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Les villes à travers les documents anciens

Page de garde de L'Univers de Jules Janin

La ville de Pise vers 1840

 

Pise vers 1840 - gravure reproduite et restaurée numériquement par © Norbert Pousseur
Pise le long de l'Arno, gravure non signée

 

Texte et gravure
extraits de l'ouvrage "L'Univers - collection des vues les plus pittoresques du globe" de Jules Janin - édition ~1840

Et maintenant nous sommes arrivés d’un saut dans une autre république qui a joué un rôle important, son rôle d'une heure, parmi les républiques italiennes : Pise, qui tient à l'honneur d’avoir été fondée par les Grecs, même aujourd’hui a gardé je ne sais quel parfum athénien ; elle soutient encore, et elle soutiendra jusqu’à la fin du monde, qu’elle n’a pas été vaincue par Rome, mais bien qu’elle s’est donnée à Rome librement. Le nom des Pisans est inscrit avec honneur dans l'énéide, cette admirable généalogie romaine. Autrefois Pise avait un port célèbre; d’abord la mer s’est éloignée du port, et plus tard , pour comble de misères, sont venus les barbares ; car ceci est la même histoire pour toutes les villes de l’Italie; à l’instant même de leur plus grande prospérité, vous voyez fondre sur ces cités épouvantées tous ces terribles missionnaires de la barbarie, Alaric, Attila, Genseric, Odoacre, le blasphème et la ruine, le feu et le fer; après quoi tout disparait dans les mêmes ténèbres, les villes, les hommes, les lois, les mœurs; jusqu’à ce qu’enfin dans cette nuit profonde du moyen âge se glissent les premières clartés, les premières libertés de la renaissance. A ces lueurs bienfaisantes, vous voyez peu à peu les nations couchées dans la poudre renaître à l’espérance. De nouveau elles essaient leur force et leur pensée ; puis bientôt les villes anséatiques sortent de leurs ruines; les républiques se relèvent, les siècles interrompus recommencent . jusqu'au jour ou il arrive que toutes ces villes renaissantes soient assez fortes pour se dévorer lune l’autre : — histoire sans fin, également remplie de brigands et de héros.
Ne craignez pas que je veuille faire ici de l’histoire ; je ne veux que la deviner à ma manière, en traversant ces rues silencieuses, ces vallées désertes, tout ce pays couvert de tours démantelées, de créneaux brisés, de remparts détruits, de campagnes florissantes ; car, Dieu merci, la verdure est éternelle comme le soleil. L’homme peut renverser une ville, il ne saurait anéantir le lis de la vallée dont Salomon a célébré l’impérissable magnificence. Hommes sacrilèges, qui cherchez dans vos propres entrailles le secret de votre néant ou de votre grandeur, vous pouvez briser des marbres et des bronzes, mais vous ne sauriez tarir la moindre source cachée dans les bois. Vous pouvez jeter dans ces murs le silence de la mort, vous ne sauriez arrêter le chant de l’alouette matinale qui salue le lever du soleil ! Et d’ailleurs, comme nous le disions plus haut, rien ne s’efface tout à fait de ce monde ; les ruines sont presque immortelles ; ce sont les décombres sacrés des villes qui ne sont plus.

Pise, cependant, n’est pas une ruine, c’est quelque chose entre la ville qui est morte et la ville qui va mourir. Pise est restée une ville du moyen âge et de la renaissance; elle n’a pas fait un pas ni en avant ni en arrière. Le bruit et le mouvement l'ont abandonnée comme a fait la mer qu’on entend gronder au loin, sans que jamais la mer veuille se rapprocher de ces murailles abandonnées. Donc il la faut contempler telle qu’elle est, étendue dans son cercueil de marbre, et belle encore dans sa mort, cette ville guerrière et commerçante, qui a été la rivale de Venise, la maîtresse de Carthage; qui a possédé, au temps des croisades, son royaume sur la terre d’Afrique. Heureuse encore d’être protégée aujourd’hui par les oeuvres de quelques grands artistes dont elle est la mère et dont elle fut la nourrice; car si elle n’avait plus pour elle que ses quais sur l'Arno, ses hautes murailles, ses tours démantelées et le bruit évanoui qu’elle a fait dans l’histoire, Pise ne serait plus qu’un vain nom perdu dans l’espace, un bruit lointain et sans écho.
Heureusement, de toutes ses gloires passées, de tous les édifices qu’elle éleva, de toutes les villes qu’elle a renversées, de toutes ses conquêtes, de toutes ses ruines , il reste à Pise trois chefs-d’œuvre impérissables, le dôme, la tour penchée et le Campo-Santo : avec de pareils débris une ville, même une ruine , ne peut pas mourir.

Moi qui vous parle et qui arrivais là encore tout ébloui par la magnificence des palais génois, par cet art exquis, par cette magnificence sans égale, par cet entassement de chefs-d'œuvre choisis à la plus belle époque des chefs-d’œuvre, moi qui tombais ainsi du seizième siècle italien au treizième et au quatorzième siècle, je vous assure que ce pas rétrograde ne m'a nullement épouvanté. J'ai été émerveillé tout d’abord au seul aspect de ces grandes masses si remplies d'une imposante majesté. En architecture, ce qui est grand est déjà bien près d’être beau. II faut dire aussi que, dans l’art, les premiers témoignages du génie d’un peuple qui s’éveille portent en eux-mêmes je ne sais quoi de sacré et de puissant qui vous les fait respectables. Le beau moment pour faire l’homme de goût, quand on se trouve au sommet de la tour penchée ! La belle imagination de faire de la petite critique sous le dôme de Pise, et que cela serait habile d’aller compter les pierres du cimetière ! Pour bien juger ces grands monuments des siècles passés, rien ne vaut le respect et le coeur. C’est donc dans toute l’humble simplicité de mon esprit que je les ai étudiés dans le plus grand détail, ces trois chefs-d'œuvre ; et maintenant, les yeux fermés, je les vois encore au fond de mon âme, tout comme on voit dans une chambre obscure. Ces trois monuments sont élevés sur la même place, un peu au-devant la ville , dans un vaste espace qu'ils remplissent seuls de leur masse et de leur ombre, sans que nul édifice profane leur porte ombrage. Le dôme, la tour, le cimetière, c’est la même œuvre ; ce sont les chants divers d’un seul et même poème épique et chrétien qui se pourrait très fort comparer à la Divine Comédie du Dante, car c’est le Dante qui en a inspiré les plus belles pages : ici la vie, plus loin la mort ; là-haut le ciel, plus bas la tombe; entre ces deux monuments si divers, cette haute tour qui sera éternellement croulante , et le Campo-Santo, qui sera silencieux jusqu’à ce qu’il soit absorbé comme le reste du monde dans la retentissante vallée de Josaphat, s’élève l’église, comme pour réunir, par un lien sacré, ce que l’artiste a séparé. Le dôme pisan a été élevé à la suite d’une victoire de la république contre les Sarrasins; c’est le plus beau monument de l’ait gothique en Italie à cette heure solennelle des arts, quand déjà la renaissance se faisait pressentir. A force d’aller en Orient et d’en revenir, les Pisans avaient pris peu à peu le goût et la passion des grands monuments destinés à marquer la trace des peuples dans I'avenir. Dans cette passion pour les grands arts, Pise a commencé avant Florence; mais elle n’a précédé Florence que de vingt-quatre heures, dans ce départ de l’art moderne dont Florence devait être l’arbitre souverain.

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