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Gravures ci-dessous extraites de l'ouvrage 'La Suisse pittoresque' d'Alexandre Martin - Edité par Hippolyte Souverain, imprimerie de Baudoin, Paris, (sans date sur cet exemplaire incomplet aux illustrations en couleur, mais sans doute 1835), ainsi que l'article ci-dessous. (Collection personnelle)
Chambéry. — Agréablement situé sur les deux petites rivières de l'Albane et de la Leysse, Chambéry offre des aspects aussi variés que pittoresques. La plupart des maisons sont élevées de trois étages et couvertes d’une ardoise commune. Ses rues sont assez belles et assez commerçantes, mais il en est une dont la plus grande ville s’honorerait : c’est celle pour la construction de laquelle M. de Boigne a donné une somme considérable, et que la reconnaissance des habitants a dotée de son nom ; elle est transversale à la grande place. L’ancien château était bâti sur une éminence qui domine la ville et les environs. Incendiée en 1742, et réparée en 1775 à l’occasion du mariage du prince de Piémont, il fut de nouveau presque entièrement consumé par le feu dans la nuit du 13 au 14 décembre 1798. Le gouvernement français en avait ordonné, dans le temps, la restauration, qui n’a pas été achevée. Indépendamment des hospices et Hôpitaux que Chambéry possède, il faut remarquer le bel hospice de Saint-Benoît, fondé en 1820 par la générosité du général de Boigne, qui a acquis le local, l’a fait restaurer, et l’a doté à perpétuité pour y entretenir un certain nombre de vieillards des deux sexes parmi ceux qui, ayant vécu dans l’aisance, ont éprouvé des revers inopinés de fortune. Cet établissement, unique dans son genre, mérite d’être visité avec soin. Le collège royal est dirigé par les Jésuites. Chambéry a des écoles spéciales où l’on enseigne les mathématiques, la théologie, le droit civil et canonique, la médecine, la chirurgie, la chimie, la géographie, la langue italienne, le dessin et la peinture. Le théâtre, entièrement reconstruit en 1823, est encore dû à la munificence du général de Boigne. La ville a aussi une bibliothèque publique, un musée, et une société littéraire, fondée en 1820 sous le titre de Société académique de Savoie. Les environs de Chambéry ont totalement changé d’aspect depuis la fin du siècle dernier. Les murs dont il était entouré ont été abattus, les fossés ont été comblés ; on a bâti sur une partie de leur emplacement, et de nouvelles promenades ont été établies. Le Verney a été agrandi d’une portion considérable de terrain sous le nom de Champ-de-Mars.
LES CHARMETTES. Pour aller aux Charmettes en sortant de Chambéry, il faut passer auprès de la grande caserne construite sur l’emplacement du couvent des Ursulines, au sud de la ville. On marche depuis là, pendant quelques moments, au bord de l'un des bras de l'Albane, rivière qui coule du levant au couchant et se distribue par un grand nombre de canaux souterrains dans la plupart des rues de Chambéry. Quand on est arrivé au lieudit le Bocage, près de l’ancien séminaire, on quitte brusquement la plaine pour monter à droite, par un chemin assez rapide pratiqué sur le roc ; on passe sur une carrière qui fournit des meules de moulin ; après quelques pas, la pente s’adoucit tout à coup et l’on tourne au sud. C’est ici que commencent les Charmettes, dont le nom s’étend aux deux coteaux qui s’élèvent à droite et à gauche. On se trouve au-dessus des moulins des Charmettes, et l’on touche le clos du même nom, où l’on voit la maison qui appartenait à M. de Conzié, l’ami de Jean-Jacques Rousseau, à qui celui-ci entreprit d’enseigner la musique et dont il s’est rappelé si longtemps la douce liaison. La maison est un peu élevée au-dessus du chemin ; au-devant est une terrasse environnée d’un parapet à hauteur d’appui ; ce parapet est coupé par une grille de bois à deux battants qui ferme l’entrée de la terrasse, sur laquelle on monte par quatre marches de pierre. La face principale de la maison est tournée au levant et parallèle au chemin. C’est un petit bâtiment régulier, de forme rectangulaire ; il est couvert d’un toit rapide en ardoise à quatre pans et surmonté de deux aiguilles. Les rustiques sont au midi et attenant à la maison ; le jardin est du côté du nord. Dans le même mur antérieur et sur la droite, est incrustée une plaque de pierre blanche portant l’inscription suivante, placée par Héraut de Seychelles, en 1792, lorsqu’il était commissaire de la Convention nationale :
