cité libre et impériale. Elle obéissait à un évêque, prince souverain et maître souverain du comté de Trente en vertu d’une donation de l’empereur Conrad. En 1663, l’évêque Albert réunit son évêché et les domaines du Tyrol. Les Français, sous le commandement de Masséna, s’emparèrent de la ville le 19 août 1797. Quand l’empereur Napoléon composa avec tant de génie son éphémère royaume d’Italie, la ville de Trente devint le chef-lieu du département du Haut-Adige.
En suivant la vallée de l’Adige, on découvre la ville, bâtie des deux côtés du torrent, comme si elle voulait lui barrer le passage ; et véritablement, vues de loin, les maisons de marbre, les fenêtres gothiques, les balcons chargés de carreaux de velours où l’on croit voir encore la grâce souriante et majestueuse des belles dames du moyen-âge, les toits qui s’avancent dans la rue légèrement appuyés sur leur poutre sculptée, tout cela est charmant au premier aspect.
Nous disions tout à l’heure que la population était peu nombreuse; mais, en revanche, elle est bruyante. Ces dix mille âmes font du bruit comme soixante mille. Des troupes de mendiants à demi-nus parcourent la ville en chantant. Les femmes se prennent aux cheveux : les maris jettent le hola entre les femmes, on parle, on crie, on s’agite, on gesticule tout le jour, et c’est à recommencer le lendemain.
C’est un mélange confus de richesses et de misères, de palais et de chaumières, de marbre et de boue.
Le lazzarone, fièrement drapé dans les trous de son manteau, marche à côté du riche montagnard habillé de velours. La ville est remplie de prêtres, on dirait une vaste fourmilière de robes noires. Le prêtre est entouré de respects et d’hommages par cette population qui se souvient des conciles.
Ce concile de Trente a duré dix-huit années; il a été tenu dans des circonstances importantes pour l’Eglise. Il s’agissait de la réforme et de Martin Luther. Que si vous vous demandez ce que cela a produit, le concile vous paraîtra une chose bien misérable. Et pourtant toute cette ville a vécu splendidement et royalement, grâce au concile. Les plus belles femmes de l’Italie y accoururent à la suite des évêques et des cardinaux du sacré collège. Pendant dix-huit ans ce fut une suite perpétuelle de jeux, de fêtes, de bals, de concerts, de repas somptueux. Le concile de Trente absorba pendant dix-huit ans toutes les grâces, tout l’esprit, tout le vice, toutes les fleurs, toutes les femmes, tous les vins de l’Italie. Il était impossible de défendre une religion plus gaiement.
C’est le concile qui a élevé à cette place tous ces beaux édifices. Ce fut une grande faveur du souverain pontife Paul III, quand il réunit le concile dans la capitale du Tyrol italien, et pour y répondre dignement, les habitants se mirent à bâtir une ville nouvelle. On fit venir tout exprès une armée de maçons, d’architectes, de peintres, d’artistes en tout genre, et en même temps une armée d’orfèvres, de fourbisseurs, de cuisiniers, de valets, de marchands de toutes sortes; ainsi fut bâtie et peuplée cette ville nouvelle comme par enchantement.
Tristes moyens de se défendre contre Luther et Calvin, contre toutes ces voix éloquentes et intrépides qui prêchaient sur les toits la nécessité de la réforme, contre tous ces chefs et capitaines de l’hérésie qui, au contraire, durent puiser de nouveaux arguments en faveur de la réforme, à l'aspect de tout ce luxe, de tout ce vice, de tous ces excès sans contre-poids.
Ce concile de dix-huit ans fut interrompu plus d’une fois par la guerre. Il y eut même un jour où toute cette ville d’évêques prit la fuite en apprenant l’arrivée de l’empereur Charles-Quint.
La largeur de l’Adige à Trente est celle de la Seine à Paris. Mais l’Adige est moins un fleuve qu’un torrent terrible qui entraîne tout ce qu’il rencontre en son chemin. — Le plus dramatique instant du voyageur qui traverse la ville, c’est le moment où, penché sur le parapet du pont, il écoute le bruit du fleuve qui se perd dans un abîme sans fond. C’est un pont d’une seule arche qui repose des deux côtés du ravin sur le roc vif, et ce n’est pas sans une certaine terreur que l’on traverse tout ce bruit à travers tout ce nuage humide et coloré.
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Pour voir les détails de cette gravure de Trente en Italie en 1840, de ce point de vue peu courant,
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