Texte et gravure
extraits de l'ouvrage "L'Univers - collection des vues les plus pittoresques du globe" de Jules Janin - édition ~1840
Les Chinois ont poussé très loin la science des jardins ; ils sont en ce genre les maîtres des Anglais, qui sont pourtant si fiers de leur science. Les jardins de l’empereur, à Nankin, sont, dit-on, le chef-d’œuvre des jardins, qu’on appelle des jardins anglais. Evidemment de grands artistes ont présidé à la disposition des lieux, aux accidents variés du terrain ; on ne saurait dire tous les infinis détails de ces beaux lieux, toutes les surprises semées ça et là dans cette royale enceinte. Ici un torrent caché dont on n’entend que le murmure, dont on ne voit que la fraîcheur; plus loin un ruisseau qui coule calme et limpide, sans bruit et presque sans mouvement ; dans les massifs de verdure sont disposés des grottes, des temples, des palais rustiques, mais avec tant d’art et de goût, que le vent y produit des sons pleins d’harmonie ; sans compter toutes sortes de fleurs, d’arbres, de rochers nus et verdoyants, toutes sortes d’échos lointains.
De pareils jardins ressemblent tout à fait aux compositions épiques les plus variées. Un lieu champêtre est suivi d’une scène d’horreur ; vous étiez tout à l’heure dans des parterres alignés au cordeau, maintenant vous voilà au milieu du chaos. Cataractes bruyantes, roches brisées, eaux furieuses, arbres difformes, ponts renversés, temples détruits, marbres frappés de la foudre, chétives cabanes éparses ça et là sur un roc calciné, immense solitude, immense effroi. A peine sorti de ce formidable labyrinthe, vous tombez dans la campagne animée, les moissons, les troupeaux, les bruits de la culture. Une montagne vient rompre l’uniformité de la plaine; puis un grand lac reflète toutes ces merveilles dans son vaste miroir d’argent. Et alors vous vous demandez si en effet vous êtes dans un jardin arrangé par la main des hommes ? car voilà des îles riantes, voilà une rivière chargée de barques, voilà des rivages en pleine culture, voilà des arbres qui se courbent en berceaux. Levez la tête : au sommet de la montagne s’élève un temple, tandis qu’au milieu du lac une grotte ouverte semble attendre les nymphes des eaux.
Dans un pareil jardin il faut que toute chose obéisse : la feuille de l’arbre, le vent, le bruit, le flot de la rivière ; la rivière même est animée, elle est chargée de moulins et de machines hydrauliques de la plus grande variété ; le rocher le plus naturel que vous rencontrez sur votre route, il est creusé, il est orné, il est paré, il est entremêlé de feuillages, il renferme une source jaillissante, il produit des fleurs, il porte un pont à son sommet, un torrent roule à ses pieds. — Quelquefois, après avoir parcouru une allée d’arbres, allée vaste et sablée où les pas sont faciles comme sur le velours, vous entrez dans d’épaisses broussailles, au milieu des ronces, des buissons, des épines ; et plus loin c’est un parterre fantastique dans lequel toutes choses sont mêlées, confondues, changées, torturées : le chardon se couronne de roses; le rosier blanc porte des roses jaunes, la plante vénéneuse est chargée d’un épi doré, ou bien c’est un jeune arbre qui pousse dans le front d’une statue, c’est une fleur qui s’épanouit dans son bras, c’est une vigne qui sort de son nombril; — puérilités véritablement chinoises, et que l’Angleterre a bien fait de ne pas imiter.
Pour voir les détails de ce jardin chinois à Nankin,
les enfants jouant au ballon et les personnages du défilé,
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