Ces vers ont été attribués à madame d’Epinay. La chambre qu’a occupé Rousseau est au-dessus du vestibule : elle est grande et n’a qu’une fenêtre. La chambre de madame de Warens occupe la face septentrionale, du côté du jardin. Le rez-de-chaussée est composé du vestibule, d’une petite cuisine à gauche, qui n’existait pas du temps de madame de Warens ; d’une première salle où était autrefois la cuisine ; d’un salon communiquant directement au jardin, et de quelques autres petites pièces. L’escalier est intérieur ; il est construit en pierres de taille et composé de deux rampes. Sur le premier palier est une porte extérieure qui s’ouvre sur une petite esplanade, derrière la maison où était un berceau de houblon dont parle Jean-Jacques. Sur ce même palier est l’entrée d’une petite chambre et d’un cabinet pratiqué sur un caveau et sur la cuisine actuelle, et qui n’étaient pas autrefois dans cet état. La seconde rampe conduit à deux portes, dont l’une, à droite, s’ouvre sur un corridor qui communique à la chambre de Rousseau, et qui la dégage par une porte de derrière ; l’autre porte introduit dans un vestibule ou l’on avait placé une petite chapelle extérieure dédiée à la Vierge, et qui y est encore en très bon état. De là on passe dans une chambre carrée, assez grande, très éclairée, qui remplit l’angle de la maison au nord-est, et dont les fenêtres, s’ouvrant sur le jardin, présentent une vue étendue et fort agréable : c’était la chambre de madame de Warens. Pour aller au jardin, on passe sur une seconde petite terrasse où Jean-Jacques cultivait des fleurs, et qui a encore la même destination. Le jardin est oblong, dirigé dans le sens du chemin ; il est situé entre la vigne et le verger. C’est à son extrémité septentrionale qu’étaient placées les ruches de madame de Warens. Rousseau a décrit en peu de mots les dehors de cette retraite ; il n’y a rien à en dire après lui : tout est là tel qu’il l’a dépeint, sauf la chapelle extérieure, où l’on a établi depuis longtemps un four.
Rousseau s’exprimait ainsi au sujet des Charmettes, peu d’années avant sa mort :
L’abbaye d’Hautecombe. — C’est sur la rive occidentale du lac du Bourget, et dans un lieu enchanté, qu’est située l’ancienne abbaye d’Haute-Combe. Elle était célèbre par les tombeaux de quelques princes de Savoie, et notamment d’Amé IV, de Boniface, primât d’Angleterre et archevêque de Cantorbéry, mort en 1270 ; de Philippe Ier, d’Amé V, dit le Grand ; d’Edouard, d’Aymon, d’Amé VI, de Philibert Ier, etc. Le mausolée de Boniface était en bronze. La statue d’Humbert III avait été érigée en 1188. Le monastère actuel d’Hautecombe date de 1743. En 1793, les tombeaux furent mutilés et détruits, et les religieux forcés de se retirer en Italie. Le roi Charles-Félix a rendu à cette abbaye sa destination primitive. Des travaux considérables ont été entrepris : commencés en 1824, ils sont terminés aujourd’hui (1835). L’église a trois entrées ; le portail, de style gothique, est orné de statues de saints et d’ermites. Dans l’intérieur on remarque deux beaux monuments, les statues d’Amédée V et d’Amédée VI, et des bas-reliefs estimés. Dans la partie droite de la nef est le mausolée de Hubert III ; de l’autre côté est le tombeau de sa femme, Anne de Jérinhen. On voit encore les tombeaux de Louis Ier, baron de Vaud, de l’archevêque de Cantorbéry, du comte d’Aymon et d’Yolande de Montferrat. La chapelle des princes est ornée avec une grande magnificence. Autour de l’autel sont les statues des douze apôtres. La voûte est peinte à fresque et représente les quatre Vertus évangéliques. Les vitraux des fenêtres sont remarquables. La chapelle Saint-Félix, d’ordre ionique, est éclairée par le haut et d’un bel effet.
Tours de Saint-Joire. — Situées sur un plateau de rochers au pied des montagnes de la Thuile, les tronçons mutilés de ces tours se découvrent de fort loin ; ce sont les restes d’un ancien château et de ses dépendances. On a trouvé dans ces décombres un énorme collier de fer ou carcan, garni de pointes aiguës dans son intérieur et fermant à secret : c’est un monument de la féodalité. Les anciens seigneurs de ces domaines le mettaient, dit-on, au cou des prisonniers de guerre pour les obliger à rapporter au plus tôt le prix de leur rançon.
TOPOGRAPHIE. Situation. — Etendue. — La vallée de Chambéry est située entre deux rangs de montagnes qui semblent être les premiers gradins des Alpes, savoir : au nord et à l’est, les montagnes des Bauges, à l’ouest et au sud celles appelées du Chat, de l'Epine, d’Aigue-Bellette, d’Entremont et du Grenier, Ce dernier rang de montagnes part des bords du Rhône et se continue jusqu’à l’Isère ; il paraît ne former qu’une même chaîne qui fléchit considérablement vers le centre, ou vis-à-vis de la gorge de Saint-Thibaud-de-Couz. La partie supérieure de cette chaîne appartient à la vallée de Chambéry, tandis que la partie inférieure appartient plutôt à la vallée d’Aix. Le point le plus remarquable de la chaîne des Bauges est la Dent de Nivolet : on appelle ainsi un angle de rocher nu qui avance en forme de promontoire sur la vallée, à une élévation de 4,200 pieds au-dessus du niveau de la mer, et de 1,405 pieds au-dessus du .sol de Chambéry. Ce nom lui est venu, sans doute, de ce que le petit plateau du Nivolet, incliné du côté de Chambéry, se couvre ordinairement de neige quelques jours avant qu’il n’en tombe dans la vallée. Les vapeurs dont il s’enveloppe indiquent à l’avance les changements de temps, et il jouit encore des rayons du soleil, après que les ombres du crépuscule sont descendues dans la plaine. L’élévation du mont du Chat est de 4,851 pieds au-dessus du niveau de la mer ; celle de la montagne du Grenier de 5,550 pieds. La vallée de Chambéry, depuis le lac du Bourget jusqu’à Montmélian, a 9 lieues de long environ sur 1 lieue et demie de largeur ; son élévation au-dessus du niveau de la mer mesurée au Bourget est de 684 pieds, et de 810 pieds mesurée au pont de Montmélian : ce qui indique un exhaussement intermédiaire de 126 pieds. Elle court du nord-ouest au sud-est, sur un plan faiblement incliné, à partir du pied de la montagne de Chignin jusqu’au lac ; elle a aussi, à son extrémité supérieure, un léger versant du côté de l’Isère. La partie inférieure de la vallée est couverte d’une immense prairie qui venait autrefois jusque sous les murs de Chambéry, et dont on évalue encore la superficie à plus de 1,000 hectares ; cette prairie est malheureusement en proie à toutes les dévastations de la Leysse, qui y charrie, tantôt d’un côté, et tantôt de l’autre, une énorme quantité de gravier. Le bassin de Chambéry s’étend sur les plaines de Saint-Alban, de la Madeleine, de Bassens et de Bissy. Son sol est formé, en grande partie, de terre d’alluvions, de sables et de gravier ; on y trouve des coquilles fossiles, qui paraissent avoir été fluviatiles. Les collines qui l’environnent sont calcaires et coquillières ; leurs bases indiquent presque partout l’ancien séjour des eaux. Ce bassin est en général riche et fertile ; son exposition est agréable autant que saine : il est abrité, par les montagnes latérales, contre les vents du nord et du sud ; il est ouvert au nord-ouest et au sud-est, ayant, de ce dernier côté, une vue fort étendue sur les sommets neigés de la Maurienne. Michel Montaigne, revenant d’Italie en 1581, passa dans cette vallée ; il en parle ainsi dans son journal de voyage : « Chambéry, ville principale de Savoie, petite, belle et marchande, plantée entre des monts, mais en un lieu où ils se reculent fort et font une bien grande plaine. » En qualifiant de cette manière la plaine de Chambéry, Montaigne faisait allusion, sans doute, aux étroites gorges de la Maurienne, qu’il venait de traverser. Les collines adossées à la chaîne des Bauges sont en général couvertes de vignobles ; le plus estimé est celui du mont Termino, qui s’étend depuis le bourg de Saint-Alban jusqu’à la cascade du Bout-du-Monde. Climat. — Vents. — Un sol aussi inégal et aussi entrecoupé de montagnes que celui de l’ancien département du Mont-Blanc ne peut qu’être très varié dans sa température. Souvent au fond d’une vallée le voyageur supporte avec peine l’ardeur d’un soleil brûlant, en même temps qu’il aperçoit, sur les monts qui l’environnent, les frimas d’un éternel hiver ; d’autres fois, après avoir traversé des neiges ou des glaces sur les cols des montagnes, il rencontre, en descendant dans la plaine, d’abord des bois, ensuite une riante verdure, plus bas des fleurs ou même des fruits. Cette étonnante variété, qui tient surtout à celle des expositions et des sites, fait que dans certaines vallées, notamment à Chambéry, on possède, pendant longtemps des fruits printaniers, dont la jouissance, dans les pays de plaine, n’est que momentanée ou passagère ; les fraises, par exemple, y durent près de six mois de l'année, et l’on en sert même quelquefois depuis les premiers jours de mai jusqu’au milieu de novembre. Ainsi dans ces bizarres contrées on peut joindre les productions du printemps à celles de l’automne, et réunir sur la même table des fraises, des cerises et des raisins. Chambéry est situé à 101 mètres plus bas que Genève. Cette circonstance, jointe à sa position dans un bassin fermé au nord par les montagnes des Bauges, y produit une différence sensible dans la température : les hivers y sont plus doux et de quinze jours moins longs qu’à Genève. Les contrées de la Tarentaise et de la Maurienne sont beaucoup plus froides : les hivers y sont plus longs, plus vifs, et les chaleurs de plus courte durée que dans celles de Chambéry et d’Annecy. Ces phénomènes tiennent à ce que les deux premières sont plus élevées que les deux autres : d’ailleurs celles-ci sont plus abritées, et comme leurs montagnes sont calcaires, elles sont plus propres, par leur forme et leur couleur, à Répercuter les rayons du soleil. En général, le climat de ce pays offre souvent, dans la même journée, le passage subit du chaud au froid, et l’on prétend que la destruction des forêts a rendu plus sensibles ces brusques changements atmosphériques. Pour ce qui est du bassin de Chambéry, le vent dominant est celui de l’ouest ; il passe par-dessus la montagne de l’Epine, qu’il coupe à angle droit. On lui donne aussi le nom de Traverse ou de Lyonnaise, parce qu’il semble venir du côté de Lyon. Il souffle surtout par la gorge de Couz, et entraîne alors toutes les vapeurs amassées sur la ville et sur ses environs. Ce vent est communément doux et humide ; il occasionne des rhumatismes et des fièvres catarrhales ; il favorise la végétation, parce qu’il n’est point accompagné d’un certain degré de froid, à moins qu’il ne souffle avec violence. Les mois d’avril et de mai, et une partie de juin, constituent ordinairement à Chambéry la saison pluvieuse ; les vents de sud et de sud-ouest règnent alors le plus souvent. Ceux d’ouest, de nord-ouest et de nord leur succèdent ; ils amènent avec eux l’été, qui est communément beau, chaud et sec. Souvent sur la fin de juin et pendant les mois de juillet et d’août, il y a des orages accompagnés de tonnerre et quelquefois de grêle : ce dernier météore, fléau redouté des campagnes, est heureusement assez rare ; on a remarqué qu’il l’était encore davantage avant que les bois et les forêts eussent été dévastés.
HISTOIRE. Chambéry existait autrefois sur le revers oriental du Lémenc, sous le nom de Camberiacum Le Lémenc et ses dépendances furent cédés en 1029 à l’abbé d’Ainay par Rodolphe III, duc de Bourgogne. Thomas Ier, comte de Savoie, acheta en 1332, à Berlion, vicomte de Chambéry, tous les droits que celui-ci pouvait avoir sur le bourg de Chambéry (in burgo Camberiaci), pour la somme de 32,000 sous de Suse (environ 84,147fr.) ; le prince Thomas y établit une administration municipale et diverses franchises en faveur des bourgeois. Amédée V, en 1288, acheta le château actuel des seigneurs de La Rochelle, y fixa sa résidence et fonda la Sainte-Chapelle ; Aymon, son successeur, y créa une cour de justice. L’érection de la Savoie en duché fut célébrée avec une grande pompe, à Chambéry, sous Amédée VIII, en 1416. L’armée de François Ier entra clans Chambéry en février 1536 ; ce prince y établit un parlement et une chambre des comptes. La paix du Cateau-Cambrésis rendit au duc de Savoie ses états ; Emmanuel-Philibert prit possession de Chambéry le 7 août 1559. Henri IV y entra le 21 août 1600. A la paix de Lyon, faite au mois de janvier suivant, la Bresse, le Bugey, le Val-Romey et le pays de Gex furent cédés à la France en échange du marquisat de Saluces. Sous le règne de Louis XIII, les Français se rendirent encore une fois maîtres de Chambéry, et Louis XIV fit occuper cette ville pendant ses démêlés avec Victor Amédée II, jusqu’à la paix d’Utrecht en 1713. Les Espagnols s’en emparèrent en 1742. L’année suivante, l’ancien château de Chambéry, résidence de l’infant Don Philippe, fut entièrement incendié. Réparé en 1775, à l’occasion du mariage du prince de Piémont, Charles-Emmanuel, avec madame Clotilde de France, il fut de nouveau brûlé dans la nuit du 13 au 14 décembre 1798 ; plus tard, le gouvernement français en ordonna la restauration, qui n’a pas été achevée. C’est en 1792 que Chambéry et la Savoie furent incorporées à la France ; en 1815, ce pays est rentré sous la domination de ses anciens souverains.
ANTIQUITéS. Les antiquités romaines que renferme la Savoie ne se rencontrent que sur les anciennes voies romaines et dans les vallées principales. La ville de Chambéry n’en possède aucune, mais ses environs en offrent un grand nombre de vestiges. On en trouve des débris épars dans la colline du Lémenc, où était bâti l’ancien Lemincum ou Lemnicum, dont parlent l’Itinéraire d’Antonin et les Tables de Peutinger. On prétend qu’il y avait dans cet endroit un temple à Mercure, sur les ruines duquel l’église actuelle aurait été bâtie au commencement du VIe siècle. On voit sur une pierre placée dans la maçonnerie de l’église Saint- Alban, les restes suivants d’une ancienne inscription : Sexlius Decius... trib. onor... ati... Cœsare... es. T. IIII. vir flam. La fente dite de Saint-Saorlin, pratiquée près de là, au pied du mont Nivolet, sur l’ancienne voie romaine {via Salurnina), qui conduisait de Lemincum à Genève, est elle-même une antiquité fort remarquable. Il y avait autrefois, dût-on, un temple à Saturne, à la place où se trouve bâtie la chapelle de Saint-Saorlin. On a découvert à Cognin plusieurs restes d’antiquités ; on y a aussi trouvé des médailles consulaires et quelques-unes du temps des empereurs. Dans un mur de l’église basse du Bourget, on lit cette inscription : Mercurio August. T. Terentius Catulus. K. S. L. M. {votum solut libens merito). Vœu adressé à Mercure, dieu protecteur des voyageurs. On croit que ce dieu avait un temple près de là, sur la montagne de l’Epine, que traversait la voie romaine de Vienne.
MOEURS. CARACTèRES. COUTUMES. « Le moral des Alpes n’est pas moins intéressant que le physique... Dans ces hautes vallées où il n’y a ni seigneurs, ni riches, ni un abord fréquent d’étrangers, le paysan, ne voyant que des égaux j’oublie qu’il existe des hommes plus puissants ; son âme s’ennoblit et s’élève ; les services qu’il rend, l’hospitalité qu’il exerce, n’ont rien de servile ni de mercenaire... » Les passions, les goûts dominants, sont le jeu et la bonne chère parmi les gens aisés, et le vin dans les classes inférieures ; l’amour du jeu se fait principalement remarquer à Chambéry, où il est entretenu par l’oisiveté. Quoique le paysan aime beaucoup le vin, il en boit peu dans les montagnes à cause de sa cherté, qui résulte de la difficulté des transports. Sa principale nourriture se compose de laitage, de légumes, de pommes de terre et d’une espèce de bouillie. Le pain qu’on y mange est de seigle mêlé d’orge ou d’avoine ; celui de seigle pur est réservé pour les jours de fêtes. On y fait aussi usage de biscuits de farine d’avoine et de seigle, que l’on ne cuit que deux fois l’an. On fait des salaisons de vache, de mouton et de chèvre, qu’on conserve pour l’hiver. Dans la vallée de Chambéry et dans quelques autres vallées inférieures, l’usage du vin est beaucoup plus répandu ; le pain est toujours de seigle ou d’orge mêlé avec du blé noir ou de l’avoine. Le porc est la principale viande salée que l’on y mange ; on y consomme aussi beaucoup de châtaignes et de maïs. L’habitant des montagnes est intelligent et laborieux ; il supplée, par son activité, à l’infertilité de son sol, et il sait mettre tout à profit pour améliorer sa situation. Chaque parcelle de terrain cultivable qu’il découvre sur le flanc des rochers ou que la retraite des eaux et des glaciers lui abandonne, il s’en empare pour l’ajouter à son champ. Il construit lui-même sa demeure, dont la toiture consiste en des sommiers recouverts de planches sur lesquelles on place de grandes pierres plates ou dalles ; il fabrique aussi les meubles nécessaires à son usage. Un reproche qu’on fait généralement aux Savoyards, c’est d’aimer l’argent ; mais si l’on considère qu’une grande partie d’entre eux est réduite à vivre d’un travail journalier ou des soins qu’elle rend aux voyageurs, on reconnaîtra peut-être que ce reproche est peu fondé. Ici le moindre service attend une récompense, et encore semble-t-il que ce soit moins un salaire que l’on exige qu’un bienfait que l’on reçoit ; si cet indigent qui s’est réjoui à la vue de la petite pièce de monnaie que vous lui avez donnée vient à trouver votre bourse sur son passage, il courra après vous, et avec non moins de joie, pour vous la remettre. Plusieurs vogues près de Chambéry jouissent d’une grande célébrité : celles connues sous le nom de Saint-Barthélemy, des Carmes, de Mian surtout, dépeuplent en quelque sorte la ville le jour qu’elles ont lieu. On dresse en plein champ, ou dans un verger, des tables chargées de pain, de vin, de fruits et d’autres provisions : les uns se régalent assis sur la pelouse, tandis que les autres dansent ou se promènent. Dans l’hiver, les hommes de la campagne ne sont guère dans l’usage de veiller ; ils se couchent de bonne heure et se lèvent de très grand matin pour battre le blé dans les granges. Les femmes se réunissent dans les étables, ordinairement vastes et commodes, où elles filent, cousent ou tricotent à la lueur d’une lampe entretenue à frais communs ; cette veillée est égayée par les contes des vieilles mères et par le chant des jeunes filles, ainsi que par la présence des jeunes garçons. Dans les villes et dans les bourgs, le jeu remplace communément les veillées laborieuses de la campagne. Les femmes de Chambéry jouissent d’un certain embonpoint et de beaucoup de fraîcheur. A Annecy, elles ont des formes plus sveltes ; presque partout elles ont la poitrine large, les dents belles et bien rangées. Dans quelques communes de la Savoie, lorsqu’une personne est près de sa fin, on croit devoir la laisser mourir en paix. On va chercher’ un couseur ou une couseuse, suivant les sexes : ce sont de pauvres gens à qui on abandonne pour salaire la dépouille du mort. On laisse le couseur seul à côté du lit de l’agonisant, avec une lampe funéraire, de l’eau bénite, un linceul et tous les apprêts relatifs à son triste ministère. Endurci par l’habitude ou trompé par son impatience, il n’attend pas toujours le dernier soupir du moribond pour commencer son opération ; plus d’une fois des malheureux ont survécu à la fatale précipitation de leur couseur. Hâtons-nous d’ajouter que cet usage déplorable et barbare d’abandonner ainsi un mourant est aujourd’hui fort rare, grâce au zèle et à la surveillance des magistrats et des curés. Les deux plus proches voisins du défunt creusent sa fosse : quatre autres sont chargés de le transporter au lieu de la sépulture ; les parents et les voisins assistent à cette cérémonie ; elle est terminée au retour par un repas où l’on boit à la mémoire de l’inhumé et à la santé de ceux qui ont fait la terre. On distribue aussi du pain aux pauvres. Ces repas funéraires remontent à une haute antiquité. Le duc Amédée VIII, dans ses statuts de 1430, livre V, crut devoir en modifier la dépense : In prandiis sepulturœ (pour toutes les classes au-dessous des barons et des vassaux), non servitur nisi de uno serculo duplo moderato ad unam assisam. Pendant une année la famille du mort fait déposer sur sa tombe, chaque dimanche, un pain de quatre livres et quelquefois aussi une pinte de vin : ces offrandes appartiennent au curé. Dans le canton de Saint-Michel en Maurienne, à Saint-Martin-la-Porte, le cercueil d’un chef de famille est suivi par une chèvre que la faim fait bêler, et qu’on donne aussi au curé. C’est une opinion commune dans quelques villages, que lorsqu’un individu est mort, et jusqu’à ce que son corps soit enterré, son âme va se reposer dans le champ le plus voisin : de là, l’usage qui subsiste encore en Tarentaise, de porter aussitôt après le décès un peu de paille sur le lieu où l’on présume que cette âme se reposera.
CURIOSITéS -NATURELLES. Cascade de Couz. — La cascade de Couz n’est pas fort éloignée de la petite rivière d’Yère ; ses eaux se précipitent d’un rocher coupé verticalement, et dont on évalue la hauteur à environ 50 mètres. Rousseau a décrit cette cascade, qu’il a admirée dans sa jeunesse. « Plus près de Chambéry, dit-il, le chemin passe au pied de la plus belle cascade que je vis de mes jours : la montagne est tellement escarpée, que l’eau se détache net, et tombe en arcade assez loin pour qu’on puisse passer entre la cascade et la roche, quelquefois sans être mouillé ; mais si l’on ne prend pas bien ses mesures, on y est aisément trempé comme je le fus : car, à cause de l’extrême hauteur, l’eau se divise et tombe en poussière ; et lorsqu’on approche un peu trop de ce nuage sans s’apercevoir d’abord qu’on se mouille, à l’instant on est tout trempé. »
Le Bout-du-Monde. — Ce site sauvage est l’un des plus pittoresques que l’on puisse voir.
Un beau moment pour jouir de ce spectacle est celui où les rayons du soleil glissant sur les sommets des rochers latéraux, pénètrent dans cette enceinte profonde au travers des feuillages qui en couronnent les murs. Alors des filets d’or jaillissent d’un côté et se mêlent aux gerbes d’argent qui s’échappent de l’autre ; et les uns et les autres se croisent et se confondent avec la masse des flots écumants qui se précipitent au milieu. Toutes ces eaux se calment tout à coup, et forment une première nappe en figure de croissant ; elles s’avancent lentement sur la circonférence antérieure du bassin : là, une partie se déploie en larmes transparentes et arrondies ; une autre se distribue en une multitude de nouveaux filets, dont les uns coulent d’un trait dans le lit du torrent, tandis que les autres descendent avec mesure l’escalier naturel des couches du roc, et glissent tranquillement d’un gradin à l’autre. Pour voir le ciel et compléter le tableau, il faut se reculer et choisir un point de vue convenable. Alors on jouit une seconde fois de ces détails qu’on ne peut quitter : ils reçoivent un nouveau charme de cette voûte d’azur qui les domine : toute la partie inférieure du tableau s’obscurcit et le contraste est admirable. Il est encore embelli par l’éclat d’un terrain élevé qui, couvert d’un voile transparent et lumineux, et suspendu dans le haut des airs, surmonte cette scène d’ombre, de mouvement et de bruit, mais surtout par la tête colossale et dorée du roc de Chaffardon, qui couronne cet ensemble remarquable.
La cascade de Grésy. — Située dans un site pittoresque, sauvage et effrayant, la cascade de Grésy ne saurait manquer d’être l’objet d’une excursion spéciale. Un affreux précipice, des roches amoncelées, une onde furieuse qui s’engouffre sous les rocs avec un bruit épouvantable, un pont étroit sans parapet ; le précipice, couronné par des moulins suspendus sur la crête du rocher, tout ici frappe le voyageur de crainte et d’effroi. On n’approche pas de ce lieu sans un frémissement involontaire. Au milieu de ces impressions sinistres, une pierre funéraire frappe les regards ; on y lit cette inscription simple et touchante :
Ce fatal événement s’est passé sous les yeux de la reine Hortense, pendant son séjour aux eaux d’Aix. Elle était venue visiter la cascade de Grésy. Une de ses dames d’honneur, madame de Broc, se fiant trop à sa légèreté, voulut franchir une des crevasses de la roche humide et glissante : elle disparut dans le gouffre ; on l’en retira morte et horriblement mutilée.
BIOGRAPHIE. La Savoie est la patrie d’un grand nombre d’hommes distingués par leur savoir, leurs talents et leurs vertus. Nous indiquerons ici quelques-uns de ceux nés à Chambéry et dans ses environs. Antoine de Challan, évêque de Lausanne, archevêque de Tarentaise et cardinal, né vers le milieu du XIVe siècle. Il assista au fameux concile de Constance, et fut l’un des cinq cardinaux envoyés en 1415 au pape Jean XXIII, alors retiré en Souabe, pour lui notifier sa suspension et sa prochaine déposition. — Louis Allaman, connu sous le nom de Cardinal d’Arles ; il présida le concile de Bâle, où le pape Eugène IV fut suspendu. — Jean Dupin, auteur d’un poème sur la conquête de la Grèce par Ph. de Médicis. — Claude Favre de Vaugelas, né à Chambéry en 1585, membre de l’Académie française en 1634. Ce fut Vaugelas qui fut chargé de rédiger le Dictionnaire de l'Académie. — César Vichard, surnommé l’abbé de Saint-Réal, que son élocution fleurie a fait comparer à Salluste, naquit à Chambéry en 1639. Distingué par son esprit, il brilla d’abord dans le monde, s’attacha à la belle Mancini, duchesse de Mazarin, l’accompagna à Londres et contribua, avec Saint-Evremont, à l’éclat de ses cercles, qui ressemblaient à des réunions académiques. Son Histoire de la Conjuration des Espagnols contre la république de Venise parut en 1674, et obtint un succès prodigieux. Quoique les arts aient été peu cultivés en Savoie, ce pays compte néanmoins quelques artistes distingués : tels sont le célèbre Perronet, auteur du pont de Neuilly-sur-Seine ; F.-J. Lange, qui vivait au XVIe siècle ; Delallée, connu par ses belles gravures, et Paul, dont les paysages à l’huile sont estimés. Mais un homme qui mérite une mention particulière, et dont la mémoire sera à jamais un objet de vénération et d’amour pour ses concitoyens, c’est le général de Boigne, qui a doté Chambéry, sa ville natale, d’établissements si nombreux et qui assurent à leur généreux fondateur une gloire aussi pure que durable. Une noble ambition, fomentée par le goût des armes et des voyages, s’empara de lui dès sa première jeunesse. A vingt-deux ans il avait déjà parcouru l’Italie, la Corse, les îles de l’Archipel et la Grèce ; il forma à cette époque le dessein de passer aux Indes-Orientales. Arrivé à Madras en 1777, il entra au service de la Compagnie anglaise des Indes, qu’il quitta quelques années après pour offrir son épée à quelque puissance indienne. Il s’embarqua pour Calcutta et arriva à Dehli après avoir séjourné quelque temps à Lacknau pour apprendre la langue du pays. La capitale du Mogol était alors bouleversée par des factions, et l’état était en guerre contre les Jattes. N’ayant pu parvenir jusqu’à l’empereur, il résolut d’aller offrir ses services au prince mahratte Madhadjy-Sindhyah, alors en guerre avec les radjahs voisins. Malgré les préventions de ce prince contre les Européens, il parvint à gagner sa confiance et devint général en chef de son armée. Partout il battit les ennemis de Madhadjy, notamment à la bataille de Djannah-Pannah, où l’armée mahratte remporta une victoire signalée : ce qui valut d’immenses trésors au prince victorieux et des présents considérables au général de Boigne, qui resta au service de l’empire Mahratte de 1781 à 1796, époque où le mauvais état de sa santé l’obligea de repasser en Europe, laissant au successeur du prince, Madhadjy-Dolat-Raou-Sindhyah, un pays conquis, un revenu considérable, une armée de 30,000 hommes bien disciplinés, et 150 pièces de canon.
HISTOIRE NATURELLE En considérant la configuration des plus hautes montagnes qui environnent les bassins d’Aix, de Chambéry, d’Annecy, on trouve une grande différence entre leurs sommités et celles des montagnes qui dépendent de la chaîne primitive des Alpes. Celles-ci en effet présentent des pics aigus, des arêtes déchirées, des pentes abruptes, recouvertes de leurs débris, ce qui les fait appeler aiguilles par les habitants de Chamouny et de toutes les vallées de même nature.
BIBLIOGRAPHIE. Histoire de la ville de Chambéry, 1 vol. in-12.
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